J’ai vu passer depuis deux ou trois jours pas mal de commentaires à propos de ce Roosh V, cet allumé masculin de la couille qui souhaite présenter une conférence à Montréal. Un commentaire d’Aurélie Lanctôt sur Facebook, qui semblait vraiment déçue de ne voir aucun garçon monter aux barricades pour casser des briques sur cette soudaine vedette de l’actualité, m’a particulièrement touché. Je le dis sans ironie et sans état d’âme. Je me suis senti interpellé. Pas tant parce que je suis un garçon moi-même — enfin, je pense! — mais parce que j’ai pu ressentir, par son appel, une amertume et une tristesse sans équivoque.
Je résume grossièrement: Ce mec totalement timbré tient des propos dégueulasses, où sont donc les mecs pour le dénoncer? Allez, c’est votre chance! Où êtes-vous, garçons?
D’abord, en tout respect, j’aimerais faire valoir qu’il faut souvent plus que 36 heures pour se faire un avis sur une question dont on ignore tout. Je le dis pour moi. Car avant-hier, ce Roosh V, je ne le connaissais pas et je n’avais pas lu une ligne de ses écrits. Je comprends que c’est urgent, mais peut-on prendre le temps d’au moins lire son nom ailleurs que dans les grands titres avant de partir en guerre?
Par ailleurs, la comparaison qui me vient à l’esprit lorsqu’on me demande, parce que je suis un homme, de dénoncer un homme, c’est ce genre d’appel aux musulmans depuis quelques années, les sommant de condamner sur le champ les intégristes et les terroristes. J’ai beau retourner la question dans tous les sens, j’y reviens toujours et je n’arrive pas à trouver de différence essentielle. Parce que je suis né comme je suis né, issu de la culture d’où je viens, d’où émergent aussi des fuckés indéfinissables, des pauvres tarés qui se gargarisent à des théories loufoques, je devrais me sentir obligé de quoi que ce soit. Et puis quoi encore?
Non. Je refuse. Je refuse encore. Je n’en suis pas. Je n’ai rien à voir avec ça. Qu’ils se débrouillent avec ce qu’ils sont et avec ce qu’ils créent ces fêlés de la coquille. C’est leur truc, pas le mien. Si vous voulez les traiter de cons, vous pourrez peut-être compter sur moi un jour, ça me va. Mais être sommé de le dire parce que je suis né avec une paire de couilles, non merci. Vraiment. Je ne me sens obligé de rien en ces matières.
Pas plus que je pourrais avoir quelque chose à dire sur les tatas qui chassent des lions ou qui pilotent des voitures de course en brûlant du pétrole pour arroser des filles à poil de champagne le soir venu. Désolé. Non merci encore. Je vis sur un autre continent. Loin, très loin.
Est-ce que ce Roosh V devrait avoir le droit d’aller débiter ses théories fumeuses sur une tribune à Montréal devant 48 crinqués? C’est une question difficile. J’hésite un peu. Un ami me faisait remarquer que dans une récente chronique j’avançais qu’Action Bronson, qu’on a voulu interdire de concert à Montréal, ne faisait au fond que de la poésie et du cinéma. C’est vrai. Et il y a là une différence essentielle. Roosh V n’a pas de son côté l’avantage de la poésie. Je l’ai lu assez pour comprendre depuis. Il théorise. Il veut convaincre avec sérieux. Il veut allumer la mèche du mâle frustré et le persuader que les bonnes femmes complotent pour dominer les garçons qui perdront ainsi leurs avantages historiques. Au bout de cette mèche, il y a peut-être une bombe, la haine, et nos lois interdisent ces appels qui visent à la faire exploser.
Mais je suis vraiment fourré. Car interdire cela voudrait dire interdire ceci. Notamment, ces manifestations pour le dénoncer et ces appels à lui défoncer la tronche au plus vite. On chasse désormais ce type, dans la foulée d’une justice populaire, et des milliers de personnes prennent la parole contre lui en s’appuyant sur les mêmes fondements moraux que ceux qu’ils tentent de lui refuser. Roosh V a le droit de parler pour les mêmes raisons que nous avons le droit de le dénoncer, avec les mêmes moyens.
Il faut bien s’en rendre compte. Notre liberté de dénoncer ses propos est intrinsèquement et essentiellement liée à celle qui lui permet de les proférer. L’une ne vient pas sans l’autre. On doit accepter les deux possibilités, mais la morale nous impose de choisir.
Il n’est donc pas tant question de dilemme moral que de choix moral.
Et c’est là qu’il est possible de dire non. Pas parce que je suis un dude avec une paire de couilles, pas parce que je suis né comme ça et pas comme ça, pas parce que j’ai été élevé de telle ou telle manière, mais bien parce que la liberté que je reconnais aux autres me permet, à moi, de dire que ce que ce type raconte relève de l’imbécillité, que c’est à la limite dangereux et que les soixante tatas qui iront opiner du bonnet dans ses conférences sont de pauvres types qu’il faudrait aider, pour ne pas dire sauver.
Je peux donc dire non à ce Roosh V. Son portrait des relations entre les hommes et les femmes me semble erroné, vicié, voire miné par une sorte de maladie mentale que je ne peux nommer par carence de compétence. Ses théories sur le viol et les législations à cet égard me semblent aussi loufoques que les théories du complot imaginées par des survivalistes. À un tel point que je me trouve même un peu débile d’avoir à écrire mon avis à ce sujet, de la même manière que je me sentirais un peu con d’avoir à dire à Raël que son truc d’extra-terrestres c’est de la mauvaise gomme à la poire même si ça lui permet de se taper des filles qui y croient, par abus et par tromperie. C’est truqué ces théories à la noix.
Ce Roosh V, c’est de la daube, en somme.
Je ne le dis pas parce que je suis un mec, mais parce que c’est de la connerie.
Ce n’est pas parce des gens trouvent qu’il est idiot dans sa façon d’aborder le sujet des femmes qu’il n’a pas le droit d’exprimer librement son idiotie avec d’autres idiots. Si les grands esprits peuvent se rencontrer pourquoi il n’en serait pas de même pour les petits esprits ? Et surtout, pourquoi vouloir l’empêcher de se ridiculiser en le censurant ? Pourquoi ses opposants ne veulent pas de sa présence si le seul reproche c’est qu’il manque de pertinence sur un sujet duquel il n’a pas les compétences pour bien le comprendre ?
J’ai toujours cru que frapper sur ce qui est plus petit que soi, ça ne donne pas plus de grandeur. En fait, je crois que la liberté vaut mieux que la censure, la paix mieux que la violence, l’amour mieux que la haine. Ces derniers jours, j’ai vu la haine chez ceux qui n’aiment pas la façon que ce blogueur se définit (masculiniste et antiféministe), ce qui engendre une immédiate violence verbale dans la réaction de ses opposants qui, eux-mêmes, appellent à la censure pour avoir transgressé la rectitude morale qui dit… «qu’il ne faut jamais rien dire au Québec si ce n’est pas en «féminisant» toujours ses propos pour atteindre le consensus sociétal que nulle personne connait mais que bien des personnes voudraient imposer par la force d’une censure directionnelle émise par une autorité idéologique bien campée non pas sur des droits inaliénables et fondamentaux mais sous la couverte d’une justice inquisitrice et populiste par une meute majoritairement composées de femmes en colère.
Que se blogueur s’exprime par un discours porté plus sur la masculinité, je m’en fou. À la limite, il peut ne pas aimer les femmes autant que des femmes peuvent ne pas aimer les hommes. Il faut juste que ces personnes ne s’empêchent de vivre malgré l’envie marqué de se vociférer avec véhémence, les uns envers les autres, leur dégoût réciproque. Ce qui est permis, par ailleurs, dans une société libre comme la nôtre.
Militer pour la liberté d’expression ne vous oblige pas à traiter toutes les paroles avec indifférence et cynisme. Comme vous le dites vous-même, il s’agit ici de propos haineux et d’incitation à la haine. Ça a un effet. Et notamment dans la vie des femmes, vos collègues, qui sont directement ciblées.
Nous demandons un appel à la solidarité des hommes, à leur humanité, parce que, oui, il y a des moments où ça compte, peut-être pas pour vous, mais pour elles. Vous qui militez pour la parole libre, vous savez certainement cela, que les paroles comptent. Elles ont un effet dans la vie des gens.
Dénoncer la misogynie, ça aide. Et ce n’est pas si ordinaire que ça. Ça demande bien plus de courage que de s’en moquer, comme font tant de gens qui se croient subversif. Et si vous trouvez le backlash antiféministe si ridicule, si vous vous sentez égalitaire et que vous n’êtes pas antiféministe vous-même, pourquoi parlez-vous de féminisme uniquement pour dire aux femmes qu’elles se battent pour rien? Il y a des moments où elles demandent, simplement, des appuis. (On a envie de penser que c’est infiniment plus facile pour vous de supporter la colère des féministes, dont vous vous moquez au fond, que de confronter les antiféministes.)
Pour qu’une société tolère des propos extrêmes, il faut prendre soin des autres sortes de paroles d’abord. Il faut les soigner, les faire entendre, les considérer plus. Ça ferait du bien, que ça vous arrive un peu.
Bonjour,
Je comprends. Je suis d’accord avec l’analyse, le propos. Mais j’aimerais ajouter ceci : je crois que la raison pour laquelle nous interpellons parfois les hommes à se prononcer, est qu’on aimerait se sentir épauler par nos partenaires de la planète. Les femmes qui dénoncent ces imbéciles, se font traiter de féministes à outrance, alors que l’on ne veut que faire savoir que ces gens briment nos êtres, notre liberté en inculquant toutes ces conneries à d’autres qui de part leur manque d’éducation, ou d’intelligence (et oui, désolée) se font convaincre qu’il y a une vérité, la leur. Alors oui, parce que vous avez des couilles, et encore souvent (malheureusement) un avantage et une position de pouvoir que nous n’avons pas. Partout dans ce vaste monde. Et si je m’exprime en tant que femme, je m’exprime en tant qu’être humain. Et les hommes doivent aussi s’exprimer en tant qu’homme et être humain. Exprimer que nous pouvons réussir à vivre en égaux, avec toutes nos différences. Merci pour vos articles souvent éclairant.
Lucie
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu qui surpasse tous les autres droits. Ici, elle entre en conflit avec l’interdiction de propagande haineuse contre les groupes, comme le mentionne le professeur Louis-Philippe Lampron, de la Faculté de droit de l’Université Laval (dans cet article de Jocelyne Richer et Martin Ouellet, La Presse Canadienne : http://journalmetro.com/actualites/national/820128/blogueur-roosh-v-vallee-ne-soppose-pas/)
Je comprends qu’il est difficile d’établir une limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, c’est du cas par cas. Nous pouvons faire plus que d’exprimer notre désaccord face aux propos de M. chose V., nous avons aussi le droit de lui interdire sa tribune, voire même son entrée au Canada, car nous ne voulons pas de ses propos haineux.
Quand je lis ou j’entends des commentaires proclamant une liberté d’expression absolue, je pense au génocide rwandais. Pensez à la propagande haineuse diffusée à la radio contre le peuple Tutsi et au massacre qui a suivi. Les propos diffusés ont eu un impact malheureusement bien réel. D’où le danger de laisser la tribune à des gens qui propagent des idéologies haineuses sous le couvert de la liberté d’expression. Nous avons le droit d’exercer un certain contrôle lorsqu’une personne dépasse les limites de la liberté d’expression, mais je le répète, c’est du cas par cas.
Très bon texte.
Au Canala et au Quebec, les Chartes constitutionnelles consacrent la liberté d’expression, de conscience et de religion. Selon la jurisprudence, la liberté d’expression finit où commence l’incitation à la haine et au mépris. La Cour Suprême du Canada a déjà dit qu’on n’avait pas de droit de dire que la Shoah n’avait pas eu lieu. Ces propos sont condamnables légalement au Canada. Il en est de même des propos de Roosh V à l’endroit des femmes. Ce sont des propos incitatifs à la haine et au mépris des femmes. Ils dépassent les limites de la liberté d’expression et doivent être interdits. Il n’y a pas de zone grise ici.
D’où sort ce nouvel imbécile dont je n’avais jamais entendu parler avant de vous lire, Monsieur Jodoin?
Et qui sont les tarés que ses élucubrations excitent?
Avis aux entrepreneurs chevronnés ou en herbe: il y a apparemment beaucoup de belles perspectives d’affaires du côté de la fabrication et de l’installation de garde-fous. Un secteur d’avenir où les besoins sont en hausse.
La censure, une fois mis en place, on ne peut reculer…