Les Légendes de Rita : Zone sensible
Cinéma

Les Légendes de Rita : Zone sensible

Ce film pourrait s’intituler "Dernière Vision allemande par Volker Schlöndorff". Ce serait la suite en mineur de sa version de la Seconde Guerre mondiale, telle que présentée dans Le Tambour; et de celle du terrorisme musclé des années 70, avec L’Honneur perdu de Katharina Blum.

Ce film pourrait s’intituler "Dernière Vision allemande par Volker Schlöndorff". Ce serait la suite en mineur de sa version de la Seconde Guerre mondiale, telle que présentée dans Le Tambour; et de celle du terrorisme musclé des années 70, avec L’Honneur perdu de Katharina Blum. Parce que Schlöndorff a toujours les yeux qui brillent quand on dit le mot "politique"; et restant un témoin privilégié et talentueux d’un pays qui ne ménage pas les surprises depuis 50 ans, il revient toujours à l’actualité entre deux adaptations littéraires.

"Cette histoire m’a frappé, explique simplement le cinéaste, rencontré lors du dernier Festival des Films du Monde. Je la traîne depuis cinq ans." Même si l’héroine des Légendes de Rita est fictive, elle est un personnage de synthèse, composite de toutes ses inconnues, de tout un monde qui s’est écroulé avec la chute du Mur. Un sujet tout à fait passionnant, mais peut-être encore trop chaud pour certains: en gagnant l’argent à Berlin l’année dernière, Schlöndorff a beaucoup séduit, mais il n’a pas évité les huées d’une presse allemande qui n’aime pas qu’on remue le fer dans la plaie. "Je ne regrette rien", assure le cinéaste avec un sourire.

Rita Vogt (Bibiana Beglau) est une terroriste d’Allemagne de l’Ouest, une ersatz de la bande à Baader. Avec ses camarades, c’est L’Internationale en fond sonore, des posters du Che et de Jimi Hendrix sur les murs, et la lecture d’Ho Chi Minh et Mao. Mais le "glamour" de la rébellion s’arrête le jour où Rita tue un policier à Paris. Hull, officier de la Stasi (Martin Wuttke), la police politique de la RDA, l’aide à passer à l’Est incognito. Elle devient ouvrière dans une usine de textile; puis assistante sociale. Dans cette dernière identité, ou "légende", la jeune femme s’ouvre enfin, semble faire table rase d’un passé tumultueux, mais le rideau de fer tombe. Son existence même devient alors une incongruité pour la réunification. Elle n’est plus ni l’ennemie ni l’amie de personne.

Sur papier, l’idée est exaltante: Rita incarne une manière de faire de la politique qui subitement n’a plus cours, qui doit disparaître aussi rapidement qu’on détruit un mur. Sur écran, cela donne une oeuvre solide, mais qui tend plus vers l’anecdotique romantique que vers le politique. "Je voulais montrer une aventure privée, un conflit réel accentué par le romanesque. Parce qu’une idée politique à elle seule ne suffit pas pour être terroriste. En fait, je voulais faire la chronique d’une cause à l’exemple des meilleurs éléments", avance Schlöndorff. On suit donc les errances de Rita, qui tombe amoureuse à chaque étape de sa vie en trois volets. En s’attardant à ce personnage (que Bibiana Beglau tient bien sur ses épaules), on frôle les grands virages de l’Histoire allemande récente. On reste en périphérie. Or, quand, dans des scènes-clés, des bouffées de politique arrivent, elles sont de brillantes paraboles: on retient le nouveau style politique, plus subtil et moins radical, de la Stasi lors d’un barbecue (saucisse de l’Est et bière de l’Ouest); on aime l’ambivalence mielleuse de l’excellent Martin Wuttke, officier de la Stasi. Et pour montrer la déception du socialisme à la veille de la chute du Mur, un discours d’ouvrières autour d’une table à café est un morceau d’amertume pure.

Schlöndorff a cette façon indirecte et intelligente de montrer des États en déroute; mais dans ce cas-ci, et étrangement à cause d’une forte incarnation de l’idéalisme en la personne de Rita, on se désintéresse de l’humanité qui les traverse. Étrange décalage…

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