FFM : Le dernier tango au Parisien
Cinéma

FFM : Le dernier tango au Parisien

Suite et fin du FFM: Le glamour est-il une denrée nécessaire dans un festival de cinéma? Où vont aller tous ces films? Quoi voir jusqu’à la fin du FFM? Y a-t-il un projectionniste dans la  salle?…

Le seul son que l’on entendait le week-end dernier dans le lobby de l’hôtel Wyndham, centre névralgique des activités festivalières, c’était le bruit de succion du cigare d’Emir Kusturica. On exagère, mais à peine. Morne plaine pour un 25e anniversaire. Où est passé tout ce monde qui avait des choses à nous montrer? Sophia Loren arrive, on se précipite comme des loups affamés. Elle a mangé avec Bernard Landry? Excitant. Côté films, tout va bien, les salles sont pleines. Les cinéphiles sont encore au rendez-vous, attentifs et curieux des cinématographies du monde entier; et silencieux, et justement en colère quand arrive un pépin technique. C’est ce qui compte, car côté médias, ça ronronne doucement. On frise le point mort de l’activité. Mais ça a du bon, ça permet aux gars de la constuction de travailler à leur aise sur le plancher du Complexe Desjardins. Ils ne dérangent personne…

Donc les films parlent d’eux-mêmes. Certains n’ont pas parlé très fort; mais la plupart ont tout de même quelque chose à dire. Par exemple, À la gauche du père, seul film brésilien en compétition, un grand tableau poético-sensuel qui s’étire en longueur, est par trop larmoyant, mais il offre de superbes cadrages. On retient le coup de massue qu’est Das Experiment, d’Oliver Hirschbiegel; les destinées marrantes dans un bled allemand, justement intitulé The Middle of Nowhere, de Nathalie Steinbart; la rigolade très Don Camillo de Vizontele, d’Yilmar Erdogan, comédie turque et candide sur le rapport cinéma/télévision; et l’émotion délicate de L’Orphelin d’Anyang, de Wang Chao, ex-assistant de Chen Kaige. Arrêt sur images pour un film en compétition, qui se laisse regarder avec plaisir: Une lettre pour l’Amérique, de la Bulgare Iglika Triffonova. Ce voyage en arrière, retour au passé dans des campagnes dépeuplées et solitaires, résonne de façon familière. Retrouver ses racines pour vivre, ce n’est pas nouveau; mais c’est joliment fait et joué avec délicatesse. Et parce qu’il ne fallait pas rater ça, car rien que la durée était une expérience: Il mio viaggio in Italia, une ode de quatre heures de Martin Scorsese au cinéma italien. On embarque avec inquiétude en se demandant si le réalisateur va vraiment disséquer en détail tous les grands films du néo-réalisme. Il le fait; mais grâce à sa fougue et à ses anecdotes, on en redemanderait. Parce qu’au-delà du cours fascinant sur les grands noms du cinéma italien (Rossellini, De Sica, Visconti, Antonioni et Fellini), il y a la position d’un cinéaste qui, d’emblée, déclare sa différence en Amérique du Nord, et celle d’un Italien qui, par le biais du cinéma de son enfance, exprime un regret très simple: celui que les gens ne vivent plus en communauté unie mais en société individualiste. Cette remarque lancée face à la caméra n’est pas innocente; elle est au coeur de toute la filmographie de Scorsese. Et puis revoir des passages de Paisà et d’Umberto D, c’est à pleurer; et ce, même si le projectionniste était un fantôme dans la salle au cinéma Eaton, tant les soucis s’additionnaient…

Fin de parcours: les bobines restantes
Reste Une jeune fille à la fenêtre en compétition, le premier long métrage de Francis Leclerc: une histoire intime et plutôt swing pour une peinture d’époque, avec une Fanny Mallette toujours très juste et une Diane Dufresne en fausse note. S’il reste des places, Le Tunnel est une épopée de la guerre froide, une aventure où l’on se ronge les ongles jusqu’à la fin. En attendant qu’ils sortent en salle, on peut prendre de l’avance et voir à quoi ressemble un couple choqué par la liaison de leur fils dans In the Bedroom, premier film intimiste de Todd Field; Almost America, qui sortira en janvier, des frères Andrea et Antonio Frazzi; Intimité, de Parice Chéreau, drame glacial et grandiose, où le sexe froid rappelle Un dernier tango à Paris, l’idéalisme en moins; et si l’envie est très urgente, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, de Jeunet, clôture ce festival, avant de s’étendre dans 40 salles à travers la province.

On peut aussi jouer les glaneurs, et ramasser des titres qui, s’ils ne sont jamais gages d’un chef-d’oeuvre, ont le mérite d’attirer notre attention: qui ne voudrait pas voir un film qui s’appelle He Died With a Felafel in his Hand? Une histoire de colocataires, de l’Australien Richard Lowenstein, avec Noah Taylor et Romane Bohringer. Et faut-il s’attendre à l’épopée des Borgia dans Poisons ou l’histoire mondiale de l’empoisonnement? Le Russe Karen Shakhnazarov fait plutôt dans le portrait de couples dans la Russie d’aujourd’hui, avec monsieur qui est miné par la jalousie. Et si vous voulez savoir à quoi pourrait ressembler un Apocalypse Now hélvétique tourné en vidéo, il reste Neutre, de Xavier Ruiz (sans rapport avec Raoul), un film qui a un peu agacé les Suisses, car on y traite de cette coutume effarante du service militaire obligatoire tous les ans. Ce n’est pas terrible, mais il est toujours bon de savoir ce qui peut secouer la Suisse.

Sinon, et parce qu’on n’est pas sûr de les voir jamais sur grand écran, il ne faut pas rater L’Homme des foules, de John Lvoff. Ce dernier a été assistant réalisateur de Resnais sur Providence, de Miller sur Mortelle randonnée et de Polanski sur Pirates; mais il a surtout mis en scène une drôle de prémisse: qu’arrive-t-il à un homme, peut-être ancien tortionnaire d’un pays de l’Est, qui tombe dans les pommes dans une cathédrale de Lisbonne, parce qu’il a eu une surcharge émotionnelle attribuable à une oeuvre d’art? À voir. Parce que son talent était évident dans La Rivière (Ours d’argent à Berlin en 97) et The Hole (Prix de la FIPRESCI à Cannes en 98), il serait bête de passer à côté de What Time Is It There?, de Tsai Ming-Liang: une histoire de temps décalé et de mort à apprivoiser, entre Paris et Taipei; et surtout une fabuleuse mise en scène. Ne pas rater la première scène, la mort du père… Bon cinéma.

FFM
Jusqu’au 3 septembre