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Mère Teresa: quand les faits dissipent l’odeur de sainteté

Le mythe de mère Teresa vient d’en prendre pour son rhume. Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, s’intéresse aux comportements sociaux altruistes et a donc été naturellement porté à étudier le cas de la fondatrice des Soeurs missionnaires de la charité. Un article qu’il vient de publier sur le sujet est en voie de devenir un véritable évènement médiatique.

Avec deux autres collègues, Carole Sénéchal et Geneviève Chénard, Larivée a analysé 287 documents portant sur la vie et l’oeuvre de mère Teresa, ou Anjezë Gonxhe Bojaxhiu de son nom de naissance. Leur verdict vient de tomber: l’image de sainteté est une construction médiatique de toute pièce et la canonisation repose sur la fraude intellectuelle, voire le mensonge.

En gros, les trois auteurs reprochent de nombreux comportements ou valeurs qui sont bien loin de l’altruisme et de la sainteté. Entre autres, le misérabilisme dans lequel les « hôpitaux » (qui sont plutôt les mouroirs) des Soeurs de la charité maintiennent les malades au nom de la croyance voulant que souffrir nous rapproche de Dieu. Pourtant, la fondatrice n’a pas hésité, en fin de vie, à se faire traiter dans un hôpital américain ultramoderne.

Ses valeurs politiques réactionnaires, ses liens avec des régimes de droite, son opposition à l’avortement même en cas de viol, son opposition au divorce, ne sont pas non plus de la plus haute nature altruiste. La gestion douteuse et occulte des centaines de millions de dollars amassés en dons et originellement destinés aux malades est également questionnée, sans oublier les côtés troubles de sa personnalité (elle s’est pensée possédée par le diable pendant des années).

Le plus croustillant, à mon avis, est ce qui entoure les « miracles » qui ont conduit à sa béatification par la voie rapide. Un premier élément est une soit-disant « lumière divine » qui imprègne certaines scènes d’un documentaire tournées sans éclairage d’appoint. Mais ce qui était une prouesse technique pour l’époque (1969) reposait tout simplement sur l’usage d’une toute nouvelle pellicule ultrasensible permettant de filmer sans lumière. Pour le réalisateur du reportage, c’eut été trop banal; mieux valait faire croire au miraculeux pour mousser sa célébrité.

L’autre fait miraculeux aux yeux du Vatican est la guérison d’une femme souffrant de tuberculose et d’un kyste ovarien. Or, il était connu que cette femme était soignée par des médecins pour ces deux maladies. Habituellement, les théologiens de la miracologie écartent les cas pris en charge par la médecine puisque, bien entendu, on ne peut savoir, quand on est croyant et intellectuellement honnête, si la guérison est miraculeuse ou médicamenteuse. Si on est incroyant, la question ne se pose pas.

Mais pourquoi, dans le cas de Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, avoir accepté, à l’encontre de l’avis des médecins, une guérison pour laquelle l’intervention médicinale était évidente? Parce que la bonne mère jouissait déjà d’une réputation de sainte et qu’il fallait rapidement confirmer la chose, même au prix de la fraude, laissent entendre les auteurs de l’étude. Le tout a été accompagné d’une opération médiatique savamment orchestrée et les médias n’y ont vu que feu ou ont tout simplement accepté d’être complices. Après tout, l’être humain a besoin de héros et de merveilleux; même si l’image est une construction, notre intellect s’en satisfait quand même.

Face aux miracles qui n’en sont jamais véritablement, comment ne pas se demander pourquoi Dieu et les saints ne guérissent jamais les amputés, les infirmes, les estropiés de toutes sortes? S’ils faisaient repousser un membre, voila qui serait un miracle indiscutable. Pourquoi abandonnent-ils à leur sort les plus mal en point de la planète? Il est grand le mystère de la foi.

L’article de Larivée, Sénéchal et Chénard, Les côtés ténébreux de Mère Teresa, est publié dans le numéro de mars de la revue Studies in Religion/Sciences religieuses, disponibles dans les bibliothèques universitaires ou par achat en ligne. On peut aussi prendre connaissance du communiqué émis par le Bureau des communications et des relations publiques de l’UdeM au sujet de cette analyse: Mère Teresa: tout sauf une sainte.

En complément de ce texte, voir le second ajouté le 25 février: Mère Teresa (2): le doyen de théologie donne du crédit à l’étude