Moulin Rouge : Lunaparc
Cinéma

Moulin Rouge : Lunaparc

Exubérance de couleurs, débauche de musiques, extravagance de costumes: Moulin Rouge, qui a ouvert le dernier Festival de Cannes, ne supporte que les superlatifs. Prière de laisser son cynisme au vestiaire, ce film est plus qu’un mégaclip endiablé ou une peinture à numéros. C’est un manège complètement enchanteur.

Un rideau grenat s’ouvre sur une butte Montmartre de synthèse; et la voix de David Bowie entame une complainte. Avec une caméra à tête chercheuse, on entre dans une histoire d’amour fou, un conte de fées bouillonnant et baroque. Que ceux qui détestent la comédie musicale ne tournent pas la page trop vite. Des films comme Moulin Rouge ne sont pas si courants; et rares sont ceux qui sont aussi riches et flamboyants; rares sont ceux qui plongent tête première dans la fête et qui satisfont les attentes des rêveurs en technicolor. Il suffit de décider d’avoir 12 ans et d’adorer le cirque… Quelle que soit la tournure d’esprit du spectateur qui va voir Moulin Rouge, une chose est certaine: l’Australien Baz Luhrmann – aidé de son épouse, la chef décoratrice de ses films, Catherine Martin – a un merveilleux sens du spectacle. C’est splendide. Il a retrouvé l’ampleur et la folie des grandes fêtes, le déploiement outrancier de filles, de plumes, de paillettes et de musique; il a fait sien le sens de la comédie musicale américaine, celle des années 30 qui n’avait pas toujours le frein du bon goût, en lui insufflant assez de rock pour la faire décoller. Il a eu les moyens de ses ambitions, bien sûr, mais il aurait pu se tromper de magie. Il aurait pu se prendre au sérieux. Au contraire, sous sa direction, cette bluette simplissime explose de gaîté et de folie. Du 2000 volts
Luhrmann n’est pas un réalisateur du quotidien, c’est un hyperréaliste qui voit le monde dans la lorgnette d’un kaléidoscope multicolore. Il fait dans l’exubérance techno et le grandiose tonitruant. Revoyez Strictly Ballroom et sa superbe interprétation de Roméo + Juliette. Moulin Rouge, c’est de l’énergie pure; c’est Mad Max à la rencontre de My Fair Lady. Et c’est extrêmement contrôlé. Exit les spectacles d’antan, où la caméra tranquille laissait Fred Astaire reprendre son souffle après un pas de deux. Nous sommes au XXIe siècle, à l’heure où les pubs, les clips et les ordinateurs ont accéléré le débit, où l’on ne doit ennuyer personne par un rythme nonchalant. Comme si la cadence TGV était la seule valable. Et ce serait l’unique reproche à faire au film. Reproche de taille, car le montage effréné influe sur tout le reste, dira-t-on. Mais cette tonitruance n’est pas gratuite. Comment peut-on percevoir le Moulin Rouge aujourd’hui? Au début du XXe siècle, ce cabaret montmartrois était le rendez-vous des hommes, les bien-nés comme les malfrats, venus s’encanailler jusqu’au matin. À la fois bordel et salle de spectacle, c’était l’endroit où toutes les licences étaient permises. Seule référence proche de nous: le Studio 54, à New York. Et c’est sous cet angle qu’apparaît le Moulin Rouge, temple de tous les plaisirs.

Poésie baroque
Dans cet antre, Christian (Ewan McGregor) est un écrivain désargenté, un de ceux qui veulent la bohème et qui croient en quatre principes: vérité, beauté, liberté et surtout amour. Il tombe fou amoureux de Satine, la meneuse de revue du Moulin Rouge (Nicole Kidman), qui, courtisane expérimentée, ne peut aimer pour rien. Elle appartient à tous ceux qui la paient. Sous les ordres du directeur du cabaret (Jim Broadbent), Satine doit plutôt se vendre au riche duc de Worcester (Richard Roxburgh). C’est le mythe d’Orphée, celui qui va chercher sa belle en Enfer. Le prétexte idéal pour un film: French Cancan, de Jean Renoir ou Moulin Rouge, de John Huston en témoignent. Mais jamais Orphée ne fut si fringuant! Ewan McGregor, au sommet de sa séduction, charmant à souhait, emballe à merveille, faisant flotter sa Nicole dans les nuages. Doit-on parler de cet éléphant décoré comme un palais de maharadjas, nid d’amour de Satine et Christian? De ce cancan endiablé, explosé, quasi flou, où tous les figurants, danseurs et chanteurs semblent sortis du Cirque du Soleil? De Kylie Minogue en fée Clochette? Comment recenser toutes les influences, hindoues, arabes, et début du siècle mélangées? À ce niveau, ce n’est même plus du kitsch, c’est de la poésie. Il suffit de ne plus toucher terre. Et de quelle réalité parlerions-nous? Kidman est un fantasme de beauté, magnifiée dans chaque scène telle Marlène Dietrich; John Leguizamo est un Toulouse-Lautrec plus saltimbanque que peintre; Jim Broadbent a les cheveux multicolores; et, sous la jalousie de Christian, la troupe se met à danser le tango sur Roxanne, de Police… Ça chante à tout va, à pleine bouche pour les deux héros, qui n’ont pas un mauvais filet de voix. Massive Attack, Beck, et Rufus Wainwright (dans La Complainte de la Butte) se prêtent au jeu. Et le décalage opéra rock fonctionne. Feu de tous les artifices, croisement entre les Ziegfield Follies, les comédies musicales indiennes et l’enthousiasme candide de Georges Méliès, Moulin Rouge met en état de grâce.

Voir calendrier
Cinéma exclusivités