Slogans : Les mots pour le dire
Cinéma

Slogans : Les mots pour le dire

Au royaume de l’absurde, il y a de sérieux zozos. Pendant la période de dictature en Albanie, sous le règne d’Enver Hoxha, l’une des propagandes les plus répandues était d’écrire des slogans politiques énormes, en pierres blanches, sur les flancs des collines et des montagnes.

Au royaume de l’absurde, il y a de sérieux zozos. Pendant la période de dictature en Albanie, sous le règne d’Enver Hoxha, l’une des propagandes les plus répandues était d’écrire des slogans politiques énormes, en pierres blanches, sur les flancs des collines et des montagnes. Avec des lettres mesurant près d’un mètre cinquante, on pouvait ainsi très bien voir de la route "L’IMPÉRIALISME AMÉRICAIN EST UN TIGRE DE PAPIER" ou "GLOIRE À L’ESPRIT RÉVOLUTIONNAIRE". Ce fait réel, qui occupait souvent toute la communauté d’un village, a été romancé par l’auteur Ylljet Aliçka (Les Slogans de pierre) et servit ensuite au scénario du fim Slogans, du réalisateur albanais Gjergj Xhuvani. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et au dernier FFM, Slogans, une coproduction franco-albanaise, offre à la fois dépaysement et réflexion, et un retour vers un passé proche complètement surréaliste.

À la fin des années 70, André (Artur Goristhi) devient le nouveau prof de biologie d’un minuscule village de montagne, bien loin de Tirana, la capitale albanaise. La principale activité du directeur de l’école est d’attribuer des slogans à chaque classe. Et André s’aperçoit vite que le village est rythmé par ce devoir politique qui fatigue les enfants et obsède les adultes. Sous la paranoïa grandissante du secrétaire du Parti, les rumeurs et l’histoire d’amour d’André et de Diana (Luiza Xhuvani), la prof de français, vont devenir plus tragiques que comiques.

Outre la valeur documentaire du film, l’intérêt de Slogans réside dans la construction très simple de l’histoire qui, en exposant les faits sans fard, met au jour toute cette folie contagieuse. Et souvent, on ne peut que rire devant tant d’absurdité, comme l’accréditation à chacun d’un nouveau slogan; ou comme ce prof plein de bonne volonté révolutionnaire qui ne veut pas changer son slogan sur le Viêt Nam, alors que la guerre est finie. Les personnages des professeurs serviles, du directeur dictateur (Agim Qirjaqi), et particulièrement du prof de math aussi secrétaire du Parti (Birçe Hasko) ont le profil des minus a qui l’on a donné un pouvoir. Grossiers, ils sont de vraies farces ambulantes. Mais après le passage-éclair d’un ponte du Parti, qui a demandé un effort supplémentaire en "sloganmania", le film vire à l’aigre. Ce qui était drôle devient carrément tragique. Et le silence réprobateur d’André devient celui d’un homme qui a peur. Les notes finales finissent de désagréger toute construction amusante, et la folie de la dictature démontre un mécanisme autrement plus triste. Drames ordinaires qui, rappelons-le, se déroulaient pendant que l’Occident trépignait sur le disco…

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