Little Sénégal : Retour vers le futur
Cinéma

Little Sénégal : Retour vers le futur

Alloune, un vieux Sénégalais au corps majestueusement élancé, relate dans un anglais absolument délicieux, aux touristes attroupés autour de lui, l’horreur de l’esclavage. Le rythme de sa locution isole chaque mot. Et lesdits mots tombent, lourds de sens. Dans ce musée de l’île de Gorée, il leur raconte les souffrances physiques mais se fait muet sur les souffrances de l’être.

Alloune, un vieux Sénégalais au corps majestueusement élancé, relate dans un anglais absolument délicieux, aux touristes attroupés autour de lui, l’horreur de l’esclavage. Le rythme de sa locution isole chaque mot. Et lesdits mots tombent, lourds de sens. Dans ce musée de l’île de Gorée, il leur raconte les souffrances physiques mais se fait muet sur les souffrances de l’être. À la vue de la porte que devaient franchir les esclaves avant d’être chargés à bords des négriers, une Afro-Américaine laisse rouler des larmes sur ses joues. Alloune lui murmure avec compassion: "Your past begins here."

À l’automne de sa vie, Alloune décide de remonter le fil de l’histoire, de son histoire. Il a alors l’idée audacieuse de retracer les descendants de ses ancêtres vendus à l’Amérique au XIXè siècle. Avec sa mémoire comme unique bagage, il traverse à son tour l’océan. Le réalisateur d’origine algérienne Rachid Bouchareb (Cheb, Poussières de vie) s’explique: "Le projet est au départ un peu irréaliste. Pour ce faire, je voulais un type qui, effectivement, ne soit pas réel: il devait être une force tranquille. L’Amérique pour lui n’est qu’une terre. Sa puissance économique n’a aucun effet sur lui." Débarqué en Caroline du Sud, Alloune questionne les registres avant de grimper jusqu’à New York où une possible cousine se terre peut-être.

C’est vers Little Senegal (dans le quartier Harlem) qu’il converge. Là-bas, un neveu conservateur (Karim Koussein Traore) l’hébergera. Préoccupé par son projet, Alloune s’accommodera facilement du concubinage de son neveu et du mariage blanc de son colocataire (Roschdy Zem). Ce qu’il vivra plus douloureusement, ce sera le racisme virulent et insensé qu’exprimeront les Noirs américains envers ses origines africaines. Un rendez-vous manqué qu’Alloune travaillera à changer en rencontre. Sa cousine, il la trouve; mais devra s’armer de patience pour gagner son estime. Propriétaire d’un kiosque à journaux, Ida (Sharon Hope, fort crédible, sachant se faire attachante malgré l’amertume de son personnage) sera d’un mépris et d’une arrogance sans égal avant de se résoudre à l’apprivoiser, après l’avoir engagé comme gardien pour courir derrière les voleurs, lui qui semble grincer des articulations à chaque pas.

Ce qui fait en grande partie la beauté et la précieuse émotion de Little Senegal, c’est Alloune, ce Candide sénégalais qui exhale le pacifisme et la noblesse malgré toutes les bassesses. Incarné par le griot Sotigui Kouyaté (acteur fétiche du dramaturge Peter Brook et homme d’une manifeste sagesse), ce personnage relevant presque du conte est émouvant de naïveté (tellement qu’il en est souvent drôle). "Je le voulais au-dessus de tout pour qu’il ne plie jamais dans son projet", précise Bouchareb. Un projet servi par une mise en scène subtile et une justesse de ton qui évitent la sensiblerie et les grands discours utopistes. Si le cinéaste est plus que conscient du fossé qui sépare les deux communautés, il se garde par contre d’émettre le moindre jugement dans son film. Lucide, il convient que "la situation économique et politique des Afro-Américains ne favorise pas une grande sérénité". Il est vrai que l’homme occupé à survivre se penche rarement sur ses racines.

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