Journal d'un coopérant : Que Dieu bénisse l'Afrique
Cinéma

Journal d’un coopérant : Que Dieu bénisse l’Afrique

Écrit, réalisé et interprété par Robert Morin, Journal d’un coopérant s’interroge sur les limites de la coopération en Afrique.

Tourné l’été dernier au Burundi, Journal d’un coopérant est le fruit de l’union entre le cinéma et le Web. Du 3 décembre au 29 janvier, Robert Morin a publié en ligne des capsules le mettant en vedette dans la peau de son personnage, le coopérant Jean-Marc Phaneuf. Sur ce blogue, il invitait les internautes à communiquer avec lui par écrit, par document audio ou vidéo afin de changer le cours du récit.

"Je voulais voir comment le net pouvait relancer l’histoire dans sa structure, explique-t-il. J’ai retourné des scènes en fonction de certains commentaires, j’en ai coupé, changé de place, etc. C’était un exercice de réflexion plus que d’absorption. J’ai reçu quelque 200 pages d’écriture, mais peu de commentaires vidéo. Finalement, plutôt que de trouver un moyen de les inclure dans le film, je me suis dit que je ferais de la redondance puisque les spectateurs pourraient avoir les mêmes réflexions."

C’est lors du tournage d’Un dimanche à Kigali, pour lequel sa conjointe André-Line Beauparlant signait la direction artistique, que Morin a découvert l’Afrique: "Je m’attendais à me sentir déraciné comme n’importe qui allant en Afrique et j’ai eu un énorme choc arrivé là-bas. Le plus gros choc que j’ai eu, ce sont les Blancs qui me l’ont donné: de voir la quantité d’ONG, les camions blancs tout propres dans les rues de Kigali. Il y a un système de castes effrayant… Dans les restos, on voit des Blancs avec de très jeunes femmes. C’est le jet-set de la coopération! La majorité des coopérations font du travail de bureau dans les grandes villes, peu font du travail de terrain comme les religieux et Médecins sans frontières."

Armé de sa caméra, l’alter ego de Morin découvrira bientôt que la coopération évoque une forme de néo-colonialisme: "C’est du colonialisme, poursuit-il, mais c’est plus insidieux. Dans certains cas, il se fait des bonnes choses, mais ce peu de bonnes choses cache énormément de magouilles, de vols, de malversations, de corruption. L’altruisme est dilué dans d’autres choses. Certains joignent l’utile à l’agréable. Si cet argent était donné de bonne foi, il y a longtemps qu’on aurait enquêté sur son inefficacité."

À ceux qui voudraient apprendre les rudiments de la coopération, sachez que Robert Morin et le didactisme font deux: "Le cinéma n’est pas fait pour expliquer les choses. Dans une heure et demie, tu ne peux pas tout dire. Je ne suis pas journaliste ni spécialiste de la coopération; je ne voulais pas rentrer dans les détails, mais essayer d’expliquer en petites séquences ce que c’était. Par ailleurs, je suis aussi intéressé par la dramaturgie, comment les problèmes sociopolitiques finissent par influer sur la vie d’un individu."

"Le drame de Jean-Marc Phaneuf m’intéresse plus que la coopération. Je voulais montrer que tout n’est pas noir et blanc; il y a beaucoup de gris. On se rend compte qu’il n’est pas si facile de trancher lorsqu’on rentre dans ces réalités-là. Jean-Marc part avec de bonnes intentions, mais il perd rapidement ses illusions. En fait, c’est l’histoire d’un homme naïf qui s’écroule, qui s’accroche à un monde enfantin", conclut le réalisateur.

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JOURNAL D’UN COOPÉRANT

L’électronicien Jean-Marc Phaneuf (Robert Morin, en pleine possession de ses moyens) se rend pour la première fois en Afrique afin d’y travailler pour l’ONG Radio du monde. S’amusant à filmer ses collègues à leur insu, Phaneuf se confie face à la caméra avec une étonnante candeur et interroge les gens qui l’entourent avec une curiosité désarmante. De cette façon, Morin installe une complicité instantanée entre son personnage et le spectateur… ce qui rendra la suite d’autant plus bouleversante alors que le récit bascule doucement et irrémédiablement vers l’impensable. De fait, impuissant face aux limites de la coopération, à la corruption politique et à la violence, Phaneuf fuit dans un monde virtuel et se livre à des gestes condamnables. Rarement l’emploi de la métaphore aura été aussi percutant et lourd de sens. Fidèle à lui-même, Morin signe un film rentre-dedans, bien que moins cru et moins frontal que les précédents, qui pose des questions pertinentes, voire cruciales, quant aux relations entre les pays dits civilisés et ceux du Tiers-Monde.