Le Placard : Portes ouvertes
Cinéma

Le Placard : Portes ouvertes

"Quand j’ai écrit ce scénario, j’avais deux piliers, explique-t-il en entrevue: la dérive du politiquement correct et le regard des autres. Ensuite, il faut construire la structure, ce qui n’est pas évident puisqu’on part d’une abstraction."

Très sérieux, la comédie. Faut pas blaguer avec ça. Le réalisateur Francis Veber a beau avoir une feuille de route impressionnante, il se déclare peu rieur, difficile sur un tournage et moins assuré aujourd’hui qu’il ne l’était du temps de ses premiers films (Le Jouet, La Chèvre, Les Compères, Les Fugitifs, etc.). Qu’importe, sa rigueur fait merveille: Le Placard vient de franchir les cinq millions d’entrées en France, et les Américains sont pliés en deux lors des visionnements de presse. Autopsie d’une rigolade par un type pas très drôle: "Quand j’ai écrit ce scénario, j’avais deux piliers, explique-t-il en entrevue: la dérive du politiquement correct et le regard des autres. Ensuite, il faut construire la structure, ce qui n’est pas évident puisqu’on part d’une abstraction." Derrière l’abstraction, il y a François Pignon (Daniel Auteuil), comptable quinquagénaire timide, sur le point d’être licencié de son entreprise de préservatifs. Sur les conseils d’un voisin (Michel Aumont), il va se faire passer pour gai, ce qui lui vaudra de garder sa place, mais de devoir supporter les jugements de ses collègues de travail (Thierry Lhermitte, Jean Rochefort, Gérard Depardieu, Michèle Larocque), de son fils, et de son ex-femme (Alexandra Vandernoot). "Pignon, c’est le petit homme dans la foule, déclare le réalisateur. Il apparait dès L’Emmerdeur en 1973, et on le retrouve dans plusieurs films jusque dans Le Dîner de cons et Le Placard." Petit homme, mais sacrée pointure qu’un Daniel Auteuil en passe-muraille, morne et gris, qui traîne son quotidien blême sans sourciller. Il coule de source. On retrouve la même ardeur à personnifier l’infiniment banal chez les autres, créant ainsi une cosmogonie à la fois complexe et universelle de la petite vie. Travers mesquins, mauvaises langues, coups bas et sales jugements sont délectables dans la bouche d’un Depardieu en bouffon fragile, dans celle d’un Lhermitte manipulateur sympathique et chez une Michèle Larocque sur le qui-vive. On pourrait même dire que la finesse d’observation de Veber est plus frappante , chez les personnages très secondaires: les vacheries de son ex-femme, la connerie insondable des deux rugbymen adeptes de matraquage homo, ou la méchanceté persifleuse d’une aide-comptable. Même si Le Placard ne fait pas hurler de rire, la justesse du tir fait mouche. Question de boulot, encore… "C’est vachement difficile de travailler avec Veber, explique Lhermitte en entrevue. Il écrit à l’intonation près. Avec lui, ce n’est même pas imaginable qu’un acteur ne sache pas son texte au rasoir! Si je me suis régalé à faire Le Placard j’en ai bavé sur Le Dîner de cons…"

Le principal intéressé ne mâche pas ses mots: "À moins d’un problème de mise en bouche de la part d’un acteur, où je suis d’accord pour des changements de mots, je suis persuadé que la phrase que l’acteur veut improviser est plus dangereuse que celle de l’auteur. C’est comme une dérive de fusée: si on change de cap au départ de 1 cm, l’écart peut être de 1000 km à l’arrivée! Je ne suis jamais sûr de faire rire une salle, mais je suis sûr de ma vérité. Attention! Je ne suis pas un général sur un tournage, mais je veux qu’on respecte la note avec exactitude, et c’est pour ça que j’ai refait 45 prises avec Depardieu, 37 avec Auteuil, que j’ai repris une journée de travail avec Aumont et une autre avec Rochefort…" Il parle de son perfectionnisme comme un horloger suisse, donnant en exemple une phrase qu’Auteuil "saucissonnait" et que lui voulait coulante; ou une banalité de ton dans la voix d’Aumont qu’il ne réussissait pas à trouver. Et à l’école Veber, ils y retournent tous. Et pas simplement pour les sous. Car avec lui, on parle de rire indémodable: "Moi, je fais du classique, explique-t-il, citant ses maîtres, Lubitsch et Wilder. Par exemple, en ce moment aux États-Unis, je ne trouve pas la comédie classique extraordinaire – Meet the Parents et What Women Wants – et il y a de la place pour le burlesco-grossier des frères Farrelly qui vise un public d’adolescents; mais cela va changer avec l’arrivée d’une autre génération: la comédie mode va forcément se démoder!" Et Veber sera encore là pour distiller ses histoires de gars, de paumés exclus, dans un monde à la frontière de la fantaisie qui, avec un coup de pouce, pourrait facilement pencher vers l’absurde à la Queneau…

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