63e Festival de Cannes : La mort vous va si bien
Cinéma

63e Festival de Cannes : La mort vous va si bien

Au 63e Festival de Cannes, les films, dont plusieurs abordent frontalement la mort, passent devant un public semblable au temps cannois des derniers jours, c’est-à-dire plutôt tiède.

Pour des raisons hors de notre contrôle (bris de moteur et volcan islandais), il nous fut impossible d’arriver à temps pour le film d’ouverture du Festival, Robin Hood de Ridley Scott, de même que pour la conférence de presse du président du jury, Tim Burton. Toutefois, le timing était parfait pour attraper la projection du premier film en compétition, Tournée de Mathieu Amalric.

Hélas! si les critiques français ont crié au génie devant ce film célébrant les courbes voluptueuses des danseuses d’une troupe de new burlesque que promène à travers la France un antipathique producteur (Amalric, qui clope, clope et re-clope), ce ne fut pas notre cas… Certes, il y a de beaux moments qui rappellent le cinéma-vérité alors que l’on croque sur le vif ces femmes lourdement fardées dans leur intimité, de même que des scènes d’un humour rafraîchissant, mais au final, on a l’impression, à l’instar des danseuses, de s’être fait berner par Amalric.

Au jour 2, le cinéma asiatique a relevé avec bonheur la compétition, à commencer par le très beau drame intimiste du Chinois Wang Xiaoshuai, Chongqing Blues, où l’on suit un père (extraordinaire Wang Xueqi, sérieux candidat pour le prix d’interprétation masculine) dans sa quête de la vérité sur la mort de son fils. Une magnifique réflexion sur le deuil et l’abandon doublée d’une prenante peinture sociale.

Pour sa part, le Sud-Coréen Im Sangsoo propose un mélodrame aux jouissifs glissements de ton avec The Housemaid, où la lauréate du prix d’interprétation en 2007, l’excellente Jeon Do-Youn (Secret Sunshine de Lee Chang-dong), incarne la nouvelle gouvernante d’une famille qui aura le malheur de céder aux avances de son maître (Lee Jung-Jae, arborant une palette de chocolat finement ciselée). Personnages excessifs, humour décapant et pornographie immobilière en prime.

Jour 3: Aucun film en compétition n’a été présenté. Jour 4: De loin l’un des meilleurs films de la compétition, Another Year de Mike Leigh prouve que l’on peut écrire de brillants scénarios tout en demeurant dans la simplicité. Ici, le réalisateur britannique raconte avec un humour doux-amer et une mise en scène d’un naturalisme réconfortant une année dans la vie d’un couple (Jim Broadbent et Ruth Sheen) dont le bonheur tranquille et la stabilité sont les points d’ancrage de leur entourage, notamment de leur amie Mary (Lesley Manville), adorable fêlée à la recherche de l’homme idéal. Une savoureuse et touchante étude de caractères portée par de superbes acteurs.

"La vie est fascinante, a expliqué Leigh lors d’une houleuse conférence de presse où il a refusé de répondre à un journaliste du Sunday Times de Londres qui l’avait déjà écorché à l’écrit, pour moi, les gens ordinaires ne sont pas ennuyeux. Nous sommes des êtres humains et à ce titre-là, nous possédons un pouvoir de fascination illimité. J’ai toujours été soucieux de montrer la vie des gens ordinaires puisque je suis moi-même issu de ce monde."

Premier film africain à se retrouver en compétition en 13 ans, Un homme qui crie (titre inspiré de Césaire) du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun relate le douloureux sacrifice qu’aura à faire un ancien champion de natation (Youssouf Djaoro, figé) père d’un fils unique afin de fournir son "effort de guerre" en pleine guerre civile. Si les contrastes entre l’oasis artificiel où se réfugie l’homme et la réalité d’un pays menacé par des rebelles armés s’avèrent saisissants, l’ensemble souffre d’un rythme plutôt laborieux.

Le cinquième jour fut le théâtre d’amères déceptions. Dans un premier temps, La Princesse de Montpensier est apparu comme un film en costumes consensuel où l’on peine à croire qu’une jeune fille de bonne famille (statuesque et glaciale Mélanie Thierry) fut l’objet de tant de passions en pleine guerre des religions sous Charles IX.

"Il est impossible d’adapter une nouvelle de la même façon qu’un roman, a lancé Bertrand Tavernier, surtout lorsqu’il n’y a pas de dialogues, comme dans ce texte de Madame de La Fayette. Je me suis donc attaché à trouver la vérité intérieure du récit, à en respecter les péripéties et les sentiments, et à aller à la recherche des émotions." On se demande quelle mouche a bien pu piquer le vénérable cinéaste… Alors qu’on attend toujours ces émotions, on aurait également souhaité plus de viande et de sang plutôt que de déclarations d’amour déclamées artificiellement par Gaspard Ulliel et Grégoire Leprince-Ringuet. En amoureux discret, Lambert Wilson s’en tire avec grâce.

Dans un second temps, avec Outrage, Takeshi Kitano, grand maître des films de yakuzas, s’est contenté de remixer en mode hystérique tous les éléments de violence auxquels il nous avait habitués. Cependant, plutôt qu’un cocktail explosif et mémorable, il en résulte un banal jeu de dominos où chaque yakuza se livre aux plus basses trahisons. De plus, on devine la fin dès les premiers affrontements entre clans. Peut-être n’aurait-il pas dû revenir à ce genre après 10 ans d’absence.

Jour 6: Premier film écrit sans la collaboration de Guillermo Arriaga, Biutiful d’Alejandro González Iñárritu se laisse apprivoiser très, très lentement. Il est vrai qu’en seulement trois films, Amores Perros, 21 Grams et Babel, le réalisateur mexicain avait mis la barre bien haut. Campé dans les bas-fonds de Barcelone, le récit s’attache au destin d’Uxbal (Javier Bardem, qui offre sans doute l’une de ses plus grandes performances), homme pour le moins singulier: père de famille monoparentale, il parle avec les morts et se charge du sort des immigrants clandestins, tout en luttant contre un cancer. Au diapason du héros, Biutiful tend à s’éparpiller et à s’essouffler. Dans le dernier tiers, le tout se relève et donne à voir une dévastatrice peinture de milieu où point timidement l’espoir.

"Bien que l’obscurité paraisse omniprésente dans le film, a affirmé le réalisateur, Biutiful comporte beaucoup de touches d’espoir. Il s’agit même de mon film le plus optimiste. Uxbal est un être plein de lumière; il se donne pour organiser sa vie, aider ses enfants et aimer les autres. Biutiful propose également une expérience sur l’intimité. À l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, l’intimité est un peu devenue le nouveau mouvement punk de notre société."