Hugo Latulippe / Le théâtre des opérations : Vers une nouvelle narration du monde
Cinéma

Hugo Latulippe / Le théâtre des opérations : Vers une nouvelle narration du monde

«J’aime l’art qui intègre une grande conscience de l’époque et qui cherche à faire une nouvelle narration du monde.» Pour Le théâtre des opérations, une série documentaire d’ICI ARTV tournée un peu partout dans le monde avec des artistes-phare, Hugo Latulippe a réuni une équipe de réalisateurs à l’œil affûté: Simon Beaulieu, Michel Lam, Sarah Fortin, Pierre-Etienne Lessard et Vali Fugulin. Discussion.

«Je crois au retour de la profondeur à la télé», dit tout de go Hugo Latulippe. Tentant de s’inscrire dans une tradition documentaire de pensée lentement déployée et de caméra intimiste, tout en ne répudiant pas les codes de la télé et ses exigences publicitaires, le réalisateur de Bacon, le film et de République: un abécédaire populaire cherche le meilleur des deux mondes. Le théâtre des opérations va à la rencontre d’artistes inspirants partout dans le monde, de Thomas Ostermeier (Berlin) jusqu’à Motti Lerner (Jérusalem), en luttant contre les formats agités de la série télévisée.

«On peut difficilement descendre plus bas que le niveau actuel, sur nos ondes télévisuelles. Certains décideurs dans les médias ont l’impression que les contenus longs sont voués à l’échec auprès de notre génération. Or, vraiment, je pense que c’est le contraire. Bien sûr, il faut sans doute élaborer aujourd’hui les contenus longs dans une perspective internationale: le public pour ce type de contenu se trouve en grand nombre à l’échelle de l’Occident, pas nécessairement localement, du moins dans un petit marché comme le Québec. Mais on ne peut pas pour autant négliger la frange de jeunes qui réclament des contenus longs et approfondis.»

Devant un monde qui concentre toutes ses énergies vers la prospérité économique, Hugo Latulippe est convaincu que l’art demeure un endroit d’espoir et de respiration, un souffle nécessaire à une humanité qui ne peut pas être envisagée seulement selon une grille comptable. «L’art doit et devrait être un territoire de liberté, dit-il, et je pense que la contribution des artistes à notre société et à notre époque réside là, dans un discours qui fait fi des dicktats consuméristes, du marketing, et de l’industrie du divertissement, qui impose ses règles partout et qui n’encourage pas la pensée. Les artistes qu’on a choisis sont unis par l’exigence qu’ils ont envers nous, envers la pensée, envers le progrès. Ils sont de profonds humanistes.»

 

 

Précisant qu’il «essaie d’éviter l’art militant», c’est-à-dire un art qui serait un outil de combat partisan, Hugo Latulippe a exhorté son équipe à rester proche d’un art politique, à chercher des artistes qui sont «à la frontière entre la conscience de leur époque et la conscience de leur tradition artistique». Un exemple? La troupe italienne Motus, bien connue des Montréalais, qui est très ancrée dans le dialogue avec le monde (par des voies documentaires), mais «qui poursuit aussi une tradition très pasolinienne, très frontale, dans une forme d’exubérance théâtrale».

«On a choisi, avant tout de grands artistes, parmi ceux qui font le plus évoluer leur art respectif, au lieu de choisir des artistes dont le contenu est engagé. Mais souvent, l’un ne va pas sans l’autre, dans la mesure où ces artistes refusent de se détacher de l’époque dans laquelle ils vivent. Ce sont tous des gens avec une pensée politique complexe. Thomas Ostermeier, notamment, est un être politique éminent.»

Abordant dans un épisode les questions d’identité nationale, dans l’autre des enjeux reliés à l’environnement, plus tard le sort des Premières Nations ou la vitalité de l’art tunisien, l’équipe du Théâtre des opérations ne s’est refusé aucune rencontre, allant vers des artistes de toutes les disciplines: danseurs, peintres, artistes de théâtre, rappeurs. «La parole libre que nous cherchions à mettre en lumière, en effet, se trouve dans toutes les disciplines et partout dans le monde. On est allés dans des champs très différents, notamment quand on a rencontré Motti Lerner en Israel. Son histoire est fascinante: il était de la Grande droite israélienne, dans les Forces spéciales, et il a changé complètement son fusil d’épaule en devenant auteur de théâtre après avoir vécu une révélation, une catharsis sur un champ de bataille – il ne voulait plus vivre dans un monde de guerre comme celui-là, ne plus appartenir à cela. C’est un exemple épatant.»

Il y a d’ailleurs un épisode complet sur Israel-Palestine, où apparaît l’auteur dramatique québécois Philippe Ducros, connu pour sa pièce L’Affiche, œuvre forte sur l’occupation palestinienne. Les artistes québécois sont d’ailleurs nombreux à s’exprimer devant les caméras du Théâtre des opérations, notamment des metteurs en scène de théâtre.

«Dans notre chapitre québécois, on s’attarde à définir un Québec disons, post-moderne, et la manière dont les enjeux d’identité nationale se métamorphosent à travers l’art. Le théâtre de Brigitte Haentjens, par exemple, explore la question de l’aliénation identitaire, alors que celui d’Olivier Kemeid évoque les rapprochements entre le printemps érable et le printemps arabe. La rappeuse J.Kyll, qui connaît bien le rapport de la diaspora haïtienne avec le Québec et notamment le projet de Charte, discute d’enjeux pluralistes. Il s’agit de se demander comment l’héritage des baby-boomers se redéfinit dans l’art québécois actuel, à travers des voix de plus en plus variées.»

Sur ICI ARTV les dimanches à 19h

Consultez le site web officiel de la série