Festival international du film de Toronto : Et vogue le navire!
Cinéma

Festival international du film de Toronto : Et vogue le navire!

Après les festivités de la 25e édition, le Festival de Toronto revient à une vitesse de croisière, c’est-à-dire plein moteur! De cette mer d’images émergent deux grands films: La Pianiste, de MICHAEL HANEKE, et L’Anglaise et le Duc, de ROHMER. Cinéma pas mort, mister Godard!

Entre Matthew McConaughey, faisant du bouche-à-bouche à une festivalière tombée dans les pommes, et les six heures, en vidéo noir et blanc, de La Commune (Paris, 1871), de Peter Watkins, le 26e Festival de Toronto ménage, à parts égales, le glamour et la cinéphilie pure et dure. Grosse machine parfaitement huilée, critiquée pour son "hollywoodisation" (tout comme Cannes, Venise ou Berlin), le TIFF (Toronto International Film Festival) reste incontournable, une vraie fête du cinéma, où le public averti comme les groupies, les gens de l’industrie ou ceux des médias trouvent de quoi satisfaire leurs appétits. Ce n’est pas en quatre jours de présence qu’on peut rendre compte d’un événement d’une telle envergure, mais ça donne un bon aperçu du cinéma mondial; et on attendra un autre festival (Nouveau Cinéma, peut-être?…) pour voir des films tels que Cet amour-là , avec Jeanne Moreau dans la peau de Duras, ou Trouble Every Day, de Claire Denis, avec Béatrice Dalle en anthropophage.

Sur les 14 films vus, entre deux grandes réussites (La Pianiste et L’Anglaise et le Duc) et un ratage total (Absolument fabuleux), on trouve une dizaine de longs métrages allant de la bonne surprise (Un crabe dans la tête, d’André Turpin) à la déception légère (Sur mes lèvres, de Jacques Audiard).

Ceux et celles qui ont vu Code Inconnu et Funny Games le savent: Michael Haneke ne fait pas dans la dentelle. Avec La Pianiste, il explore la liaison destructrice entre une professeure de piano (Isabelle Huppert), quadragénaire fermée à double tour, vivant avec une mère possessive (Annie Girardot), et un de ses étudiants (Benoît Magimel), jeune Roméo, qui en aura pour son argent. Avec la précision d’un entomologiste, le cinéaste autrichien pose un regard implacable sur la psyché d’une femme sous influence, il aligne les séquences-chocs, et donne à Huppert, Prix d’interprétation à Cannes, un rôle écrasant, que la comédienne, sidérante, assume jusqu’au bout. Un film dur et magistral.

Dans un tout autre registre, Éric Rohmer a adapté les mémoires de Grace Elliott (Lucy Russell), aristocrate écossaise, témoin privilégié de la Révolution française, et amante du duc d’Orléans (Jean-Claude Dreyfus). Objet unique et incroyablement séduisant, L’Anglaise et le Duc a été tourné en numérique, les comédiens étant insérés dans des reproductions d’époque numérisées. À 81 ans, Rohmer étonne encore, et parvient à marier technologie et tradition pour un film magnifique, véritable documentaire d’auteur sur le 18e siècle. Un pur délice.

Six ans après la facture expérimentale de Zigrail, André Turpin, talentueux directeur-photo de Cosmos et de Maelström, revient à la réalisation avec Un crabe dans la tête, comédie doucement existentielle sur un photographe (David La Haye), charmeur et fuyant, qui, de retour forcé à Montréal, après un accident de plongée dans l’océan Indien, doit confronter sa peur pathologique de l’affrontement, et sa hantise de ne pas plaire. En effet, qu’il s’agisse de son agent, de son meilleur ami (Emmanuel Bilodeau) ou d’une journaliste (Isabelle Blais) dont il tombe amoureux, le "beau crabe" louvoie, marche de côté et se recroqueville dans sa coquille quand le danger s’approche. Avec ce portrait compatissant, mais sans complaisance, de l’homo quebecencis, et de sa gentillesse intrinsèque, Turpin arrive là où on ne l’attendait pas, avec un film simple et sincère, porté par un David La Haye en grande forme. On en reparle à la sortie en salle.

Si vous aimez l’effet Mission: Impossible (une équipe qui prépare et exécute un coup), vous adorerez Heist, de David Mamet, dans lequel Gene Hackman, Danny DeVito et Rebecca Pidgeon s’amusent comme des petits fous avec les dialogues cinq étoiles de Mamet, répliques cinglantes à la Pulp Fiction, sur une histoire tordue au possible, et racontée de façon limpide, dans laquelle personne n’est à l’abri de la trahison, et où il y a plus de volte-face que dans une campagne électorale. Écrit et réalisé par Patrick Stettner, The Business of Strangers a quelque chose de l’univers de Mamet, duel trouble entre une femme d’affaires dans la quarantaine (Stockard Channing) et une jeune fille qui n’a pas froid aux yeux (Julia Stiles), toutes deux coincées dans un hôtel. Ce huis clos où le chat et la souris se font prendre à leur propre piège vaut surtout pour les deux actrices, diaboliquement vulnérables, et inversement…

A priori, un film Dogme 95 sur le quotidien de Danois vivant dans une banlieue grise de Copenhague, et comptant trois funérailles, une mise au chômage et un homme impuissant, n’évoque pas tout de suite la comédie. Et pourtant, contre toute attente, Italian for Beginners est ce que les Américains appellent un feelgood movie, ceux dont on sort avec le sourire. En effet, la réalisatrice Lone Scherfig est parvenue à mettre de l’avant l’humanité et l’humour de cette poignée de personnages blessés par la vie, sans jamais en sacrifier les nuances ou la crédibilité. Une belle petite surprise.

Coproduction franco-québécoise, Le Pornographe, de Bertrand Bonello (Quelque chose d’organique), montre un réalisateur de films pornos (Jean-Pierre Léaud) qui, 15 ans après avoir pris sa retraite, se voit contraint, pour rembourser ses dettes, de refilmer de la fesse. Mais le cul n’est plus ce qu’il était, et, alors que son fils (Jérémie Rénier) renoue avec lui, le pornographe vieillissant mesurera le gouffre entre la vie rêvée et la vie réelle. La grande idée de ce film cérébral au possible, c’est d’avoir choisi Léaud. Avec son physique hors d’âge, son débit unique, la tension constante qu’il maintient dans son jeu décalé, le "vieux petit garçon" du cinéma français donne une épaisseur émouvante à ce film intègre, belle réflexion sur le cinéma, sur ses vérités et ses mensonges.

Dans le reste de la programmation française, pas grand-chose à signaler dans les premiers jours. Passons rapidement sur Absolument fabuleux, de Gabriel Aghion (Pédale douce), adaptation gauloise d’Absolutely Fabulous, dans laquelle Josiane Balasko et Nathalie Baye ont l’air de s’éclater, sans nous arracher un seul sourire. Une pochade aussi lourde et indigeste que prévu. La déception est plus marquée avec Sur mes lèvres, de Jacques Audiard (Un héros si discret), chronique longuette de l’emprise grandissante qu’exercent l’un sur l’autre une secrétaire sourde (Emmanuelle Devos) et son assistant (Vincent Cassel), tout juste sorti de prison. Sur un scénario d’Audiard et de Tonino Benacquista, ce film, aux accents lyriques un peu poussifs démarre bien, mais s’étiole au fur et à mesure qu’il avance.

Pas mauvais, mais pas franchement bon, Le Lait de la tendresse humaine (quel titre!), de Dominique Cabrera, explore un sujet prometteur (la dépression post-partum), mais s’égare dans des intrigues secondaires, qui diluent la force de l’enjeu principal. Dommage, les acteurs sont tous excellents, de Maryline Canto, en jeune mère au bord de la folie, à Dominique Blanc et Sergi Lopez, en voisins compatissants, en passant par Patrick Bruel, qui apporte à son personnage de mari dépassé par les événements du caractère et une profondeur nouvelle.

Le cinéma indépendant américain, quant à lui, se porte bien, mais ne se renouvelle pas beaucoup. Après Go Fish, Rose Troche a écrit et réalisé The Safety of Objects, portraits entrecroisés de quatre familles de banlieue, aux prises avec le chômage, le divorce, ou la maladie. Bien ficelée, mais aussi lourdement explicatif d’un soap opera, cette mosaïque est bien menée, bien jouée (Glenn Close, Moira Kelly, Dermot Mulroney), mais Happiness et The Ice Storm ont dépeint l’existentialisme banlieusard avec autrement plus de force. Même constat de déjà vu pour Sidewalks of New York, comédie grinçante pas mauvaise, mais sans plus, dans laquelle Ed Burns suit les déboires de quelques couples de Manhattan, dont Heather Graham et Stanley Tucci, délicieux en couple de l’Upper East Side. Dommage que Woody Allen soit déjà passé par là…

Avec près de 20 films programmés, le cinéma japonais est un fer de lance du festival. Cette année, hormis Warm Water Under a Red Bridge, découvert à Cannes, soulignons Distance, d’Hirokazu Kore-Eda, qui, trois ans après After Life, revient avec une autre histoire de deuil, cette fois-ci autour de la commémoration des victimes du massacre de la secte The Ark of Truth, mais qui renoue avec le rythme lent et méditatif de ses débuts. Ce n’est pas inintéressant, mais, à 132 minutes, c’est vraiment très méditatif… Sur un rythme beaucoup plus énergique, Hush!, de Ryosuke Hashiguchi, suit un trio improbable, composé d’une jeune femme dépressive, qui demande à un couple de gais de lui faire un enfant. Ce pourrait être du Almodovar au pays du Soleil levant. Ça réussit à être crédible, réjouissant et frais.