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Parcours d’un nationaliste mou (1)

Pour certains, la liberté politique est un projet viable, mais pas une fin en soi. Tous ces nationalistes mous sont-ils des traîtres chez nous? Réflexions sous forme autobiographique.

Je me souviendrai toujours du 15 novembre 1976. D’abord, la veille, c’était ma fête de 9 ans. J’amorçais ma dernière année de vie avant la dizaine avec toute l’innocence de mon immaturité sexuelle. Ce soir-là, la télé était ouverte sur la soirée des élections et un frisson historique allait traverser le Québec avec l’élection de René Lévesque. Du moins, c’est ce que j’ai appris quelques années plus tard, parce que ma soirée fut brusquement interrompue pour cause de rébellion prépubère contre l’autorité parentale qui refusait que je reprenne une nième part de restant de gâteau de fête avant de me coucher. Le joual avait beau être en vogue dans les années 70 et le mot «tabarnak» exhibé par le peuple comme un étendard, j’ai compris assez vite qu’il était trop tôt dans ma vie pour l’employer contre la hiérarchie féodale qui me tenait lieu de famille. Le vol plané dans le lit a fini de me convaincre.

Chez nous, la politique était pour ainsi dire inexistante. Pas de journaux dans la maison, si on excepte l’Écho-Vedettes. Personne n’écoutait les nouvelles non plus. Notre routine de début de soirée consistait à souper devant les Tannants à TVA et The Price Is Right à CTV, ce qui fut mon premier contact avec le concept des deux solitudes. Il y avait bien quelques soubresauts. Après l’élection du PQ, j’ai entendu parfois mon père railler l’idée de la loi 101: qu’est-ce que l’obligation d’afficher en français allait bien pouvoir changer? Faut dire que sur la Côte-Nord où j’ai grandi, les raisons sociales anglaises ne pleuvaient pas, si on excepte le Canadian Tire de Sept-Îles. («Qui irait acheter quoi que ce soit chez Pneu Canadien? Soyons sérieux…»)

Puis est arrivé le référendum de 80.

Je commençais mon secondaire et mes hormones s’étaient réveillées brutalement à la vue des jumelles Verreault. Si obnubilé j’étais, j’ai accepté leur offre de recrutement pour m’enrôler dans un corps de tambours et clairons. Y a qu’un surplus de testostérones pour inciter un jeune mâle à devenir une majorette. Autant le dire tout de suite: ma conquête amoureuse fut vaine. Mais j’ai gagné au change ma première rencontre avec l’activisme politique.

Sur la Côte-Nord, à cette époque, il y avait presque autant d’autocollants du «Oui» en circulation que de bouteilles de Laurentides. Apolitisme héréditaire oblige, je raillais mes amis qui avaient une opinion sur le débat en cours, surtout qu’elle était monolithique. Mon argument n’était tout de même pas si bête: aux jeunes qui clamaient «oui», je répondais «Peux-tu me répéter la question?» N’importe qui aurait été bouché, convenons-en.[1]

Le corps de tambours et clairons que j’avais joint s’appelait les Patriotes. Le nom n’avait rien d’innocent: la fondatrice, Mme Bolduc, était une nationaliste convaincue. Elle travaillait pour le camp du oui, portait macaron et drapeau sur la casquette à l’avenant. Son conjoint était mon professeur de percussion. Il s’appelait Pierre Jean. Tout l’héritage folklorique du Québec était cristallisé dans son nom: d’abord le père de l’Église ensuite celui du patron du la nation. Disons-le: Mme Bolduc était idéologiquement cohérente.

Un jour, alors que je raillais une fois de plus les moutons qui répétaient «oui» sans savoir ce qu’ils bêlaient, mon prof de percussion a mis de côté ses baguettes (pour éviter de me frapper, j’imagine) et a entrepris de m’expliquer le sens de la question. Il m’a un peu perdu sur les enjeux nationaux, je dois le dire: je n’ai jamais été très intelligent, juste assez pour être baveux sans manger de coup de baguettes. Mais une phrase m’a laissé perplexe: «Rien n’est plus important que la fierté». Éduqué dans la confession chrétienne par des soeurs catholiques, j’ai considéré sur le coup qu’il pêchait contre Jésus qui enseigne la modestie, la joue gauche et tout ce genre d’humilité salvatrice.

Mais la phrase est restée là, plantée dans mon crâne. En 1978, on avait changé la devise inscrite sur les plaques d’immatriculation du Québec; «La Belle Province», vide et mièvre, était devenue «Je me souviens», une bombe idéologique cachée sous un innocent parfum de nostalgie. De la même façon, Pierre Jean venait de modifier l’immatriculation de mon cerveau…

À suivre…


[1] Rappelons la question: « Le Gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d’en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l’égalité des peuples ; cette entente permettrait au Québec d’acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d’établir ses relations extérieures, ce qui est la souveraineté, et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l’utilisation de la même monnaie ; aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera réalisé sans l’accord de la population lors d’un autre référendum ; en conséquence, accordez-vous au Gouvernement du Québec le mandat de négocier l’entente proposée entre le Québec et le Canada ? »