Ne dis rien : Légende urbaine
Cinéma

Ne dis rien : Légende urbaine

Comme si l’audace du jeune cinéaste était constamment rattrapée par des ressorts scénaristiques convenus. Résultat: des personnages à la fois insaisissables et figés, une errance trop calculée.

Simon Lacombe émerge de sa tanière. Personne ne l’attendait. Et pourtant, la rencontre est heureuse. Son cinéma, bien que plein de bonnes intentions, offre à la fois le charme et les défauts des débutants. Comme si l’audace du jeune cinéaste était constamment rattrapée par des ressorts scénaristiques convenus. Résultat: des personnages à la fois insaisissables et figés, une errance trop calculée. Si ça dérange? Un peu. Mais cela n’en fait pas un mauvais film pour autant. Car Lacombe se rachète souvent par l’image. Encore là, rien de révolutionnaire mais des cadrages la plupart du temps minutieusement construits qui dépassent suffisamment le stade de la simple technique pour commencer à parler de talent.

Ne dis rienest une histoire connue et maintes fois contée. C’est celle d’une jeunesse urbaine qui en arrache. Eldorado, dix ans plus tard. Les difficultés sont émotives. Les personnages se cherchent et ne se trouvent pas. Patrick Labbé est Michel, ouvrier affecté aux égouts. Au fond de ses immenses yeux bleus se lit une tristesse inconsolable. Le prologue nous fait état d’un échec amoureux.

Confiant, Michel poursuit quand même sa route et, chemin faisant, nous présente d’une voix teintée d’amertume ses compagnons. D’abord, il y a Tuyau (le magistral Marcel Sabourin), beaucoup plus qu’un compagnon de voirie. Ensuite il y a Martine la concierge, Jean le voisin de palier et Toupie le clochard. Et puis il y a Lisa (Marie-France Marcotte) qui, pour justifier ses errances dans les rues, conduit un taxi.

Michel la rencontre, elle lui plaît, c’est réciproque, ils se rapprochent, il la perd et la retrouve. C’est dans l’ordre des choses. Le schéma classique de la romance, injecté d’une bonne dose de hasard. Mais là où le spectateur s’enfonce un peu plus dans son siège, c’est lorsqu’il constate que Lisa est encore plus triste que Michel. Ce n’est pas pour le concurrencer mais son fardeau à elle est autrement plus gros. Le ton se fait dépressif.

Main dans la main et l’âme en peine, nos deux personnages vagabondent sur les toits des immeubles pour laisser couler un filet de mélancolie. Fort heureusement, la narration fait souvent des entorses à la linéarité pour figurer des rêves d’évasion. Pour vaincre la morosité, Michel assouvi ses pulsions cleptomanes. Il vole voiture, ambulance, tout ce qui lui tombe sous la main pour les abandonner quelques rues plus loin. Une manière comme une autre de sécréter de l’adrénaline. Ultimement, c’est le vol de banque qu’il vise.

Malgré ses défauts scénaristiques, Ne dis rien se laisse gentiment apprivoiser par ses images. Il y a d’une part ces égouts humides et glauques où Marcel Sabourin agit comme un prince des domaines souterrains. Et puis, il y a ce taxi, une vieille américaine des années 70 qui, par les cadrages et l’imaginaire qu’elle charrie, nous replonge un peu dans l’époque. Au détour de l’intrigue, Lacombe pousse également un questionnement sur l’image. Ainsi, pour sélectionner ses futurs colocataires, Michel les force à se présenter devant une caméra amateur. L’idée d’une appropriation de l’image sans consentement devient presque une thématique obligée dans le cinéma d’auteur.