Mike Figgis : Fais-moi mal
Cinéma

Mike Figgis : Fais-moi mal

D’une chorégraphie des limites, Mike Figgis a tiré The Co(te)lette Film, un direct au ventre qui ouvre le tout nouveau festival Cinédanse.

Ce n’est pas la première fois que le réalisateur de Leaving Las Vegas met sa caméra au service d’une oeuvre chorégraphique. The Co(te)lette Film (2010) est de fait le troisième film de Mike Figgis consacré à la danse – on lui doit entre autres Flamenco (1997) -, mais c’est certainement le plus subversif.

Au coeur du projet, la controversée pièce The Co(te)lette, de la chorégraphe flamande Ann Van den Broek. Partout où le spectacle est présenté, les salles sont agitées, bruyantes de "oooh!" et de "pfff". Origine de l’enthousiasme ou du malaise: un trio de danseuses lancé dans un marathon de mouvements tantôt érotiques, tantôt proches de l’automutilation, souvent les deux à la fois.

Figgis se souvient de la première fois où il a vu The Co(te)lette: "J’ai réagi de manière très instinctive. Je savais qu’il y avait là une matière à intellectualiser, mais c’est d’abord mon instinct qui m’a dit à quel point je me trouvais devant une oeuvre forte."

De fait, on perd nos moyens devant un tel mélange de beauté et d’agressivité, art ouvertement féministe qui propose une lecture de la condition de la femme actuelle, des jeux de séduction, de la domination dans les rapports humains. "Je suis très intéressé par la sexualité, poursuit Figgis, par la manière dont elle se répercute dans l’imaginaire, dans l’art en général et en particulier dans le cinéma. Je trouve d’ailleurs le résultat désastreux, la plupart du temps. Il y a presque toujours quelque chose qui se perd de son énergie vitale, de la manière dont l’un s’approprie le corps de l’autre. Qu’une femme ait abordé la question de façon aussi crue, sans faux-fuyant, m’impressionne beaucoup."

Nous sommes devant une oeuvre d’art, il n’y a rien de littéral ici, que des images qui frappent, et pourtant le spectateur est poussé à la réflexion. "Quiconque voit cette chorégraphie est contraint de se demander s’il ne fait pas partie du problème. Ce n’est pas de la propagande, chacun reçoit l’oeuvre à sa façon, mais on ne peut pas faire abstraction des problématiques soulevées."

Tout le défi était, pour le cinéaste, de traduire sans déformer, de montrer beaucoup sans grossir les détails. "Le question de la nudité posait problème, par exemple. Une légère variation de l’angle de la caméra pouvait nous faire passer d’un sentiment de vulnérabilité à la pornographie, c’était très délicat. Mais j’ai beaucoup discuté avec Ann, elle m’a guidé tout en acceptant que j’allais en tirer un film, et non un document d’archives. Je devais m’approprier ce spectacle."

Âmes sensibles, s’abstenir. Les autres: courez à l’Excentris.

Le 20 septembre à Cinédanse
À partir du 21 septembre au Cinéma Excentris

The Co(te)lette Film: Danse extrême

Avec le cirque, la danse est l’un des arts les plus difficiles à "rendre" à l’écran. Au Québec, nous avons connu un bel exemple de dialogue entre le 7e art et celui de la chorégraphie avec Amelia, adaptation par Édouard Lock du spectacle du même nom. The Co(te)lette Film peut être ajouté à la courte liste des succès en la matière. La caméra de Mike Figgis nous place au coeur de l’explosive proposition d’Ann Van den Broek, sans la vampiriser ni en canaliser à outrance l’énergie brute. Si on met un temps à se remettre du spectacle de ces corps heurtés, rougis, exhibés dans une lumière crue, on applaudit sans réserve la manière dont le cinéaste s’en est fait le témoin.