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Charte des valeurs québécoises: Comment construire un slogan électoral

Quelques remarques rapides à propos de cette fameuse «charte des valeurs québécoises» qui fait tant parler depuis quelques jours.

Pour l’heure, comme vous, j’ignore à peu près tout, sauf quelques indices coulés par les médias et, donc, par quelques agents de relations publiques du Parti Québécois. Car il faut bien le voir, pour l’instant, ce n’est que du spin… On verra bien ce qu’on nous proposera. Il est impossible présentement d’en analyser le contenu.

Mais on peut certainement réfléchir sur le contenant et le contexte. Quelques mots à ce sujet.

Remarquez bien le glissement de vocabulaire.

On ne parle plus de baliser une position officielle du gouvernement en ce qui concerne la laïcité, ce qui aurait été la réponse normale et naturelle de l’État suite aux affaires d’accommodements raisonnables montées en épingle par les médias. Nous parlons désormais d’une «charte des valeurs québécoises».

Autre glissement de vocabulaire important. On ne parle plus des «accommodements raisonnables», mais bien des «accommodements religieux». Autrement dit, vous l’aviez compris mais je le répète, les accommodements ne sont plus «raisonnables», ils sont «religieux».

Je reviens aux «valeurs québécoises» qu’on se propose d’encadrer par une sorte de loi de toutes les lois. Assez curieusement, je ne sais si vous l’avez remarqué, mais tout ce qui sort à ce sujet par le filtre du spin médiatique concerne justement les «accommodements religieux», notamment le port de signes confessionnels dans la fonction publique et dans les lieux gouvernementaux. On pourrait presque croire que toute cette affaire concerne un problème de code vestimentaire au travail.

Il serait tout à fait légitime de vouloir proposer un tel code aux employés du secteur public. Pourquoi pas? Mais qu’est-ce qu’une «charte des valeurs québécoises» vient faire ici? En quoi, l’ensemble des citoyens du Québec est concerné, dans ses valeurs profondes, par un code vestimentaire imposé par l’État à ses employés?

Tout ici est affaire de vocabulaire et, comme je le disais d’entrée de jeu, de relations publiques. Car si on voulait vraiment parler de «valeurs québécoises» et, de manière plus profonde, de «culture nationale», il serait sans doute plus productif de parler d’éducation, d’alphabétisation, de diffusion de la culture, etc.

Or, on ne parle pas de ça… Pour discuter des «valeurs québécoises», on nous convie à une grande conversation sur les crucifix et les turbans… Une question statistiquement insignifiante. On y reviendra.

Je dis statistiquement insignifiante… Mais pas d’un point de vue électoral. Les stratèges du PQ le savent fort bien et les troupes du parti n’ont sans doute jamais digéré de se faire damer le pion, en 2007, par l’ADQ qui avait fait campagne sur le thème des sapins de noël, jouant à fond la carte identitaire, jusqu’à séduire les bérets blancs… Il fallait le faire! Le PQ s’était fait doubler dans la course de l’identité, sa patinoire, par un jeune parti, issu en bonne partie des jeunes libéraux. Un très mauvais souvenir.

Depuis, le PQ vivote. Même au terme d’un printemps érable houleux, ils n’ont pu obtenir, au mieux, qu’un gouvernement minoritaire. Le PQ et son option ne lève pas, ne lève plus.

Et si, tiens, la carte identitaire pouvait fonctionner à nouveau? Ça a marché pour l’ADQ… Alors pourquoi ne pas l’essayer à nouveau?

Et hop… On troque le raisonnable pour le religieux et on organise une grande campagne de relation publique sur le thème des «valeurs québécoises» où on parlera surtout de turbans et autres machins très visibles… Car les valeurs, ça ne se prend pas en photo pour faire la Une des journaux… Les turbans, c’est plus efficace.

Le plan derrière tout ça? Faisons une hypothèse, simplement pour le plaisir.

[1] On va de l’avant avec cette histoire de signes religieux.

[2] On le sait, ça va coûter une fortune en frais juridiques, car les contestations seront nombreuses. Mais ça vaut la peine.

[3] On espère qu’un groupe ou un individu assez allumé ira en Cour Suprême pour faire valoir ses droits garantis par la charte canadienne. On ira jusqu’au bout, sachant que, plus tôt que tard, nous perdrons.

[4] Comme l’a laissé savoir Pauline Marois cette semaine, si tant est que ce scénario fonctionne –elle confirmait par ailleurs, en le laissant savoir, que ce scénario n’est pas si farfelu et qu’elle l’envisage- elle pourra appliquer la clause dérogatoire pour contester un jugement défavorable au fédéral.

Et voilà… Le tour est joué. Le slogan qu’on servira alors est prévisible comme la météo: «Ottawa ne respecte pas les valeurs québécoises». Nous serons du côté de la «raison» et eux, du côté du «religieux», synonyme de déraisonnable.

Avouez que c’est bien pensé…

C’est ainsi qu’on aura dépensé temps, argent et énergie pour créer un slogan électoral et politique, à défaut de faire la réelle promotion des diverses valeurs que nous devrions défendre en commun, qui, il faut en convenir, ont assez peu de choses à voir avec le code vestimentaire des CLSC ou autres institutions publiques.

Et les turbans et les crucifix auront simplement servi de chair à canon électorale.