Michel Châteauneuf : Liens de sang
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Michel Châteauneuf : Liens de sang

Avec La Société des pères meurtriers, un thriller dont l’action se déroule à Trois-Rivières et à Shawinigan, l’auteur trifluvien Michel Châteauneuf continue d’explorer la part d’ombre du genre humain.

"Je déteste le politically correct. On me traite souvent de provocateur. D’emblée, je pourrais l’accepter. Mais ce n’est pas par pure provocation que j’écris ce que j’écris", explique Michel Châteauneuf, les yeux rougis en raison d’une longue nuit à cuisiner de la sauce à spaghetti pour toute une armée – après notre rencontre, l’auteur, aussi enseignant au Collège Laflèche, partait pour un séjour en Haute-Mauricie avec ses élèves. "C’est que j’aime aller où on n’est pas allé, tout simplement. Ce que je déteste du thriller, c’est la perspective manichéenne. Beaucoup de romans ont été écrits sur la psychopathologie, sauf que c’est toujours du point de vue du bon enquêteur qui fait triompher le bien sur le mal. La réalité n’est pas comme ça. Et dans ces livres, on ne rentre pas dans la psychologie, voire la psychopathologie du problème. On ne sait pas pourquoi le personnage en est arrivé à faire ça. On effleure cet aspect parce que ce n’est pas ce que la société veut lire, d’une certaine façon. Moi, j’ai décidé d’aller dans le vif du sujet. Je n’irais pas jusqu’à dire que je fais une analyse des psychopathes, mais je suis allé très loin."

Dans La Société des pères meurtriers, roman qui a exigé trois années de travail, le Trifluvien a créé le richissime détective privé Christian Saint-Amant, un baby-boomer aux idées d’extrême droite pour le moins amoral. "Selon moi, ce livre est plus terrifiant que La Balade des tordus [son roman précédent] parce que la folie du personnage de Saint-Amant s’inscrit dans sa domesticité. C’est un homme qui a eu trois enfants avec trois femmes différentes et qui nourrit le fantasme de les éliminer parce que, selon sa théorie génétique, ils ne correspondent pas à ce qu’ils auraient dû être. Son fantasme devient réalité quand un de ses amis lui apprend qu’il existe une société secrète spécialisée dans l’épuration familiale, qui élimine les enfants que l’on ne désire plus."

LA HAINE

Violence intergénérationnelle, inceste, infanticide… Plus d’un tabou est abordé de front dans ce thriller. "Les thèmes que j’exploite s’imposent d’eux-mêmes, spécifie celui qui adore la plume réaliste de Zola. Je suis un peu comme une éponge. Je suis un grand consommateur de nouvelles, que j’écoute en boucle autant sur les chaînes nationales qu’internationales. À un moment donné, je suis absorbé par un climat."

Outre cette tension, des histoires véridiques ont nourri la trame narrative de La Société des pères meurtriers, dont celle d’une macabre découverte à Trois-Rivières. "L’élément déclencheur de toute cette atmosphère, c’est une anecdote que m’a racontée mon proprio. Un jour, alors qu’il creusait dans sa cour, il est tombé sur un cadavre. Parce que là où j’habite, dans le Vieux-Trois-Rivières, c’est un ancien cimetière du régime anglais. Alors ce qui est raconté dans le livre, c’est vrai en partie!" Léger frisson: la Société des pères meurtriers s’inscrit-elle dans la colonne des faits réels? "Non. C’est un de mes amis qui travaille dans une usine qui me rapporte des anecdotes. Je ne veux rien dire de péjoratif, surtout en lien avec la lutte des classes, mais il y a des gens de ce milieu qui mènent des vies complètement erratiques et sinueuses. Souvent, ils travaillent de nuit. Ils ont vécu différents divorces, ont eu des enfants avec différentes femmes et entretiennent des relations extrêmement conflictuelles avec leurs enfants, au point de se battre avec eux! En entendant ça, je n’en revenais pas. Pourtant, je pense que ces anecdotes appartiennent à une certaine réalité qui est peut-être plus répandue qu’on croit. Alors, ça m’a amené à étayer le thème de la haine du père envers sa progéniture. Et je l’ai amené à des niveaux vertigineux, extrêmes."

UNE BOUEE

Nager dans les méandres les plus obscurs de l’âme humaine ne le trouble pas? "J’ai beaucoup d’intermédiaires. J’ai créé spécialement un narrateur-diable pour me protéger. On pourrait croire que les pires monstres, ce sont mes personnages. Mais non, c’est mon narrateur. C’est sûr qu’à certains moments, je passe à autre chose. Je ne pourrais pas travailler là-dessus à temps plein; ça pourrait agir sur mon humeur", conclut celui qui devrait lancer un quatrième bouquin au printemps 2011.

La Société des pères meurtriers
de Michel Châteauneuf
Vents d’Ouest, 2010, 178 p.

À lire si vous aimez /
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La Société des pères meurtriers
La Société des pères meurtriers
Michel Châteauneuf
Vents d’Ouest