Vues d'Afrique : La caravane passe…
Cinéma

Vues d’Afrique : La caravane passe…

On y parle de bushmen et de collines de coquillages, de python maléfique et de boa sacré, mais aussi d’urbanité, d’exil et de différences à apprivoiser. Vues d’Afrique offre des mondes de cinéma. Des regards en noir et blanc, en couleurs et en mondialisation.

Comme la diversité cinématographique en Amérique du Nord passe désormais par le biais des festivals, ces derniers se multiplient, gonflés comme des baudruches. Ce n’est pas la panacée, mais, pour l’instant, on n’a pas d’autre choix que de prendre les films au vol. C’est dans ce contexte de gloutonnerie que débute la course aux festivals estivaux et qu’arrive l’événement Vues d’Afrique. Les 17e Journées du cinéma africain et créole tombent à pic cette année: ces films "autres", qui témoignent d’une culture du soleil, et qui rappellent à chaque bobine qu’un ailleurs existe et qu’il est encore vivant, sont un très bon exercice pour experts en mondialisation. Histoire d’instruire en décompressant, on aurait dû coincer un séminaire Vues d’Afrique dans la machine ZLEA…

Tant pis pour les têtes pensantes, nous voyagerons sans eux. Cette année, Vues d’Afrique, sous le double parrainage de Marina Orsini et de Michel Mpambara, fait le tour de l’Afrique noire au Maghreb, de l’Égypte aux pays créoles, et de l’Europe au Canada: en tout, 68 films et 15 vidéoclips en provenance de 28 pays. Et comme dans tous les mondes connus, on aborde l’humanité en quelques thématiques inchangées: un retour sur les mythes fondateurs, des interrogations sur la société actuelle et passée, et un regard sur les femmes, l’exil, la politique, l’amour et l’humour. Tranquillement, d’année en année, certaines réalités prennent de la place, et les témoignages d’une culture contemporaine, celle du concret, du présent, de l’instant, sont de plus en plus présents. À l’heure H du monde, voici le pouls des différences et des contrastes. On mélange les couleurs et on voit quel tableau ça donne… Le meilleur exemple reste La Faute à Voltaire, d’Abdel Kechiche (déjà vu au FCMM et que l’on attend en distribution régulière): une tentative d’intégration dans le Paris des exclus, un drame chaleureux et très justement joué par Sami Bouajila, Élodie Bouchez et Aure Atika. Bon plan également que Djib, de Jean Odoutan, qui avait fait rigoler les foules avec Barbecue-Pejo l’année dernière. Djib, c’est Djibril (Max-Édouard Balthazard), un adolescent teigneux et têtu qui galère à Asnières, et qui cherche à faire des sous pour emmener sa dulcinée Joséphine, une "Arabo-Gauloise " (Jessica Hammoudi), prendre le vert. Odoutan appelle son film une banlieuserie nègre; on pourrait aussi parler de marmite culturelle qui cuit à l’étouffée. Bons acteurs et bons dialogues, sans surcharge de politiquement correct humaniste: un film de l’air du temps. Un peu décevant, Mondialito, de Nicolas Wadimoff (coréalisateur de Clandestins avec Denis Chouinard), film souvent longuet et candide, est un tendre road-movie avec Moussa Maaskri et Emma de Caunes, qui se penche sur l’acceptation des autres, quand un jeune fugueur et un pompiste bougon décident de filer à Marseille pour un match de foot. Notons également Rage, un melting-pot londonien hip-hop, signé Newton I. Aduaka, et Le Chauffeur du député, premier film de Tahirou Tasséré Ouédraogo, du Burkina Faso. Exemple manqué par contre pour At the second traffic light, de Lucy Gebre-Egziabher, film de thèse d’une Éthiopienne-Américaine, qui souffre d’un symbolisme lourd et qui s’éternise; le comble pour un court métrage… Dans la catégorie à éviter: Antilles sur Seine, long métrage poussif de Pascal Légitimus, le lascar noir du trio d’humoristes les Inconnus, est un bide monstrueux, un thriller comico-raté de la plus haute insignifiance.

Mieux vaut parfois s’échapper dans le passé. Si vous aimez vous faire raconter des histoires, les mythes africains ont des circonvolutions imaginaires dotée de fine politique et d’une incroyable poésie: comme Siraba, la grande voie, d’Issa Traoré de Brahima, du Burkina Faso, qui fait renaître l’esprit du boa sacré; ou, toujours du Burkina, celui des peuples pré-mandingues avec Sia – le rêve du python, de Dani Kouyaté (Kéïta, l’héritage du griot), fils du grand comédien et griot Sotigui Kouyaté. Comment transposer adéquatement en images la dramaturgie de la culture orale africaine? En toute simplicité, mais avec doigté et intelligence, Kouyaté arrive à donner une portée de fable universelle à cette légende meurtrière. Un roi encore, toujours avide de richesse et de pouvoir, qui se fait complice de la traite des esclaves; sujet pénible et magie de l’oralité dans Adanggaman, le dernier film de Roger Gnoan M’Bala, de Côte-d’Ivoire, le film d’ouverture de Vues d’Afrique. Cinéma engagé également, et aussi en ouverture de ces 17e Journées, le film d’animation Âme noire, de la Québécoise Martine Chartrand, offre un condensé splendide de la culture noire. Un voyage comme on n’en a jamais vu, avec des pharaons, des griots, des champs de coton, du gospel, du jazz, des esclaves et des bancs de neige: Chartrand (qui a travaillé avec Alexandre Petrov sur Le Vieil Homme et la mer) ramène des bribes de tradition à la surface et réussit, en moins de 10 minutes, à faire ressortir la fierté d’appartenir à une si vaste et houleuse lignée.

Le documentaire, loin des fables, croit-on, n’est qu’un autre moyen de retracer les oubliés. Saviez-vous que des vierges sont retranchées dans un camp en Afrique du Sud, se protégeant ainsi de la bêtise, de la violence et du VIH? Un thème que l’on retrouve dans Le Village des vierges, de Caroline Dumay, et dans La Danse des roseaux, du documentariste Andrzej Fidyk. On aime toujours l’humour et l’insolence des films de la série télé Taxi Brousse, coproduction Bénin-Burkina Faso, qui "fictionnisent" une réalité souvent sombre (Chasse à l’homme, de Claude Balogoun; Les Justiciers, d’Ignace Yechenou; Contractions, de Pierre Rouamba, et Bourreaux d’enfants, de Daniel Kollo Sanou); et on voit que le Maghreb, dans la tornade politique et guerrière, continue de témoigner de souffrances individuelles: Des vacances malgré tout, de Malek Bensmaïl, sur une famille algérienne vivant en France qui retourne en vacances près d’Alger; Algérie, des enfants qui parlent, de Kamal Dehane, où des enfants racontent leur guerre; et Quand les hommes pleurent, de Yasmine Kassari, qui montre des exilés marocains coincés en Andalousie, à deux pas d’un pays qui n’est pas prêt à l’accueil et d’un autre qu’on veut quitter.

Coup de coeur de ces 17e Journées et B.O. obligatoire: Blue Sky, de Patrick Meunier. Un documentaire qui semble dolent et sympathique, sur des papys musiciens oubliés de l’ancienne Rhodésie; mais qui s’avère un Buena Vista Social Club africain. On lève le rideau autant sur une culture musicale (une tradition jazz particulière, celle du vieux township de Bulawayo, dans l’actuel Zimbabwe) que sur un passé de répression et d’humiliation (Blue Sky est une chanson, mais aussi une prison). Sans nostalgie, avec passion, ces papys qui ont la pêche portent bien leur nom de Cool Crooners de Bulawayo…

Du 20 au 28 avril
Cinéma Impérial, Cinéma ONF, et Musée des beaux-arts
Info-festival: 284-2602
www.vuesdafrique.org