BloguesDenis McCready

Arrêtons de manifester dans la rue pour rien.

Ce texte pourrait me faire perdre des amis. La probabilité qu’il change radicalement l’opinion publique est faible. Il y a de grandes chances pour que vous ne soyez pas d’accord avec moi. Je vous invite à vous exprimer en bas de ce texte, dans la section des commentaires. Désolé Jean, impossible de faire court avec celui-là…

Vendredi 22 mars à Montréal plus de 200 personnes ont été arrêtées avant même que la manifestation à laquelle ils allaient probablement participer ne commence. Ils ont été encerclés (une manœuvre illégale en Ontario) et ont été arrêtés pour se voir remettre une contravention de 637$ pour avoir enfreint le règlement municipal P6, qui exige que l’itinéraire d’une manifestation soit remis au Service de police de la ville de Montréal (SPVM). Les médias sociaux se sont enflammés au cours du weekend qui a suivi surtout sur le site du Voir.ca, certains appelant Mme Marois à intervenir (Simon Jodoin) alors qu’elle a démontré plus tôt cette année sa grande capacité au mensonge et à la duplicité, d’autres en faisant un exposé implacable de l’illégalité de cette loi qui enfreint la Charte canadienne des libertés (voir Me Véronique Robert), on y a exprimé la colère avec force (Ianik Marcil), on a raconté de la première ligne en assaisonnant d’un peu d’insultes envers les policiers (Marie-Christine Lemieux-Couture), certains ont fait bon usage de leur verve caustique avec une insinuation de soulèvement révolutionnaire en sous-texte – comme d’habitude – (Marc-André Cyr), et quelques-uns ont simplement utilisé leur tribune Facebook pour conclure – on n’arrête pas la grandiloquence – que nous vivons dans un état policier (c’est de moi, j’ai fait ça, et oui, un café au lait, un ordi branché, la vue sur la tour du CN et je me sentais aspiré d’une grande soif de justice… Ouf… Mes excuses).

La défense de nos droits et libertés est primordiale, mais ça ne veut pas dire qu’il faille perpétuer une approche quand on se rend compte qu’elle n’a plus aucun effet. Il faut s’adapter ou périr.

Comme le disait si bien Stéphane Beaudin : « My opinions are not my identity. » Mes opinions ne sont pas mon identité.
Et après une saine, mais vaine, montée de lait électronique collective dans l’enceinte électronique du Voir, il m’est apparu évident à la lumière des réflexions que je fais depuis plusieurs mois que ça ne sert à rien de gueuler sans actions. Encore faut-il poser des gestes qui aient un impact réel pour changer la situation actuelle.
Manifester dans la rue de sert plus à rien. Pour le moment.

Après le Printemps Érable de 2012, et le mensonge commode de Mme Marois à la population, il y a eu augmentation de frais de scolarité. Je ne remets pas en question toutes les manifestations qui ont mené à cet amer constat, je ne dis pas que ça ne redeviendra pas pertinent un jour, je dis seulement qu’aujourd’hui et pour un petit bout de temps, ça ne sert à rien de manifester dans la rue.

À l’automne 2011, j’ai pris une position ferme pour la levée du campement de Occupons Montréal auquel j’avais participé depuis le premier jour. Le mouvement citoyen mondial d’Occupation a eu un impact extraordinaire, mais j’y étais entré avec la ferme conviction que l’enjeu principal était la démocratie directe, pas le camping urbain. Je pense la même chose des manifestations actuelles qui ont été réprimées dans la violence et certaines en contravention avec la « Charte canadienne des droits et libertés, qui est le document de protection des droits fondamentaux régissant les rapports entre l’État et les individus, (et qui) protège clairement le droit de manifester. » (citation de Me Véronique Robert : https://voir.ca/veronique-robert/2013/03/23/avoir-peur-de-la-police-pas-des-manifs/ )

Notre droit de manifester et de se réunir est précieux et il faut le défendre. La meilleure défense en ce moment n’est pas dans la rue. La meilleure défense c’est l’attaque.

Une fois dénoncé le SPVM, il faut faire un constat : l’indignation sur les médias sociaux n’a qu’un modeste impact. Il serait plus logique de s’adresser aux élus qui ont une autorité sur le SPVM, sur la Ville de Montréal ou qui représentent l’arrondissement. Voici une brève liste des options possibles :

Le conseil de ville de Montréal – Le citoyen peut s’adresser directement au maire et aux conseillers de la ville. Le problème est que les noms des citoyens qui peuvent poser des questions sont pigés au hasard et la séance permet trois questions par sujet. Ce n’est pas avec trois questions de personnes choisies au hasard que le règlement P6 sera renversé.

La réunion du conseil d’arrondissement – Le citoyen peut s’adresser directement au maire et aux conseillers de l’arrondissement. Ces séances sont plus accessibles, sauf que les arrondissements n’ont pas d’autorité directe sur le SPVM ni sur le règlement P6. Ils ne peuvent que relayer la parole des citoyens.

Les députés provinciaux des arrondissements où l’application du règlement P6 sévit – Daniel Breton (PQ – Ste-Marie/St-Jacques) et Jacques Chagnon (PLQ et Président de l’Assemblée nationale – Westmount/St-Louis).

  • M. Chagnon était député sous Jean Charest, il n’a probablement pas voté pour la loi 78 parce qu’il était président de l’Assemblée nationale à ce moment et le vote a été majoritaire. Comme plusieurs députés, il était en fonction au moment où le règlement P6 a été voté à Montréal.

Le ministre de la Sécurité publique – Stéphane Bergeron (PQ – Verchères) a autorité sur le chef du SPVM.  On peut écrire ou appeler le ministre, mais il est peu probable qu’il intervienne sans le feu vert de Mme Marois dont on connait maintenant l’opportunisme politique et la propension à la fausse représentation.

Le ministre de la Justice – Bertrand St-Arnaud (PQ – Chambly) – Il est à la tête du ministère de la Justice qui « a pour mission de favoriser le respect des droits des citoyens du Québec »*.  On peut écrire ou appeler le ministre. Il me semble que la séparation entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire exige plutôt que la légitimité du règlement P6 soit contestée en cour du Québec, et peut-être aller jusqu’à la Cour suprême du Canada. Ça pourrait prendre entre jusqu’à 10 ans.

Les députés des circonscriptions fédérales où l’application du règlement P6 sévit – Irwin Cotler (PLC – Mont-Royal) et Hélène Laverdière (NPD – Laurier/Ste-Marie).

  • M. Cotler est un avocat qui a défendu les droits de la personne avec force et persévérance pendant toute sa carrière. Il serait tout naturel qu’il se prononce sur une pareille violation de la Charte. Le couronnement de Justin Trudeau pourrait prendre toute la place en ce moment.
  • Pour Mme Laverdière, ayant une grande expérience des affaires étrangères, elle a certainement une perspective en comparaison aux pays qui bafouent les droits de la personne.

Le ministre responsable de la région de Montréal – Jean-François Lisée (PQ – Rosemont) a probablement une relation privilégiée avec le maire Applebaum, mais dans un article du Devoir du 26 mars, il a clairement pris position pour le règlement municipal P6 – http://www.ledevoir.com/politique/quebec/374194/itineraires-des-manifestations-lisee-est-en-faveur-des-reglements-municipaux

Interpeller les élus, leur demander des comptes, les implorer d’intervenir, les menacer de conséquences historico-hystériques est un bien faible remède. Ils peuvent ignorer ces appels et attendre que ça passe. Ça finit toujours pas passer, beaucoup plus rapidement que leur mandat de 4 ans. Ils ne risquent rien. Regardez Jean Charest, un des pires Premier ministre du Québec, un fossoyeur que j’ai dénoncé longuement sur cette tribune. Le Parti Libéral a remporté 50 circonscriptions le 4 septembre 2012 avec 31,20% des votes – un mince 0,75% de moins que le PQ. Toutes les attaques, critiques, manifestations, plaintes, pétitions n’auront presque rien accompli. Parce que le pouvoir reste dans les mains des élus, et non celle des citoyens.

L’expert en droit constitutionnel français Étienne Chouard appelle ça « la cause des causes » et il fait un brillant exposé lors d’une conférence : (http://www.youtube.com/watch?v=oN5tdMSXWV8 – 17 minutes qui valent la peine!). On peut s’attaquer à toutes les causes de nos problèmes, on finit toujours par remonter à la cause des causes : les citoyens n’ont aucun pouvoir politique. Il faut que ça change. Le modèle actuel a été exposé pour ce qu’il est : un cirque pour obtenir notre bête consentement, notre silence et notre apathie. On nous donne une minute pour voter aux quatre ans, on nous rassure qu’on vit en démocratie, on nous mentionne avec sévérité qu’il y a des gens qui meurent pour ce même droit, on nous renvoie sagement à la maison et ensuite on nous méprise pour les quatre prochaines années.

Si des citoyens veulent faire annuler le règlement P6, ils peuvent gueuler sur les médias sociaux, écrire à leurs élus et même se présenter aux conseils de ville, ça ne changera pas le fait qu’ils n’ont aucun pouvoir sur les élus. Et même si les élus s’avisaient d’annuler le règlement présentement, ça ne serait qu’en monnaie d’échange pour arrêter la clameur des citoyens. Le système actuel resterait en place et le règlement P6 pourrait revenir aussi vite que la première fois.

En démocratie directe, un règlement comme P6 n’aurait jamais vu le jour sous cette forme ou bien il aurait été annulé très rapidement. Les citoyens qui veulent voir annuler ce règlement – et j’en suis – doivent donc poser un geste pour amener une démocratie directe au niveau municipal. Et ne me parlez pas de « consultations citoyennes », la seule vraie consultation c’est un référendum qui a force de loi.

La démocratie directe, la vraie démocratie, c’est celle qui donne aux citoyens le pouvoir de gouverner, le pouvoir de nommer des gestionnaires de l’état, le pouvoir de les destituer s’ils commettent des fautes, le pouvoir de voter les lois qui les gouvernent. En démocratie directe, le système actuel de corruption généralisée à la Ville de Montréal n’aurait jamais pu prendre racine et durer aussi longtemps.

Nous avons le choix des méthodes. On peut marcher et se faire matraquer dans le grand théâtre de la rue à 637$ le billet, gueuler à la ronde et devenir des professionnels de l’indignation électronique, s’égosiller sur les tribunes politiques marginalement ouvertes aux citoyens, se faire mentir le temps que l’on se calme ou on peut collectivement opter pour la solution des solutions afin de régler la cause des causes : se donner une démocratie directe. Prendre le pouvoir.

Il y a moyen de le faire au niveau de la ville de Montréal, dans les arrondissements, et ce dès les prochaines élections municipales prévues en novembre 2013. À la fin avril, j’organiserai une conférence où j’exposerai mon approche pour mettre en place une démocratie directe à Montréal en opérant dans le système politique actuel.

En septembre 2011, j’ai écrit ma « Lettre ouverte aux autres citoyens » avec qui je vis dans cette ville pour vous exhorter de vous réveiller. Maintenant, je veux vous inviter à poser un geste pour mieux vivre ensemble dans cette ville. En attendant la conférence d’avril, pensez à votre capacité d’engagement et à votre désir de changement : la ville est grande et je ne pourrai pas y arriver sans vous.

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* : Selon le site du ministère de la Justice du Québec

** : J’ai effectué trois corrections : le comté de M. Cotler, le nombre de questions aux conseil de ville, et le titre de Étienne Chouard et j’y ai ajouté un lien.

Mise à jour du 19 avril 2013 : Plus de 50 organismes demandent l’abrogation du règlement P-6