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Parcours d’un nationaliste mou (4)

Pour certains, la liberté politique est un projet viable, mais pas une fin en soi. Tous ces nationalistes mous sont-ils des traîtres chez nous? Réflexions sous forme autobiographique.

J’ai lu mon premier journal en 1986 à 19 ans. Ma blonde du moment restait à Québec. Pendant qu’elle bossait sur ses travaux d’université, j’ai attrapé un exemplaire du Soleil du samedi dans un dépanneur. Ayant été dressé à lire un livre d’une couverture à l’autre, je l’ai traîné avec moi pendant 3 jours jusqu’à ce que je l’ai tout lu. Je dois l’avouer, j’ai éprouvé peu après une secrète admiration pour Lysianne Gagnon en apprenant dans une de ses chroniques qu’elle lisait chaque jour tous les quotidiens québécois. Mais où trouvait-elle le temps, nom de nom? Je me disais qu’elle devait être si brillante. J’avais tant à apprendre…

J’ai fini par comprendre qu’on pouvait lire dans un journal seulement ce qui nous intéressait. J’ai même appris qu’on pouvait y lire ce qu’on y voulait, surtout lors de la publication d’un sondage pendant une campagne électorale.

Parti de la Côte-Nord, j’habitais maintenant à Montréal et un nouveau monde s’ouvrait à moi, entre autres une radio avec plus de trois postes. Je me souviens d’écouter avec un vif intérêt l’émission du midi à CKAC animé par Pierre Pascau, dit l’Informateur. L’homme faisait preuve d’une régularité dans l’indignation qui forçait l’admiration. Chaque jour, il se fâchait entre la météo et le bulletin de nouvelles, pestiférant contre l’épouvantail du moment au nom du contribuable qui l’encourageait sur la ligne ouverte à coup de grognements monosyllabiques satisfaits.

J’étais à Montréal et je découvrais le jambon.

Une fois tombé dans la marmite de l’actualité, je n’en suis jamais ressorti. Les nouvelles, c’est comme un film farci de drames qui ne finit jamais. Il y a des histoires terribles qui frappent l’imagination, peuplées de bons, de méchants et de leurs lobbyistes. Il y a des crimes crapuleux, des mystères à résoudre, entre autres la persistance de l’ostie d’horoscopes dans des médias dits sérieux. Il y a parfois des romans-feuilletons qui émoustillent pendant des mois, voir des années, comme le parfum d’une femme aimée. L’accord du Lac Meech était de cette eau.

Ah! Meech… L’intention était louable: le Québec ayant été cavalièrement exclu du processus constitutionnel, il s’agissait de le réintégrer avec honneur et enthousiasme au sein de la fédération canadienne. Brian Mulroney a mis son doigt dans l’engrenage avec l’optimisme d’un octogénaire qui achète ses premiers REER. Son bras, son épaule et tout le corps y sont passés. Pour avoir tendu la main au Québec, Mulroney est devenu en quelques années le personnage politique le plus détesté au Canada anglais.

L’entente du Lac Meech a été conclue en 1987 et devait être ratifiée par les 10 provinces et le gouvernement central. Trois ans plus tard, elle était plombée, en gros, par un indien et un newfie. (1)

L’opposition d’Elijah Harper, député autochtone, empêcha l’adoption de l’accord au Manitoba. Il reprochait à l’entente de n’offrir aucune garantie par rapport aux droits ancestraux des premières nations. C’était de bonne guerre. Si on adhère à la thèse affirmant que l’identité québécoise est bafouée dans le Canada, faut reconnaître que les Amérindiens ont mille fois plus de raisons de se plaindre. Nous sommes peut-être le petit frère mal-aimé, mais les autochtones sont l’avorton qu’on a laissé pourrir dans la poubelle.

Quant au newfie, le Premier ministre Clyde Wells, il renia simplement la signature de sa province, le statut de société distincte accordée au Québec lui hérissant le poil. Disons-le: des dizaines d’années de blagues de newfs nous sont revenues en pleine face avec une précision karmique.

S’il avait été seul sur son île à penser comme ça, l’affaire aurait pu en rester là, mais sa position était partagée par de nombreux Canadiens: les Québécois étaient des geignards qu’il fallait renvoyer dans leur chambre sans souper, dodo à 7h00, lumière fermée. Dans la foulée, la frange néanderthalienne du ROC s’est mise à piétiner des drapeaux québécois devant des caméras de télé et boum! L’affront était total.

Le refus de reconnaître le Québec comme société distincte — une bien timide demande comparée au pays réclamé 10 ans plus tôt — ulcéra profondément tout le monde à l’est de Gatineau. La colère était généralisée: même Robert Bourrassa fumait des naseaux et ce n’était pas rien; pour ceux qui ne l’ont pas connu, pensez à un Gérald Fillion sur le Ritalin.

Moi aussi, j’étais furieux. Le sens de l’histoire s’est subitement redressé dans ma tête: coup dans les couilles en 80, coup de genou dans le menton pendant qu’on était penché en 82, puis là, en 90, crachat méprisant sur la dépouille de la fierté. Et on était censé encaisser tout ça sans broncher comme le recommandait le petit Jésus qui a fini tout de même crucifié, le con?

Fuck you Rockies! J’étais désormais nationaliste!

À suivre…


1 J’utilise le mot newfie comme un noir a le droit d’utiliser le mot nègre. En effet, je suis né à Labrador City. Indépendantistes acharnés, ne me remerciez pas, je viens de vous donner un os à ronger quand viendra le temps de bâtir une théorie de la conspiration autour de ma molle conviction souverainiste.