No Place to Go : Non retour
Cinéma

No Place to Go : Non retour

Pour quelques-uns, novembre 1989 fut un trou noir. Le moment de la chute du mur de Berlin pourrait même s’apparenter au triangle des Bermudes: un espace-temps confus qui a subitement englouti des espoirs et des vies.

Pour quelques-uns, novembre 1989 fut un trou noir. Le moment de la chute du mur de Berlin pourrait même s’apparenter au triangle des Bermudes: un espace-temps confus qui a subitement englouti des espoirs et des vies. Volker Schlöndorff le traite de façon romantique dans Les Légendes de Rita, et Oskar Röhler le présente dans un film sombre, dramatique et moderne, No Place to Go. Basée sur la vie de sa mère, l’écrivaine Gisela Elsner qui s’est suicidée en 92, l’oeuvre de Röhler retrace les derniers moments d’Hanna Flanders (Hannelore Elsner, sans lien de parenté), une femme proche de la soixantaine, qui, au moment de la chute du mur, plonge dans un profond désespoir. Issue de parents aisés, elle a toujours vécu à l’ouest, dans la ville conservatrice par excellence (Munich), et s’habille chez Christian Dior; mais toute sa vie elle a glorifié dans ses livres le mode de vie communiste et la RDA, seule véritable Allemagne selon elle. Elle fut une légende à l’est. La réunification signe l’arrêt de mort de ce cheminement paradoxal. Hanna va partir à Berlin, pour comprendre les bouleversements. Dans cette fuite en avant, elle retrouve un éditeur et ex-amant (Michael Gwisdek), un fils mal aimé (Lars Rudolph), des parents fuyants (Hanna Göring et Charles Regnier), et un ex-mari désabusé (superbe Vadim Glowna). Elle rencontre aussi les Allemands de l’Est qui exultent, alors qu’elle continue de sombrer.

Petite silhouette perchée sur des talons aiguille, avec des perruques pharaoniques et un maquillage Cléopâtre, Hannelore Elsner a les expressions tragiques d’une Maria Casarès ou d’une Gloria Swanson. Une héroïne déchue à la Fassbinder: pas d’atermoiements, pas de sensiblerie, plutôt une certaine sécheresse dans ce portrait qui dévoile la mauvaise foi et l’égoïsme du personnage.

Le temps d’un dernier voyage, entre l’envie de suicide et le passage à l’acte, Röhler propose un condensé saisissant: en un film, il a réussi à mettre ne évidence les contradictions d’une idéaliste (et par elle, celle d’un peuple qui souffre de dédoublement de personnalité); et à rendre hommage au cinéma muet, tout en posant une signature très personnelle, résolument moderne. Comme Elsner qui n’aimait que ces deux couleurs, le noir et blanc de No Place to Go retrouve aisément ses marques dans l’âge d’or de l’expressionnisme; mais la construction elliptique étrangement cadencée n’a rien de nostalgique. Elle épouse presque le rythme, la noirceur, le côté film noir de certaines planches de Corto Maltese! Plastiquement, le film est magnifique; ombres et lumières encadrent cette femme, plan après plan, sans l’étouffer, mais influant sans cesse sur sa santé mentale et la portant avec élégance vers la mort. Mais, quel que soit le décor, rien ne la touche. Prisonnière de son désespoir, Hanna Flanders erre, perdue, seulement sensible à l’alcool, aux barbituriques, aux cigarettes et à un manteau de chez Dior. Privée de telles béquilles dans les dernières images à l’hôpital – qui appuient sur les symboles d’antichambre de la mort – elle sait, et nous aussi, que la route doit s’arrêter ici.

D’un point de vue plus large, on voit également que toute cette quête aura été stérile. Dans la nécessité acharnée de trouver un sens à la société, à la présence d’un mur, à sa destruction et cette femme contradictoire n’avait plus qu’une possibilité: celle de tout arrêter.

Goethe-Institut, dans le cadre des Découvertes allemandes
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