FCMM : Sur mesure
Cinéma

FCMM : Sur mesure

Des films, encore des films, toujours plus de films. Tous azimuts et tous horizons, avec la qualité en appât: le FCMM fête bien ses 30 ans d’existence. Premiers aperçus d’un festival plus costaud que jamais.

On peut tourner l’événement dans tous les sens; passer au crible la programmation, l’installation des salles, le choix des invités; disséquer les ateliers, les forums, les interventions; évaluer les choix éditoriaux, l’approche au contenu, les orientations thématiques, les avenues formelles exploitées, les idées de diffusion et les chemises de Claude Chamberlan: le Festival international du nouveau cinéma et des nouveaux médias a tout bon. Il est l’un des événements majeurs d’une ville qui est son miroir. Totalement en osmose avec le Montréal d’aujourd’hui, le FCMM est à la fois central et dans la marge; avec quelques encablures d’avance sur la moyenne des ours en matière de technologie. Il se fait de plus en plus professionnel mais reste bohème, et garde toujours une porte résolument ouverte sur les cinémas d’ailleurs. On peut parler de parti pris; mais qui s’en soucie: mieux vaut discuter des choix de vrais programmateurs qui, en fêtant le 30e anniversaire d’existence du FCMM, réussissent à nous en mettre plein la vue avec une collection de films solide et excitante. Après la tournée des festivals de cinéma depuis le début de l’année, d’être aussi alléchant n’est pas une mince affaire.

Les films à-voir
Ils nous sont peut-être passés sous le nez au moment de leur première projection, mais ils sont restés en mémoire. On les attend au tournant. Même les sceptiques de Manoel de Oliveira semblent séduits: Je rentre à la maison, présenté à Cannes, fait l’unanimité. Il met en scène le grand Piccoli, acteur de théâtre frappé par la tragédie, et qui s’accroche à la vie. Dans un autre registre, pour avoir le coeur au bord des lèvres: Trouble Every Day, de Claire Denis. La réalisatrice de Nénette et Boni et de Chocolat fait naviguer en eaux troubles, entre amour et carnage, Vincent Gallo et Béatrice Dalle. C’est l’amour à mort dans sa version la plus sanguinaire. Dog Days, de l’Autrichien Ulrich Seidl, risque de frapper aussi très fort, avec sexe et violence au menu. Restons dans la même veine, avec plus de cuir: 90 minutes de fantasme mâle, de la part de Joao Pedro Rodrigues, avec O Fantasma. Mais pour un aperçu plus large du cinéma portugais, le FCMM propose une mise à l’honneur du cinéma lusitanien avec 10 longs métrages et quatre courts. Encore un cinéma qui n’a rien de monolithique…

Parce que son film Ressources humaines nous avait surpris par son réalisme social, on attend beaucoup de L’Emploi du temps, de Laurent Cantet, avec Karin Viard. Parce qu’il est dans une case à part, entre la peinture et l’image en mouvement, Alexandre Sokurov est inévitable. Après quelques jours dans la vie d’Hitler (Moloch), voici les derniers jours de Lénine (Taurus). On avait adoré Voyages et son adorable court métrage Mme Jacques sur la Croisette; on attend donc avec impatience le mini-court (6 minutes), d’Emmanuel Finkiel, Mardi ou Mercredi. Catherine Breillat a choisi le FCMM pour la première nord-américaine de Brève Traversée, dernier film tout chaud, tout neuf après À ma soeur!. Millenium Mambo, de Hou Hsiao-hsien, a redonné un coup de fouet aux derniers jours de Cannes. Même réduit de plusieurs minutes, cela ne change rien au regard du cinéaste de La Cité des douleurs et du Maître des marionnettes sur les jeunes filles déjà fanées avant d’avoir fleuri. Héros du cinéma iranien, Abbas Kiarostami nous offre un long documentaire, ABC Africa, un florilège de visages d’enfants ougandais qui ont perdu leurs parents à cause du sida. On est aussi curieux d’Ouarzazate Movie, d’Ali Essafi, un film sur les figurants au cinéma; d’En quête des soeurs Papin, de Claude Ventura, documentaire précis sur les célèbres bonnes meurtrières. Et le réalisateur qui aime cracher dans la soupe, Pierre Carles, revient avec un documentaire-choc sur Pierre Bourdieu après son Pas vu, pas pris: La sociologie est un sport de combat. Quant au Canadien Daniel Cross, qui avait fait un documentaire précis et dur avec The Street, il plante de nouveau sa caméra dehors avec S.P.I.T.: Squeegee Punks in Traffic.

Les déjà-vus

Va savoir
Qu’on se le répète, c’est encourageant: ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on a l’esprit ramolli. Jacques Rivette (73 ans) était un créateur étonnant du temps de sa jeunesse "nouvelle-vaguienne" avec L’Amour fou; il était brillant au moment de Céline et Julie vont en bateau, et ces derniers temps, il se bonifiait avec La Belle Noiseuse, Jeanne la Pucelle et Secret Défense. Avec Va savoir, il surprend encore.

Comédie douce-amère qui se joue avec sorties côté cour, marivaudage, larmes, duel, manipulatrice et fausses ingénues: Va savoir baigne dans le théâtre, dans son sujet comme dans son rythme. Une façon de faire un peu ancienne, mais toujours pertinente. Entre Pirandello et Goldoni, une actrice amoureuse, un metteur en scène passionné, un ex-philosophe et une troublante jeune première: c’est Paris que Rivette met sur les planches, avec une infinie délicatesse et beaucoup de légèreté. Superbes présences de Jeanne Balibar (à qui on aurait donné une palme), Sergio Castellitto et Jacques Bonnaffé. (J. R.)

Kandahar
Les films de Moshen Makhmalbaf font chaque fois l’événement. Après Salaam Cinéma, Gabbeh, Un instant d’innocence et Le Silence, le cinéaste s’engage sur un terrain glissant. Et à la lumière de la tragédie terroriste, Kandahar risque de faire parler de lui.

Une journaliste afghane, réfugiée au Canada, reçoit une lettre désespérée de sa soeur restée au pays des talibans, et qui veut se suicider. Elle part la rejoindre et tente de traverser la frontière irano-afghane. Un périple aux allures de road-movie, avec des rencontres souvent incongrues, parfois drôles, qui éclairent quelques problèmes de la région: le fanatisme, la misère et l’oppression qui pèsent sur un peuple éclopé et pris au piège. On a reproché au film un vernis un peu Nouvelles Frontières. Kandahar est une fiction d’artiste, pas un documentaire. La mise en images est magnifique, et la mise en scène réelle. Ce qui n’enlève rien au cynisme du regard. (J. R.)

Atarnarjuat, l’homme rapide
Si rapide qu’il a surpris tout le monde. Premier long métrage en inuktitut de Zacharias Kunuk, filmé à Igloolik dans le Nunavut, avec des acteurs et des techniciens de la région, Atarnarjuat, l’homme rapide a gagné la Caméra d’or à Cannes. Il faut dire que l’authenticité qui se dégage de ce film séduit immédiatement.

On y raconte une légende inuit ancestrale et célèbre, retransmise de génération en génération; allégorie de vie, de tolérance et de conduite d’un peuple. C’était avant l’arrivée des Blancs du Sud, quand les Inuits étaient nomades, en état de survie perpétuelle et sous l’emprise des chamans. Deux frères s’imposent pour contrer les forces du mal: Amaqjuaq, l’homme fort, et Atarnarjuat, l’homme rapide. Ce dernier épouse la belle Atuat, jadis promise au vil Oki, qui se venge. Atarnarjuat échappe à la mort en courant nu sur la banquise et brise le cycle de la violence. Images réellement superbes, où le décor est un personnage; mise en scène simple et précise. Un peuple qui sait se filmer et se raconter au passé; l’affirmation d’existence est vibrante. (J. R.)

Mullholland Drive
Mullholland Drive est une route dangereuse, un endroit à la fois spectaculaire et angoissant: le cocktail parfait pour représenter Hollywood selon David Lynch. Mais s’il n’y avait que la route… Dans l’esprit tordu de Lynch, pour qu’une allégorie sur Hollywood soit complète, il faut du baroque, du malsain, de la peur, du sexe, et la musique de Badalamenti. Il faut ménager les venues d’un homme avec un masque noir, l’apparition de petits bonshommes qui marchent sous la porte, les démêlés d’un réalisateur pris au piège de l’industrie (amusant Justin Theroux), la pègre tentaculaire et forcément obscure, et surtout, la chute et la désillusion des acteurs: la blonde Naomi Watts et la brune Laura Elena Harring, deux bombes lâchées dans l’univers lynchien.

Fumisterie pédante ou style de plus en plus affiné? L’univers de David Lynch reste une énigme, mais sa mise en scène (primée à Cannes) est fantastique. Plus facile que l’insupportable Lost Highway, on retrouve dans Mullholland Drive le vitriol de Blue Velvet et l’humour de Wild at Heart. Incontournable. (J. R.)

La Pianiste
Ça commence raide, avec une engueulade musclée entre une prof de piano (Isabelle Huppert) et sa mère (Annie Girardot), avec qui elle partage un appartement, à Vienne. Ça se poursuit dans la même veine, alors que la musicienne, adepte des peep-shows, est courtisée par un de ses élèves (Benoît Magimel), qui apprendra, à ses dépens, qu’on ne joue pas impunément dans les eaux troubles de la sexualité…

Découpant son récit en longs plans-séquences, parsemés de scènes-chocs, Michael Haneke (Code inconnu) pose un regard implacable sur la psyché d’une femme sous influence, et filme de front la violence des rapports qu’on dit amoureux. Ce n’est pas la première fois que Huppert incarne un "monstre", mais ici, elle se dépasse, et parvient encore à lui donner humanité et profondeur. Du grand art. (É. F.)

Le Pornographe
Tout film avec Jean-Pierre Léaud vaut la peine d’être vu, surtout quand il incarne un réalisateur de films pornos… Coproduit par la France et le Québec, le second long métrage de Bertrand Bonello (Quelque chose d’organique) suit le parcours d’un pornographe qui, 15 ans après avoir rangé sa caméra, s’y remet. Entre le cul, qui a bien changé, sa femme (Dominique Blanc), dont il se détache, et son fils (Jérémie Régnier), qui renoue avec lui, le quinquagénaire trouvera-t-il la sortie?

Oui, il y a une scène hardcore dans Le Pornographe (c’est la moindre des choses, vu le sujet), mais c’est avant tout le portrait d’un homme en crise et ses retrouvailles avec son fils qui constituent le coeur de ce film cérébral dans sa conception, et musical dans son rythme. Toujours aussi révolutionnaire, dans son jeu décalé, exempt de psychologie, Léaud apporte une épaisseur émouvante à ce film intègre, réflexion pointue sur le cinéma. (É. F.)

Un crabe dans la tête
Après un accident de plongée, un photographe (David La Haye) est obligé de rester à Montréal. Séducteur naturel, de ceux qui ne savent pas dire non, et qui, à force de vouloir plaire, font plus de mal que de bien, il sèmera la pagaille chez ses proches, et surtout en lui. Au début de la trentaine, l’heure des premières mises au point est arrivée…

Après Zigrail, il aura fallu attendre six ans pour voir un second long métrage d’André Turpin. Ça valait la peine, d’autant plus que celui qu’on connaît surtout pour son travail de directeur-photo (Cosmos, Maelström) arrive là où on ne l’attendait pas, avec cette comédie doucement existentielle. Un film humble dans sa simplicité, généreux dans son approche, et où David La Haye confirme, une fois de plus, son immense talent. (É. F.)

Italien pour débutants
Ils sont cinq, deux femmes et trois hommes, à se débattre pour garder la tête hors de l’eau, alors qu’un nouveau pasteur débarque dans la paroisse. C’est dans un cours d’italien que leurs destins se croiseront, pour le meilleur plutôt que pour le pire.

Au Festival de Toronto, les gens des médias et de l’industrie applaudirent chaleureusement le film de Lone Sherfig, pratique rare pour ce public a priori difficile. Ça donne une idée de l’enthousiasme suscité par ce surprenant petit film danois. Malgré la facture Dogma, et ses personnages paumés dans une banlieue de Copenhague, Italien pour débutants évoque plus Marius et Jeannette que Les Idiots. À l’instar de Guédiguian, la réalisatrice ne gomme pas les grandes et petites tragédies de la vie (chômage, divorce, deuil, alcoolisme, impuissance), mais les intègre sans complaisance, et avec un humour qui sonne vrai. Une vraie découverte. (É. F.)

The Business of Strangers
Alors que leur vol a été annulé, deux femmes se rencontrent à l’hôtel où elles doivent passer la nuit. L’une est dans les affaires (Stockard Channing), l’autre (Julia Stiles), vraiment pas. La nuit sera décisive, pour l’une et pour l’autre…

Écrit et réalisé par Patrick Stettner, The Business of Strangers est un brillant premier film. Sans révolutionner l’art du huis clos psychologique, les dialogues ont la brillance et la cruauté de ceux de Mamet. Et puis, Stockard Channing est certainement la plus sous-estimée des comédiennes américaines, naturelle jusqu’aux bouts des ongles, tantôt impitoyable, tantôt vulnérable. Face à elle, Julia Stiles se défend très bien. Un beau duo d’actrices. (É. F.)

L’Anglaise et le Duc
À 81 ans, Éric Rohmer surprend encore avec cette remarquable adaptation des mémoires de Grace Elliott (Lucy Russell), aristocrate écossaise, témoin privilégié de la Révolution française, liée au duc d’Orléans (Jean-Claude Dreyfus).

Tourné en digital, les comédiens jouant devant des reproductions d’époque numérisées, L’Anglaise et le Duc marie, avec élégance, technologie et tradition. Servi par ce trucage, plutôt que d’en être l’esclave, ce film incroyablement séduisant est un véritable documentaire d’auteur sur le 18e siècle. Un pur délice. (É. F.)

Sous le sable
Présenté, l’an dernier, au FFM et à Toronto, le quatrième long métrage de François Ozon (Sitcom, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes) atterrit, aujourd’hui, au FCMM. Mystère des dédales de la distribution…

Chronique d’une mélancolie poignante sur le désarroi d’une femme (Charlotte Rampling) dont le mari (Bruno Crémer) est disparu lors d’une promenade sur la plage, Sous le sable montre déjà les signes d’une précoce maturité, chez ce jeune cinéaste, qui adopte, ici, un style impeccablement précis et sobre. Et puis, Charlotte Rampling dans un premier rôle, ça vaut le détour… (É. F.)

Carrément à l’ouest
Bon an, mal an, avec la régularité d’un Woody Allen hexagonal, Jacques Doillon nous sert un film où il décortique la carte du tendre avec une précision maniaque. De La femme qui pleure au Jeune Werther, naviguant entre le succès consensuel de Ponette et les grincements de dents de La Pirate, il a bâti une oeuvre, sinon égale, du moins conséquente.

Avec Carrément à l’ouest, il marie la tendance prolo de Petits Frères aux marivaudages de L’Amoureuse. Pendant une nuit, dans la suite d’un hôtel de luxe, deux jeunes Parisiennes (Lou Doillon et Caroline Ducey) et un loubard de banlieue (Guillaume Saurel) jouent au chat et à la souris. Cris et chuchotements, lutte de classes et joutes verbales, argot théâtralisé et mise en scène musicale, acteurs exaspérants de réalisme: Doillon trace le même sillon, et signe un exercice de style qui ne séduira que les inconditionnels. Les autres grinceront des dents… (É. F.)

Billets en vente à partir du 6 octobre
À Ex-Centris
FCMM
11-21 octobre