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Benoit XVI serait-il le premier pape moderne?

Le règne de Benoit XVI s’est inscrit dans la continuité  de son prédécesseur Jean-Paul II : défense d’un humanisme social sur le plan économique, ouverture aux autres religions, conservatisme moral rigide guidé par la défense du caractère sacré de la vie. En renonçant à son pontificat, il pose néanmoins un geste révolutionnaire dont ses successeurs devront tenir compte. On le disait hyper conservateur, Benoit XVI serait-il le premier pape moderne?

Hier soir en redevenant Josef Ratzinger,  Benoit XVI a emporté avec lui une partie de la fonction papale. Pour les plus croyants et certains membres de la curie (évêques, cardinaux, personnel du Vatican), ce geste désacralise la figure du pape et met à mal son image. Il est vrai que cette décision n’a rien de sacrée, elle est même guidée par une rationalité toute humaine, celle de se retirer d’un emploi quand les forces viennent à manquer. Si cette décision ne va pas contre la foi, elle s’oppose tout de même à la sacralité de la mission du supposé successeur de Pierre.

En renonçant à son ministère, qui selon la tradition catholique lui a été donné par l’Esprit saint, Josef Ratzinger laisse sous-entendre que le pape n’est pas le représentant de Dieu sur Terre (le chef visible d’un Dieu invisible), mais un administrateur comme un autre. Le pape n’est plus l’Église, il est au service de l’Église. Voilà peut-être la vraie révolution du legs de Benoit XVI : humaniser la fonction de Pape.

D’un point de vue théologique cette démission soulève une question dogmatique que n’a pas manqué de soulever Rachel Donadio du NY Times, celle de l’infaillibilité pontificale. En effet, d’un point de vue théologique, comment peut-on être un jour considéré infaillible d’un point de vue dogmatique et le lendemain redevenir faillible? L’infaillibilité pontificale est un dogme (un point de doctrine fondamental) de l’église catholique romaine qui stipule que le pape ne peut pas se tromper lorsqu’il s’exprime ex cathedra (c’est-à-dire quand il remplit sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens), et ce, en matière de foi et de morale.

Ce dogme, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne date que de 1870 et du premier concile de Vatican (assemblée de théologiens qui statuent sur des questions de dogme). Il stipule que « le Pontife romain […] jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les moeurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église ».

Le caractère doctrinaire (pour ne pas dire dogmatique) de ce dogme peut surprendre, surtout dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Il faut replacer cette décision dans son contexte historique : en 1870, les dernières monarchies européennes cédaient devant les forces démocratiques, l’anticléricalisme gagnait du terrain et les états nations s’affirmaient devant les États de l’Église. L’infaillibilité papale a été une sorte de réaction (irrationnelle) de la curie romaine au moment où elle voyait son pouvoir temporel être confisqué par les états nations.

L’infaillibilité n’a été utilisée qu’une seule fois en 143 ans et pour un seul dogme : celui de l’Assomption de la Vierge, par le pape Pie XII en 1950. Ce débat théologique faisait suite à celui de l’Immaculée Conception de la vierge amorcé par Pie IX en 1854  et qui conférait à la vierge Marie le statut d’Immaculé (la Vierge Marie serait née, comme Jésus d’une relation sans péché). Le dogme de l’Assomption affirme que l’immaculée mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée corps et âme à la vie céleste.

En renonçant à sa charge, Benoit XVIe rend en quelque sorte caduc l’édifice intellectuel sensé soutenir le principe de l’infaillibilité, il met en évidence les excès doctrinaux du Vatican et la distance qui sépare la tête de l’église des simples fidèles. Jean Paul II avait déjà un peu humanisé la fonction : élu à 58 ans, il n’hésitait à mouiller la chemise, on l’a vu notamment faire du ski dans les Alpes. À la différence de Benoît XVI, Jean-Paul II n’a jamais voulu quitter son siège, malgré l’épuisement et la maladie. Quand on lui demandait s’il devait démissionner, il répondait qu’être pape n’est pas un métier, mais un sacerdoce ; on ne descend pas de la croix, seul Dieu peut décider de la date de l’arrêt de nos souffrances.

Le geste de Benoit XVI va peut être changer la signification et le rôle de pape, le faisant passer de statut de semi-divinité, d’icône religieuse, à celui, plus profane et fonctionnel d’administrateur et de leader de l’Église catholique. Le Vatican deviendrait-il à son tour une organisation séculière? Rien de moins sûr, mais les dernières paroles de Benoit XVI en tant que pape ont été d’encourager un renouveau de l’Église. Et ce renouveau, l’église en a grandement besoin pour recoller avec des croyants qui demandent depuis nombre d’années une modernisation.

Quand on s’attarde sur les forums et les commentaires d’articles on remarque que ces demandes touchent en premier lieu le mariage des prêtres et la prêtrise des femmes. Les fidèles aimeraient aussi soulever d’autres points comme l’élection des évêques (par leurs paroissiens) et du pape (sur le mode d’une élection beaucoup plus ouverte style primaires américaines par exemple). Si une certaine critique antihiérarchique peut facilement trouver un écho auprès des fidèles au sein même de la curie, il ne faut pas croire qu’il en soit de même pour les valeurs liées à la conception sacrée de la vie. Ce n’est pas demain la vieille que l’Église catholique romaine entamera un débat sur l’avortement et l’euthanasie. On verra peut-être des dogmes comme l’infaillibilité du Pape être remis en question, des tentatives de réconciliation avec les orthodoxes et les protestants ou encore une ouverture vers des évangiles ‘apocryphes’  comme ceux de Thomas.