Millenium Actress/Satoshi Kon : Au-delà du réel…
Cinéma

Millenium Actress/Satoshi Kon : Au-delà du réel…

Entre un dessin animé à la mise en scène inventive et un film conçu par ordinateur où la technologie veut imiter le réel, le cinéma classique prend un coup de vieux…Entrevue avec Satoshi Kon, réalisateur de Millenium Actress

Craquer pour un dessin animé… Est-ce bien sérieux? Très. Il arrive parfois que par le dessin on retrouve les chemins perdus du grand mélo ou du film noir, un souffle inspiré qu’on n’attendait pas, de l’imagination au service de l’art. C’est le cas pour Millenium Actress, l’un des films les plus attendus de la sixième édition de Fantasia. Un bon coup pour le festival, et un beau film. Sorti tout chaud de la production, il s’agit d’une vraie première mondiale: Millenium Actress n’a même pas encore de date de parution au Japon… Cette japanimation de 87 minutes est le second film d’un réalisateur qui a déjà ses fans. Satoshi Kon, un des grands de la culture manga et dont le mentor n’est autre que Katsuhiro Otomo (papa d’Akira), avait mis en images une histoire tirée d’un roman, le superbe et angoissant Perfect Blue (1997). Le film a connu un succès instantané à la fois en Asie et en Europe, il a remporté de nombreux honneurs (dont le grand prix de Fantasia) et Darren Aronofsky (Pi, Requiem for a Dream) a tellement aimé qu’il rêve maintenant d’en faire une adaptation en chair et en os. En entrevue, Aronofsky aurait mentionné que Requiem for a Dream était en fait un hommage à Perfect Blue. M. Satoshi Kon en rougit encore…

Autant Perfect Blue constituait une descente aux enfers dans le psychotique, dans la fragilité de l’esprit, dans les espaces urbains réduits, et un thriller manipulateur qu’Hitchcock n’aurait pas rejeté autant Millenium Actress est une grande saga, un mélo romantique qui nous fait prendre le large; un Docteur Jivago des temps nouveaux. Genya, un réalisateur, doit faire un documentaire pour commémorer les 70 ans d’un studio de cinéma. Il choisit comme sujet une actrice légendaire, Chiyoko Fujiwara, superstar du cinéma japonais qui a abruptement mis fin à sa carrière 30 ans plus tôt. Il lui rend visite chez elle, à la montagne, accompagné d’un jeune cameraman. La vieille dame, touchée par un présent plus que symbolique de la part de Genya, entraîne les deux hommes dans ses souvenirs, ceux d’un cinéma qui se confond avec l’Histoire mouvementée du Japon au XXe siècle et ceux d’un grand amour impossible à oublier.

Cette fresque, Satoshi Kon n’est cependant pas près de l’appeler hommage. Joint chez lui à Tokyo (avant sa venue pour présenter le film à Fantasia), il met un bémol: "Quand j’ai créé cette histoire, ce n’était pas ma priorité: je n’ai pas envie de rendre particulièrement hommage aux vieux films japonais, explique-t-il. Je voudrais plutôt positionner Millenium… comme une déclaration dans ma carrière: ce film explique où j’en suis, sur le plan de ma créativité, et de ma façon d’envisager la vie. Je ne voulais pas mettre l’Histoire comme un thème primordial; mais le fait est que nous vivons dans une société riche, reconstruite sur une défaite. En faisant le film, j’ai pleinement réalisé qu’un "présent" avait existé avant nous. Étrangement, au fur et à mesure que le film avançait, ces différents présents animés m’ont apparu plus réalistes que dans mes cours d’Histoire à l’école. C’était comme si l’Histoire me rentrait tranquillement dans les veines. Et le film témoigne de cette impression." Plus qu’une impression, cette évidence est déjà un trait caractéristique du style Satoshi Kon: dans Perfect Blue, comme dans Millenium Actress, il a une manière bien particulière de jouer avec le temps. Il fait voler en éclats les balises classiques du flash-back ou de l’action parallèle; histoire de déstabiliser le spectateur habitué à des codes établis. Impossible de prévoir où mène l’action, on ne peut que suivre le rythme imposé. Dans Millenium Actress, le chemin est souvent chaotique, voire répétitif, mais la découverte vaut le détour, du présent au cinéma historique – celui des contes anciens -, en passant par les drames réalistes d’avant-guerre et les films de science-fiction. Les liens sont les courses effrénées de Chiyoko après son amour, les réalistes secousses sismiques qui ramènent au temps présent, et l’implication de plus en plus passionnée de ce réalisateur au cour de l’action, quelle que soit la période évoquée. "J’ai choisi de donner plus de poids aux souvenirs de cette actrice qu’à l’Histoire elle-même; une Histoire qui est toujours en train de se détruire et de renaître, comme le grand tremblement de terre de Tokyo ou le démantèlement du studio de cinéma", ajoute le réalisateur. On se balade ainsi entre une réalité historique ébauchée et des souvenirs réalistes, un stratagème de mise en scène parfois déstabilisant, mais souvent poignant.

Le succès de Perfect Blue n’a pas déstabilisé ce dessinateur de manga de 38 ans qui se penche sur sa planche à dessin professionnellement depuis 12 ans. Il travaille toujours avec la même vingtaine de personnes, se considérant comme un auteur sans concurrence réelle en son pays. "Je suis à peu près certain que mon travail est complètement différent des autres films animés, qui ont un rendu plus mainstream, explique-t-il, non sans fierté. Et, avec mes films, j’aimerais vraiment ouvrir le monde de l’animation japonaise à ceux qui ne la connaissent pas. Je souhaiterais ardemment rejoindre un plus large plublic, car les films d’animation n’attirent qu’un groupe encore restreint. Le succès d’un film est trop limité, et cela donne l’image que l’animation, ce n’est pas si excitant que cela à regarder! Et je dois avouer que c’est souvent le cas… Le succès de Perfect Blue m’a réellement surpris, c’était prévu pour aller directement sur le marché vidéo. Une fois que le film est en salles et fait le tour des festivals, on ne sait jamais comment les spectateurs vont réagir. Je peux vous citer beaucoup de films qui ont mal tourné, en vous montrant mes travaux d’animation passés, par exemple…" Qui n’étaient pas si mal, trêve de modestie: Satoshi Kon, en plus de ses mangas papier, a entre autres planché sur les dessins et les épreuves d’Akira, et sur le scénario et la production de Memories, le projet le plus ambiteux d’Otomo, hommage animé à Stanley Kubrick.

Amateur de bande dessinée et de cinéma (accroché à la fantaisie baroque d’un Terry Gilliam), l’artiste Satoshi Kon ne se pose pas la question de savoir s’il aime mieux construire un personnage ou une histoire. Il dit suivre la mécanique des deux avec de plus en plus d’acuité depuis qu’il est à la tête d’un projet du début à la fin. Un parcours qu’il considère comme une anomalie familiale: "Bizarrement, mes parents sont des sportifs, explique-t-il. Et avec mon frère, un des meilleurs guitaristes du Japon, nous avons pris le chemin inverse à leurs talents. J’irais jusqu’à me catégoriser d’hérétique de l’industrie japonaise d’animation!"

Il n’ira certainement pas au bûcher, mais son ambition a des ailes. "Je serais très curieux si quelqu’un venait à transformer Millenium Actress en "vrai" film! lance-t-il. Moi, je le verrais bien aussi en pièce, en série télé ou en BD. Ce serait même marrant d’imaginer cette histoire adaptée dans d’autres pays, avec des références différentes à mettre en évidence." Quant à passer lui-même à la chair humaine, pas sûr: "J’ai besoin d’avoir mon lot d’images animées si je veux être capable de construire une histoire. Mon langage, c’est l’animation."

En première mondiale à FantasiaLes 28 et 30 juillet,en présence du réalisateur


Japanimation 101Top 5 des dessins animés japonais par Claude J. Pelletier, éditeur du magazine Protoculture Addicts et du livre Anime: A Guide to Japanese Animation (1958-1988)."Un top 50 rendrait sans doute mieux justice à l’animation japonaise, mais voici tout de même les titres que je crois les plus marquants":

1) Escaflowne: A in Girl in Gaia. Je considère qu’Escaflowne est bien meilleur qu’Evangelion. Mais Eva, étant sorti en premier, a pris toute l’attention des fans. Je mets le film en première position, car c’est une animation récente, qui a amélioré plusieurs aspects de la série télé. Une belle histoire de fantasy.

2) Nausicaä. Je serais tenté de mettre ici toute l’ouvre de Miyazaki Hayao, mais Nausicaä est mon préféré. Intelligente histoire avec une thématique écologique.

3) Akira. Déclassé depuis, il a longtemps figuré au sommet de mon palmarès. Je l’inclus ici, car sa grande qualité technique et l’originalité de son histoire apocalyptique en ont fait un point tournant de l’anime au Japon, comme ailleurs. Comme le disait le slogan: "C’est violent, mais c’est beau!"

4) Robotech/Macross. Cette superbe histoire de mecha est à la source de mon épiphanie anime. J’ai alors redécouvert l’animation japonaise et réalisé que la plupart des séries de mon enfance en faisaient partie (Le Roi Léo, Marine Boy, Prince Saphir, Demetan, etc.)

5) Kimagure Orange Road. C’est la série télé d’animation qui m’a le plus captivé: un amusant soap qui mélange science-fiction et préoccupations adolescentes.

Mais, au-delà de ces titres, où classer les Bubblegum Crisis, Megazone 23 part II, Cow-boy Bebop, Ghost in the Shell, Neon Genesis Evangelion, Patlabor, Cagliostro Castle, Mobile Suit Gundam, Record of Lodoss War, Giant Robo, Big O, Space Cruiser Yamato, Gatchaman, Golden Boy, Gunbuster, etc.? Difficile… www.protoculture.qc.ca


Final fantasy: the spirits within
Si vous aviez cru que la peau verte de Shrek, c’était le top, pensez que les grains de beauté d’Aki dans Final Fantasy confonderaient un dermatologue. Le film (présenté en ouverture de Fantasia), tiré du célèbre jeu vidéo et réalisé par le créateur dudit jeu, Hironobu Sakaguchi, s’approche du presque parfait sur le plan des images générées par ordinateur. Et alors? Alors, rien! On sent qu’on vient de franchir une autre étape importante, comme le passage en vitesse lumière du premier Star Wars et la fluorescence des costumes dans Tron. Un pas de plus dans le futur technologique au cinéma. Mais, comme ces deux films, la percée n’est évidente que sur le plan visuel, car dans le contenu, on progresse plus lentement. "On vous en met plein les yeux, ça devrait vous suffire", entend-on en sourdine chaque fois…

Il est vrai que la pupille d’Aki Ross, jeune docteur intrépide, est d’une limpidité cristalline, et que les décollages de son vaisseau spatial sont impressionnants. Les "ennemis" ont la densité idéale de la gelée et les ciels dans les rêves d’Aki ont des transparences invisibles en cartes postales. Si l’on voulait être difficile, on dirait pourtant que la bouche, au petit look cadavérique, a encore des ratés avec la parole; que les mains n’ont pas la souplesse humaine, tout comme le torse; et que la pression du toucher n’est toujours pas évidente. Autant dire que le baiser langoureux en CGI reste gauche… On dirait Barbie et Ken en préliminaires. Mais on chipote, là. Le début de Final Fantasy: The Spirits Within est splendide: Aki, avec la voix de Ming-Na, doit chercher des esprits compatibles (les ennemis tous mous) qui lui permettraient de se soigner elle-même, mais aussi de sauver la planète. Ce que l’on prend pour des ectoplasmes extraterrestres ne seraient en fait que des fantômes en souffrance. Elle descend donc dans les bas-fonds d’un Manhattan abandonné, glauque cité envahie par les méduses gélatineuses. Un paysage recomposé avec allure.

On peut également dire que les personnages créés ne s’éloignent pas des archétypes archivus: un mâle testostéronissime, mélange de Ben Affleck et de Zinedine Zidane (voix d’Alec Baldwin); un méchant unicellulaire (James Woods), un Black courageux (Ving Rhames), une GI-Jane (Peri Gilpin), le potache de service (Steve Buscemi) et un vieux savant très sage (Donald Sutherland) forment une équipe évidente. À souligner aussi que le film s’inscrit dans la lignée des japanimations à tendance écolo (Princesse Mononoke), où la terre (Gaia) souffre, et où nous n’avons que des armes lourdes (appelées Zeus, comme dans "foudre depuis l’Olympe") pour guérir nos cancers et sidas intérieurs. Profond…

Le point important est de savoir… où tout cela nous mène! Le progrès technique dans la création d’une image singera la réalité jusqu’à quand et jusqu’où? La prochaine étape, c’est la veine du cou qui palpitera sans qu’on la programme? Plus la technologie avance et plus elle tend à l’humanité; et plus le cinéma traditionnel avec des acteurs réels progresse, plus il s’accompagne d’effets spéciaux. Le futur sera probablement un feu d’artifice somptueux; mais permettez que l’on déplore un manque d’imagination dans le premier cas et une authenticité qui se meurt dans le second. Une petite remarque nostalgique, en passant… (Juliette Ruer)

Voir calendrier
Cinéma exclusivités