BloguesÉlise Desaulniers

« Ici, c’est pas si pire »

Un hockeyeur professionnel qui devient végétalien, ça ne laisse personne indifférent. On a pu le constater en 2009 quand Georges Laraque, alors goon du Canadien racontait sur toutes les tribunes que c’est le documentaire américain Earthlings qui l’avait initié aux pratiques cruelles de l’industrie de la viande, des œufs et du fromage. Mais les images de Earthlings venaient de fermes américaine. Parmi les québécois, nombreux se rassuraient : « Faut pas virer fou. Chez nous, c’est pas si pire ».

Tel fut d’ailleurs le point de départ d’une enquête de l’émission La semaine verte à Radio-Canada. Nos pratiques étaient-elles aussi mauvaises que celles de nos voisins du sud ? Dans le reportage d’octobre 2010, on peut voir des porcs castrés à froid, des truies qui passent toutes leurs vies dans de minuscules cages, des poules pondeuses qui ne peuvent ni se percher, ni ouvrir leurs ailes et des veaux attachés dans des logettes individuelles. Des images similaires à celles qu’on voit dans Earthlings et ailleurs sur Internet, des images difficiles à obtenir, même pour les caméras de Radio-Canada plutôt sympathiques à la cause des agriculteurs. « Tout n’a pas à être montré partout » affirmait Jean-Guy Vincent, producteur porcin. « Moi, je pourrais expliquer les gestes qu’on pose en agriculture, comment on les pose, mais après ça, pour moi, ça s’arrête là. C’est pas vrai que le consommateur veut tout voir. »

L’an dernier, c’était au tour des productions J de Julie Snyder d’enquêter sur les élevages québécois dans le documentaire La face cachée de la viande. Mais pour eux, les portes des élevages sont restées fermées.

 

Faites-nous confiance

« Faites-nous confiance, nous sommes les mieux placés pour savoir comment on doit élever les animaux ». C’est, en somme, ce que nous disent les producteurs. Le président de l’UPA, Marcel Groleau écrivait d’ailleurs en janvier 2013 qu’« [en] matière d’élevage bovin, ovin, laitier ou autre, les notions de confort, de sécurité et d’économie s’avèrent très importantes. »

Bref, les producteurs nous disent de leur faire confiance. C’est aussi ce que dit la Loi. Toute activité agricole, pourvu qu’elle soit pratiquée « selon les règles généralement reconnues » (c’est-à-dire les pratiques courantes de l’industrie), est exclue de la section concernant le bien-être de Loi québécoise sur la protection sanitaire des animaux (LRQ c. p-42). Au niveau du Code criminel canadien, c’est pratiquement la même chose : le code criminalise le fait de causer volontairement une douleur, souffrance ou blessure sans nécessité. Il faut donc être en mesure de prouver au juge que ce qu’on inflige à un animal est non nécessaire. Mais la jurisprudence sur la question semble indiquer que lorsque les pratiques font partie des standards de l’industrie, elles ne sont pas sans nécessité.

Que pense-t-on d’un chef d’État qui demande aux journalistes étrangers de rester chez eux et de lui faire confiance, parce qu’il est le mieux placé pour savoir ce qui est bien pour son peuple? Et entre les images que nous fournit son service de presse et celles que réussissent à tourner en caméra cachée ceux et celles qui sont sur place, auxquelles accorde-t-on le plus de crédibilité ? Évidemment, ceux qui veulent maintenir le statu quo diront que ces images ne montrent pas « toute la réalité » et ne visent qu’à « ternir l’image du pays », voire à « favoriser les intérêts de certains groupes ». C’est, en tout cas ce que suggèrent les Moubarak, Ben Ali et autres Kim Jong-il.

 

Photo : Mercy for Animals
Photo : Mercy for Animals

L’autre côté de la médaille

Des groupes comme Mercy for Animals ne ménagent pas leurs efforts pour ouvrir les portes closes des élevages intensifs. Leurs images dérangent. Aux États-Unis, plusieurs états imposent des peines sévères à ceux qui tournent sans autorisation préalable.

Heureusement, ce n’est toujours pas le cas chez nous. De ce point de vue, on peut bien le dire: ici, c’est pas si pire ! De temps à autres, des employés courageux réussissent à documenter les élevages et les abattoirs. Ce week-end, on a pu voir à W5  sur CTV, dans le Toronto Star et dans le Journal de Montréal des images d’horreur, tournées pendant deux mois dans un élevage de veaux de Pont-Rouge près de Québec. Près de 800 veaux sont quotidiennement sujets à des traitements violents durant les 18 à 20 semaines de leur courte vie.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la violence va bien au delà des gestes de cruauté. Elle est, pour ainsi dire, structurelle. Les veaux sont maintenus dans des stalles si petites qu’ils ne peuvent se retourner ou se coucher confortablement. Ils ne vont jamais dehors, ne respirent jamais d’air pur, ne peuvent former de liens affectifs avec leur mère. Les très jeunes veaux, âgés de quelques semaines, sont battus et frappés. Certains sont pris par les testicules pour les forcer à entrer dans leur minuscule cage de bois. Ils cherchent de l’air dans une grange souillée d’urine et d’excréments. Dans le reportage, l’enquêteur raconte qu’il a perdu le compte du nombre de veaux morts pendant qu’il était sur place. « Pendant quelque temps, c’était un par jour. On entrait et il y avait un veau mort dans sa cage. »

Visiblement ébranlé par les images en caméra cachée, le technicien responsable du bon traitement des animaux sur cette ferme, assure qu’il n’a rien vu. Même chose pour Fabien Fontaine, président de Délimax pour qui les veaux sont produits et qui dit accorder « une très grande importance au bien-être de ses veaux. » Bref, personne n’avait rien vu avant la visite de l’enquêteur de Mercy for Animals.

Sur sa page Facebook, le gestionnaire de communauté des producteurs de veau de lait du Québec a patiemment copié-collé la même réponse des dizaines de fois : « Nous sommes tout aussi choqués que vous par ce qui a été démontré dans le reportage. Ceci ne représente pas la situation de la majorité de nos 160 producteurs. »

Une situation « exceptionnelle » que personne n’avait jamais vue avant. Vraiment ?

Ce que nous montrent les images de Mercy for Animals, c’est la même chose que ce qui est condamné par les spécialistes du bien-être animal depuis plus de quarante ans. C’est la même chose que ce qui a été tourné dans les élevages aux quatre coins du globe. Les animaux sont considérés comme de simples machines à produire de la viande, du lait ou des œufs. Ce que nous rappelle aussi ces images, c’est que l’industrie est incapable de s’autoréglementer et qu’elle ne pourra jamais le faire. Comment s’en étonner? Ses intérêts – générer des profits – seront toujours en conflit avec les intérêts des animaux.

 

L’industrie ne changera pas

L’histoire se répète. Les producteurs de veau nous rassurent : ils vont « continuer à encourager les producteurs à appliquer le code » et le développement d’étables où les veaux sont élevés en groupe. On ne peut pas être contre le progrès, mais il faut reconnaître qu’au cœur de ces changements, ce n’est pas tant du bien-être des veaux qu’il est question, mais de parts de marché. Les États-Unis constituent le principal marché d’exportation québécois pour le veau de lait. Or le veau élevé en logettes individuelles y sera interdit à compter de 2017. Pas le choix de s’y conformer.

Au Québec, l’industrie du veau est largement déficitaire. Dans les cinq dernières années, elle a reçu plus de 100 millions de dollars de l’Assurance stabilisation du revenu agricole (ASRA). En 2012, c’était 70$ par veau qui était versé. Il faut donc diminuer les coûts, faire des économies d’échelle. La survie passe logiquement par des élevages de plus en plus gros, des élevages contrôlés par deux grandes firmes, Écolat et Délimax. Au Québec, seule une dizaine de producteurs sur 160 sont indépendants.

Il serait utopique de penser qu’une entreprise déficitaire qui compétitionne contre de gros joueurs à l’échelle internationale va volontairement appliquer un code de pratique dont ses employés n’ont jamais entendu parler et augmenter ses coûts, simplement motivée par une empathie envers les animaux qu’elle exploite. Mais de combien de vidéos en caméra cachée aurons-nous encore besoin pour le croire ?

On ne fait pas confiance à l’industrie automobile pour déterminer ce qui est sécuritaire, on ne fait pas confiance à l’industrie pharmaceutique pour déterminer quels sont les médicaments qui doivent être mis en marché. Pourquoi devrait-on fermer les yeux et laisser l’industrie de la viande déterminer comment doivent être traités les animaux? Le Code criminel et les lois québécoises doivent être réformés.

Mais que faire en attendant une éventuelle réforme législative? Garder le statu quo?

Marcel Groleau, le président de l’UPA, écrivait l’an dernier que « les images de cruauté envers les animaux qui nous sont présentées sont délibérément choisies pour choquer » et « prôner le végétarisme. » Mais ce que monsieur Groleau ne semble pas comprendre, c’est qu’on ne dénonce pas les pratiques de l’industrie pour faire la promotion du végétalisme. On fait la promotion du végétalisme à cause des pratiques de l’industrie.

Adopter un régime végétalien, c’est arrêter de manger du veau. Mais c’est aussi arrêter de boire du lait de vache dont le veau n’est en réalité qu’un sous-produit. C’est aussi ne plus se faire complice de la violence qui accompagnent l’industrie des œufs, du poulet, du porc et du bœuf – parce que Delimax et Écolat n’ont malheureusement pas le monopole de la logique de rentabilité. Adopter un régime végétalien, c’est agir en boycottant une industrie aux pratiques honteuses qui n’a à cœur que ses propres intérêts. Il serait temps de l’admettre une bonne fois: ici, c’est si pire que ça.

 

Pour plus d’information : crutautédescages.ca