Le Banquet : Pour la suite du monde
Cinéma

Le Banquet : Pour la suite du monde

Dans Le Banquet, le plus abouti de ses trois films, Sébastien Rose signe un constat plutôt pessimiste, quoique non dénué d’espoir, de l’état de notre société.

Campé en grande partie à l’université, laquelle est un personnage à part entière, à l’instar de la maison familiale dans le précédent film de Sébastien Rose (La Vie avec mon père), Le Banquet, coécrit avec Hubert-Yves Rose (La Ligne de chaleur, qui traitait de la filiation), met en scène six individus dont les destins seront liés lors d’une révolution étudiante. Si, au Banquet de Platon, sept personnages dissertaient sur l’amour, chez les Rose père et fils, on s’interroge sur l’éducation.

"Dans mon film, le banquet, c’est le lieu où tout converge, explique le réalisateur. Dans la tradition en Grèce antique, c’est un espace de réflexion et c’est cela que je veux proposer aux spectateurs. Je ne voulais pas faire un film univoque, mais un film ouvert où je pouvais partager mes interrogations avec le public. Depuis trois ans, les universités québécoises sont en déficit et c’est un problème auquel il faut réfléchir. À la base, je veux piquer, secouer les gens… ce que j’aurais dû faire dès mon premier film où je traitais aussi de la filiation (rires). Cette fois, j’applique la filiation à la société."

Parmi les personnages, évolue celui de Bertrand, professeur blasé n’ayant pas pour autant perdu son désir de partager sa passion pour le cinéma québécois. À travers Bertrand, qu’incarne Alexis Martin, Rose exprime tout haut ce que certains n’oseraient penser tout bas.

"On a voulu mettre de force tout le monde à l’école, avance l’acteur, c’était une révolution draconienne, laquelle a été nécessaire à l’époque pour rattraper un retard énorme. Le film de Sébastien témoigne du fait qu’il faudrait peut-être un retour du balancier. Son message le plus pessimiste, c’est de dire pourquoi on laisse aller des gens qui ne sont pas à leur place à l’université malgré qu’ils n’aient pas les outils pour se battre. Je pense que c’est le discours de Sébastien, qui l’a vécu de l’intérieur en enseignant au cégep. Je ne suis pas un expert, mais j’ai un peu adhéré à ce qu’il dit."

Ainsi, Bertrand trouvera en Stéphane (Émile Proulx-Cloutier) un étudiant réceptif au savoir qu’il veut transmettre. Tout le contraire de Gilbert (Benoît McGiniss), un étudiant ne sachant pas vraiment où se trouve sa place à l’université et qui viendra empoisonner l’existence de Bertrand avec ses revendications puériles.

"Je pense vraiment qu’il y a un nivellement par le bas et c’est inquiétant, mais en même temps, tout n’est pas noir pour Sébastien Rose. Il y a encore du monde qui s’intéresse à ce qui s’est fait avant les années 80. Ce qui m’intéresse, c’est la situation at large, il n’y a pas un coupable, c’est un problème sociétal. Les vieux comme les jeunes ont leur part de responsabilité dans ce qui arrive."

Alexis Martin ajoute: "On vient tous du bois, de la terre; l’héritage canadien-français devrait nous mettre ça dans le coeur naturellement. Mon père (ndlr: le journaliste Louis Martin) m’a appris que c’était noble d’être charpentier, d’être une bonne cuisinière. Je pense qu’il faut revaloriser ces emplois-là. Ce n’est pas honteux de dire que ce n’est pas tout le monde qui va aller à l’université, qui a les mêmes capacités académiques. Il y a une espèce d’hypocrisie dans l’égalitarisme à tout crin."

CHERCHER LA FEMME

Hors des murs de l’université, Natasha (Catherine de Léan), toxicomane et mère de famille monoparentale, se bat pour vivre. Loin d’elle l’idée de se perdre dans les livres ou de manifester pour son droit à l’éducation: "Ce qui me plaisait le plus dans l’idée de tourner dans Le Banquet, se souvient la comédienne, c’était de faire partie d’un film engagé, qui veut parler de la transmission des valeurs. Comme interprète, on ne choisit pas toujours ce que l’on dit, mais avec un tel sujet, tout le monde se sentira interpellé."

Véritable satellite, Natasha est aussi le seul personnage féminin parmi six personnages centraux. Sébastien prétend qu’il s’agit du fruit du hasard. "Pour moi, les sexes sont interchangeables dans mon film. J’ai même auditionné des actrices pour jouer certains des personnages masculins. Je trouvais que la dynamique entre le prof et son étudiant était plus intéressante entre deux hommes. Si j’avais amené une étudiante là-dedans, on aurait pu aller dans le cliché du prof qui couche avec son étudiante et je ne voulais pas aller là, même si je l’aborde par la bande – on ne peut pas ne pas en parler!"

Pour Catherine de Léan, ce n’est pas le fait d’être la seule femme qui l’a étonnée, mais celui d’être si en périphérie du récit: "À la lecture du scénario, je l’ai vue comme une fille en réaction à tout ce qu’on a essayé de lui transmettre, qui fait un "fuck you!" gros comme ça à tout le monde. C’est un personnage très périphérique et j’étais convaincue que j’allais être coupée au montage!"

AU NOM DU PERE

Dans Le Banquet, Sébastien Rose salue, à l’aide d’extraits de films, nos grands réalisateurs, tel Gilles Groulx (Le Chat dans le sac) pour qui un cinéaste se devait d’être aussi un journaliste: "Avec ce film-là, je voulais vraiment m’inscrire dans cette pensée, confie Rose. Groulx, c’était vraiment l’inspiration. Il disait que le devoir du cinéaste, c’était de questionner le monde. Durant le processus créatif du Banquet, je me suis demandé pourquoi je faisais ce film-là. Mon devoir, c’était d’interroger le Québec sur ce qui se passe maintenant. On a parlé de santé pendant 10 ans, et je crois que l’éducation sera le prochain gros dossier."

Aux côtés de Groulx, Rose oppose les figures tragiques d’Hubert Aquin (L’Antiphonaire) et de Claude Jutra (Mon oncle Antoine): "Pourquoi nos grands créateurs se tuent? s’exclame-t-il. On les tue, nos intellectuels! On les veut pas! Jean-Claude Lauzon se serait tué, qui sait, il s’est peut-être tué. Pour moi, Aquin représente l’appel à la révolution. C’est aussi le suicide du Québec! On est une société suicidaire! Je pense que la société occidentale est suicidaire. On a vécu trois tueries en milieu scolaire au Québec, fuck, comme geste nihiliste, on ne peut pas aller plus loin que ça! Il y a quelque chose d’assez heavy là-dedans. D’où ça part? De la Révolution tranquille? Est-ce qu’on a tout fait sauter trop vite?"

Et d’avancer Alexis Martin sur un ton plus modéré: "Le film, que je vois comme une fable, a le mérite de soulever des questions importantes et j’espère que la conclusion ne va pas enterrer les questions fondamentales quant à ce qu’on veut faire de notre système d’éducation."

À voir si vous aimez /
La Vie avec mon père de Sébastien Rose, Le Chat dans le sac de Gilles Groulx, Prochain Épisode d’Hubert Aquin

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LE BANQUET

Impossible de rester de glace devant Le Banquet auquel nous convie Sébastien Rose tant on y en prend plein la gueule. Film choral douloureusement pessimiste sur la filiation, ce long métrage coécrit avec Hubert-Yves Rose permet au réalisateur de délaisser l’humour de sitcom de Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause et la douce gravité de La Vie avec mon père pour embrasser avec un égal bonheur la tragédie.

Démontrant plus de maturité d’un film à l’autre, Sébastien Rose sait également se faire plus audacieux. Fort d’une caméra mobile, d’un montage dynamique et d’un rythme haletant, Le Banquet s’avère un constat d’une lucidité percutante de notre société, laquelle se souvient plus ou moins bien de son passé en regardant non sans crainte son avenir, et une critique d’une insolente pertinence du droit à l’éducation. À elles seules, les scènes où Alexis Martin balance des répliques assassines mais pleines de sens se révèlent de véritables moments d’anthologie. Sans doute s’en trouvera-t-il pour applaudir certaines de ses réparties aussi savoureuses que sévères.
Si les liens coulent de source entre les destins de l’ambitieux recteur (Raymond Bouchard, égal à lui-même), du prof blasé (Martin, qui domine la distribution), du leader étudiant (Frédéric Pierre, très bien), de l’étudiant révolutionnaire (Pierre-Antoine Lasnier, convaincant) et du cancre (Benoît McGiniss, déstabilisant), on se demandera jusqu’à la fin ce que peut bien apporter celui de la jeune mère paumée (Catherine de Léan, crédible), sinon donner plus de couleur et de profondeur à l’un des cinq autres personnages centraux. Bien que ce détail agace, il n’empêchera certainement personne de s’accrocher au captivant récit.

Hommage senti à nos génies disparus (les cinéastes Jutra, Groulx et Perrault, l’écrivain Aquin), Le Banquet s’inscrit parfaitement dans la mouvance d’un cinéma québécois qui interroge, critique et interpelle. Un film comme on en voit trop peu, quoi.