Ghost World : Bande à part
Cinéma

Ghost World : Bande à part

Rien n’est perdu. Si émergent périodiquement des fouineurs de poésie et des fantaisistes lucides, on peut continuer à respirer dans le beau monde artistique.

Rien n’est perdu. Si émergent périodiquement des fouineurs de poésie et des fantaisistes lucides, on peut continuer à respirer dans le beau monde artistique. Terry Zwigoff fait partie de la grande confrérie des cyniques un peu baveux mais pas méchants, de ceux qui regardent le monde sérieusement, mais qui le décodent avec humour. L’image est triste, mais la bulle reste drôle. Pas de doute, Ghost World, présenté récemment au festival Fantasia, est le film de l’été sur l’adolescence. Pas le genre de comédie clonée avec beach bums mous et Barbies siliconées, mais plutôt l’humour grinçant d’un Election, l’absurdité d’un Rushmore, et l’humanisme d’un Amélie Poulain.

Le monde fantomatique du titre est celui qui entoure Enid (Thora Birch, excellente, fille de Kevin Spacey dans American Beauty) et Rebecca (Scarlett Johansson), deux ados qui viennent de finir leur collège et qui ne sont pas synchrones avec leur environnement. L’été sépare les deux amies: Rebecca travaille pour son autonomie; tandis qu’Enid s’interroge sur un monde adulte dangereusement peu attirant où survivent un amateur de 78 tours (Steve Buscemi), un vieux sur un banc (Charles C. Stevenson), son ex-future-belle-mère (Teri Garr), une prof d’art pompeuse (Illeana Douglas), un père plus végétal qu’animal (Bob Balaban), et un copain quasi autiste (Brad Renfro). Rebecca la blonde et Enid la brune à lunettes sortent du dessin de Daniel Clowes, bédéiste underground. Pas une première dans le monde du cartoon pour Zwigoff à qui l’on devait l’étonnant documentaire Crumb sur Robert Crumb, papa de Fritz the Cat, et de Louie Bluie, sur le jazz; mais une excellente première incursion dans celui de la mise en scène de fiction.

Zwigoff a trouvé le ton juste pour tricoter une satire culturelle et sociale comme on en voit peu. La chose n’est pas si facile, il ne suffit pas de mettre en brochette un paquet de gens bizarres pour que le résultat soit savoureux. Les personnages de Ghost World recherchent, de façon souvent malhabile et parfois obsessionnelle, un sens authentique à leur existence. Ils ont de l’étoffe, même cousue de banalité. Enid a un choix maigre, mais elle sait faire la distinction entre les losers sympathiques et les imbéciles. Par petites touches, une phrase parfois (l’idiot du vidéo club qui confond 8 et demi et Neuf semaines et demie) ou même une image (les mamans noires qui traversent la rue à un rythme pachydermique): Zwigoff reconstruit un univers que l’on connaît, gavé de consommation vide et d’un manque de diversité aberrant. Enid aime les comédies swing indiennes des années 60, et ça soulage. L’adolescence comme état clairvoyant dans un monde endormi n’a rien de nouveau, mais on traverse agréablement l’écran de fumée du politiquement correct…

Éclairé comme ça, on dirait une peinture acerbe de l’Amérique; or Zwigoff, même avec des couleurs primaires, est plus subtil qu’un crachat dans la soupe. Son film est tranquille et la bande son n’est pas hurlante; de plus, son histoire s’accroche à l’humanité, même si elle vivote dans des appartements sans style, et s’ennuie entre des dépanneurs miteux, des faux diners, des vidéoclubs aseptisés et des cours d’art bidon. Et puis, penser que Steve Buscemi, parfait, se voit comme un love interest, et peut-être le seul Américain sensé dans ce pays: ça vaut le déplacement…

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