Bully : Petit meurtre entre amis
Cinéma

Bully : Petit meurtre entre amis

Lorsque Larry Clark discute de ses mises en scène, il n’a qu’un mot en bouche: "réalisme". Aux récits imaginaires, il préfère les constats sociaux qui hurlent une urgence effrayante. Dans les années 60, Clark entame une longue série de portraits photographiques d’une jeunesse paumée qui s’anesthésie quotidiennement pour ne pas affronter sa  condition.

Lorsque Larry Clark discute de ses mises en scène, il n’a qu’un mot en bouche: "réalisme". Aux récits imaginaires, il préfère les constats sociaux qui hurlent une urgence effrayante. Dans les années 60, Clark entame une longue série de portraits photographiques d’une jeunesse paumée qui s’anesthésie quotidiennement pour ne pas affronter sa condition. Les expositions se succèdent, et la renommée du photographe se forge jusqu’à atteindre un sommet en 1995 avec la sortie de Kids, son premier film. Malgré le changement de support, Clark y poursuit la même obsession pour une jeunesse aliénée. Sous des allures insoupçonnées, on y découvrait la dérangeante misogynie de garçons à peine pubères fréquentant des jeunes filles plus que précoces.

Avec Bully, Clark signe son troisième film, et pousse encore plus loin l’audace. Tout à fait conscient de la charge que peut créer la démarche réaliste, il gravit ici un échelon supplémentaire et adapte un fait divers qui, avec l’alliage de trois "s" (sexe, sang et stupéfiants) s’assure un auditoire vendu d’avance. Le réalisme se fait parfois malsain: le reproche que l’on peut faire à Clark n’est pas tant de son intérêt pour un crime mais plutôt le traitement sensationnaliste (voire moralisateur) qui, sous couvert de "faits vécus", se permet des largesses de mise en scène qui nourrissent davantage le voyeurisme que le naturalisme. Malheureusement, ce film qui partait d’un respectable désir de comprendre la violence juvénile (les tueries de Colombine, Jonesboro, etc.) se transforme rapidement en clip léché (et faussement subversif) où les secousses sur les banquettes arrière des coupés sport semblent être filmées avec plus de soin qu’on en a mis à approfondir la désolante vacuité de la vie des jeunes dans les banlieues américaines.

Le mobile de tant d’agitation est de faire revivre au spectateur ce qui supposément faisait l’existence des sept adolescents de Floride qui, un soir de juillet 1993, décidèrent d’en finir avec Bobby Kent, en le criblant de coups de poignards avant de lui ouvrir la gorge sur le bord d’un étang grouillant de crocodiles. À voir le comportement de Bobby, on finit presque par croire qu’il l’a mérité, tant Clark en fait le portrait monolithique du parfait homme à abattre. D’une arrogance excessive, Bobby (Nick Stahl) s’était entraîné depuis son enfance à essuyer ses pieds sur Marty (Brad Renfro), son meilleur ami. D’humiliation en humiliation, ce dernier laissera mûrir l’idée soufflée par sa copine (Rachel Miner): d’en finir avec le tyran.

Après une heure de mise en place, le rapport de domination qui se faisait de plus en plus intéressant (manipulation, chantage, exploitation pornographique) s’éteint subitement, laissant place aux préparatifs du crime. Comme si Clark refermait le chapitre du sexe pour ouvrir celui du sang, qui se fera sous le signe des substances illicites et des délires hallucinogènes. Pendant tout le film, Clark se débine, évite l’analyse comme si la justification des actes allait s’imposer d’elle-même. Un exercice racoleur pour une réalité qui n’a rien de glamour.

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