Yi Yi – A One and a Two : Leçons de choses
Cinéma

Yi Yi – A One and a Two : Leçons de choses

Réflexion sur nos vies, ode à l’humanité, déclaration d’amour au cinéma: Yi Yi d’EDWARD YANG se veut un film-puzzle, qui se construit méthodiquement de souffrances accumulées, pour aboutir à une mosaïque heureuse et superbe. Un enchantement.

En échange de trois heures de votre temps, recevez une leçon de vie, un coup de bonheur à effet prolongé et, en prime de quoi réfléchir. Par les temps qui courent, le marché est plus qu’honnête, il est indispensable. Cet effet-là, on le doit à Yi Yi, A One and a Two, d’Edward Yang, qui avait été présenté au dernier FCMM et qui débarque enfin en salles nord-américaines, après le prix de la mise en scène à Cannes l’an dernier, une pluie d’éloges, et des salles combles en France. Pas question de le laisser passer, celui-là.

Alors que le format de trois heures appelle la saga épique, Yang, un des principaux réalisateurs taïwanais, plante sa caméra dans le quotidien, au milieu de la bourgeoisie de Taipei, où il vient voler des moments de vie. Trois heures-éclairs qui fourmillent d’intimité. Plus qu’une histoire précise, voici une série d’instantanés glanés à la façon d’un soap parmi les facettes de l’humanité, au fil des situations et des personnages. Pour illustrer la précision du tir, on oserait parler d’un sens de l’observation à la Balzac et de l’amour des personnages qu’avait Renoir… On suit la famille de NJ (Wu Nianzhen, sobre et excellent), un directeur d’entreprise intelligent, honnête, fantaisiste, mais un peu las. Tout commence dans un mariage, celui du beau-frère bon à rien; tout commence aussi par la grand-mère mystérieuse qui tombe dans le coma. Les médecins disent qu’on doit lui parler pour la ramener à la vie: Min-Min (Elaine Jin), sa fille et épouse de NJ, n’y arrive pas, et, se rendant compte du vide de son existence, elle file, déprimée, chez un gourou; NJ essaie aussi de raconter sa vie à mamie, mais il est accaparé par un boulot qui marche mal et par un premier amour qui refait surface. Leurs enfants ne sont pas plus bavards: la sage Ting-Ting (Kelly Lee) se sent coupable et subit les premières tempêtes amoureuses et amicales; et, enfin, Yang-Yang (Jonathan Chang), le petit bout de huit ans, adorable guide de cette galerie de portraits, ne veut pas parler pour ne rien dire. Il préfère photographier les moustiques dans le couloir et le dos des gens "parce qu’on ne voit jamais sa propre nuque"… Yang-Yang, alter ego du réalisateur, est l’observateur-enfant; celui qui, candidement, peut mettre en lumière les aspects méconnus de nous-mêmes.

En fait, on sort de ce film comme d’un gros bouquin, le genre qui aurait encore quelque chose à nous apprendre sur le comportement humain. Entre rires et larmes, on en sort avec gratitude.

Quel plaisir que cette peinture intelligente et sensible de la société! Yang pose un regard respectueux, détaillé et aimant sur tous les personnages, et on apprécie la simplicité avec laquelle il ose parler de la norme, de la banalité des soucis qui peuvent devenir des montagnes insurmontables, et du poids relatif des choix de vie. Un tracé qui vise à l’universel. C’est un projet à la fois humble et ambitieux: comment prendre le pouls de son univers? Quelles sont les tangentes inchangées du caractère humain? Quels sont les facteurs d’aujourd’hui qui les bousculent? Dans ce chaos, doit-on voir des raisons de désespérer de la race humaine? Alors qu’il montre un monde en crise, une société urbaine déshumanisée, une culture malmenée, des gens insatisfaits de leur travail, des couples qui prennent l’eau, des solitaires en souffrance, des lâches, des imbéciles, des malhonnêtes, et des enfants qui, prises avec des incidents à leur taille, voient bien qu’en grandissant, rien ne s’arrange: Yang retourne les cartes et nous offre sa confiance en l’humain. Tel Ota, ce Japonais charmant (Issey Ogata), homme avisé et sage qui se lie d’amitié avec NJ, Yang a le don de remettre l’intelligence du coeur au goût du jour…

Certains trouveront à redire sur la durée du film. Mais il y a l’ennui réfléchi et le vide. Comme le silence réel entre les mots, le temps qui traîne est porteur de sens. Une jeune fille qui se confie à sa grand-mère malade, c’est long. Un petit garçon tombe en arrêt devant son premier amour, et le temps s’allonge; et une femme de 40 ans qui sanglote sur sa vie ennuyeuse, ça peut prendre une nuit. Dans cette amplitude, Yang laisse la part belle aux acteurs, au développement des personnages, et au mûrissement de chaque sentiment. Et le spectateur respire. Une petite fille plonge dans une piscine. Yang-Yang part en apnée dans l’eau du lavabo: en juxtaposant une scène banale à une autre, tout aussi anodine, le sens émerge et la bouffée d’émotion n’était pas prévisible. C’est l’essence même de la mise en scène, et c’est vraiment gracieux…

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