BloguesLe blogue de Dalila Awada

Question d’autodétermination

On a vu ces Iraniennes se dévoiler, se prendre en photos et partager cette liberté furtive au monde entier. Geste qui demande une montagne de courage dans une théocratie qui juge bon de dicter aux femmes comment s’habiller. À la lumière de ces récentes actions, des opinions de toutes sortes ont fusées. D’un bord, certains pointent du doigt le fait que la situation est encore plus révoltante en Arabie Saoudite ce qui, par défaut, rendrait tolérable celle des femmes en Iran.  Si l’imposition d’une burqa est sans contredit d’une abjection sans nom, ce n’est pas une raison pour banaliser le fichu qu’on demande aux femmes iraniennes de poser sur leur tête. De l’autre côté, en trop grand nombre, il y a ceux qui en ont profité, une fois de plus, pour déverser leur fiel d’éternels stéréotypes et ridiculiser les femmes portant un voile par conviction. Les deux positions excluent complètement la voix des femmes concernées. Pourtant, c’est d’une évidence : quand on parle d’imposer le port d’un vêtement ou d’en imposer le retrait, dans les deux cas, on nie le droit des femmes à l’autodétermination.

En ce sens, ce que ces femmes font, de marteler ainsi leur droit de choisir librement, est tout à leur honneur. Elles traduisent aussi toute la force qui habite les femmes dans ces différents pays qu’on pointe trop souvent du doigt, qu’on veut trop souvent prendre sous notre aile. Elles prouvent qu’elles sont amplement capables de générer des changements dans des sociétés particulièrement conservatrices, sans la bénédiction occidentale. Quand ces femmes décident qu’il est temps de remuer l’ordre étatique, ou du moins certains codes en place, elles savent précisément comment s’y prendre.

Un autre aspect pour le moins intéressant est ressorti, soit l’appui qu’elles ont reçues, pour plusieurs d’entre elles, des hommes les entourant. Que ce soit un père, un frère ou un amoureux, les photos où ces hommes apparaissent, fiers et confiants, sont parlantes comme jamais. Force est de constater que l’image des hommes Iraniens, musulmans ou pas, est ébranlée. Comme les femmes, les hommes dans ce coin du globe revêtent rarement un beau rôle dans l’imaginaire collectif, mais d’un geste d’appui aux femmes Iraniennes, ils détruisent des stéréotypes tenaces à coup de sourires. De toute façon, quelle est la valeur d’une pratique religieuse si elle est faite sans conviction? Nulle, absolument nulle.

Cela rappelle aussi le cas de cette rappeuse égyptienne, Mayam Mahmoud, qui raconte que c’est son père qui l’a poussé à persévérer dans ce qui la passionne, même si cette passion est teintée de tabous. Ou encore, ces femmes Saoudiennes qui ont pris le volant des voitures, bravant les interdits, faisant fi des conséquences, la majorité d’entre elles supportées par des hommes. Mais encore une fois, elles ont menés ces actions seules, mues par le regard critique et indépendant qu’elles sont capables de poser sur certaines lois et certaines coutumes.

Ces gestes de résistance sont aussi significatifs sur un autre aspect, ils démontrent que dans nombreux cas, obliger sans raisons valables des individus à adopter des comportements ou des pratiques qu’ils n’ont pas eux-mêmes choisit, résultera en un rejet catégorique de l’imposition. Là-bas, contraintes de se couvrir la tête, elles se dévoilent, ici quand on tente de convaincre les femmes, sans répit et de façon hautaine, d’abandonner leur foulard, elles ne vont probablement pas faire une ribambelle en guise de remerciement. Encore une fois, les deux situations exclus la capacité de réflexion et de prise de décision individuelles des femmes.

D’ailleurs, sans grande surprise, ces évènements ont rouvert les valves aux analyses à deux cents sur le voile. Des réflexions réductrices qui ne prennent pas en considération la complexité de l’histoire de cet habit. Des dichotomies tracées entre celles qui se battent pour l’enlever et celles qui veulent le garder, les unes courageuses, les autres aliénées, en faisant complètement abstraction du fait qu’elles ont toutes en commun la lutte pour la reconnaissance du droit indiscutable de choisir comment elles veulent se vêtir. Le voile transporte toute une histoire, parsemée de significations et de compréhensions diverses et n’en faire qu’un symbole politique est d’une simplicité hallucinante. D’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une histoire à l’autre, la charge de cet habit n’est pas la même. Là où il est devenu effectivement un outil de contrôle, il a été ailleurs synonyme de résistance et de fierté. Mais au Québec, à mille lieux des conflits politiques, économiques et sociaux qui sévissent dans ces pays meurtris, il n’a aucune valeur politique, même si ça en fait grincer certains des dents de l’entendre. Quoi qu’il en soit, sociologiquement parlant, quand on porte un regard sur un phénomène, on devrait prendre en considération toutes les facettes qui le composent, nuancer objectivement et l’appréhender dans son ensemble. Exclure de l’équation, volontairement ou pas, certains des éléments qui édifient l’objet qu’on observe, ne résultera qu’en une conclusion boiteuse et partielle.

Mais pour finir sur une note positive, ces femmes sont précisément ce qui me fascine chez ce sexe que l’on veut faible, elles vivent dans un monde qui les essentialise de toutes les manières possibles, tantôt par les burqas afghanes, tantôt par les publicités qui n’en font que des bibelots, mais elles finissent toujours par trouver le moyen de lever le ton face aux oppressions symboliques, physiques ou morales de toutes sortes. De scander qu’elles ont le droit à l’autodétermination, partout, tout le temps. Et en étant critiques face aux impositions et à l’instrumentalisation de leurs corps, elles sont déjà en voie de reprendre le volant de leur liberté, la brise dans les voiles ou dans les cheveux, dépendamment de ce qu’elles choisissent. Seules.