BloguesHugo Prévost

Plaidoyer pour une SRC branchée… et seulement branchée

Petite note : chers lecteurs, le texte de cette semaine est passablement long. Vous me pardonnerez, je l’espère, cette logorrhée bien involontaire. Bonne lecture!

Il est temps pour Radio-Canada / CBC de laisser tomber la télévision. La proposition n’est toutefois pas de moi; l’idée appartient plutôt à Kai Nagata, cet ancien journaliste télé de CTV affecté au bureau de Québec et ayant démissionné avec fracas à l’été dernier.

Cet ex-confrère, donc, émettait à la fin janvier une proposition renversante dans le cadre de la campagne Ré-imaginons la SRC, campagne dont j’ai déjà traité dans un billet de blogue précédent. Dans son propre billet de blogue sur la question, M. Nagata estime que le moment est venu de changer les méthodes de production de l’information – et du divertissement – télévisuel au sein de la société d’État.

L’idée a du bon, et est même franchement séduisante. Après tout, comme le précise l’ex-journaliste, la SRC n’a pas l’obligation de dégager des profits comme les chaînes privées, et l’importance de ses moyens (avant que les conservateurs n’y mettent la hache avec un plaisir certain) lui permet d’innover et de développer des idées qui seraient autrement mortes et enterrées avant même un premier essai.

Les chroniqueurs média et les journalistes spécialisés en télévision et en presse télévisée nous rappellent également que la « grande messe » du Téléjournal n’existe plus depuis de nombreuses années. Les statistiques le prouvent : TVA domine outrageusement les cotes d’écoute, soir après soir. Au lieu de se battre contre l’empire Quebecor – et les principaux concurrents au Canada anglais –, Radio-Canada devrait donc prendre le taureau par les cornes et forcer un changement de paradigme.

Allons-y donc, si vous le permettez, avec quelques suggestions en rafale :

  • Ramener RDI dans sa version web : décision incompréhensible s’il en est une, le retrait de la retransmission en direct du signal de RDI sur le site Internet de Radio-Canada donne l’impression de payer pour la moitié d’un diffuseur télévisuel public si l’on n’est pas abonné au câble. En laissant tomber la télévision, de toute façon, RDI pourrait retrouver ses lettres de noblesse sur le web. Il est d’ailleurs déprimant de devoir se tourner vers des sites d’information étrangers pour obtenir une couverture en direct d’un événement majeur sur la scène internationale lorsque, comme moi, on en est resté aux oreilles de lapin. Ce n’est pas comme si Radio-Canada n’avait pas les ressources journalistiques nécessaires, après tout…
  • Poursuivre l’intégration des différentes plateformes : il est déjà possible, sur le site Internet de Radio-Canada, de consulter les reportages vidéo liés à certains dossiers, et ce en cliquant directement sur le bouton « marche » qui remplace la photo habituelle qui coiffe normalement les articles. Les plus malins d’entre vous feront remarquer que l’on pouvait déjà consulter les reportages liés à certains articles depuis plusieurs années, et ce en cliquant sur des liens savamment disposés, dans la plupart des cas, à la fin desdits articles. À cela je répondrai que le travail est quasiment complété. Ne reste qu’à…
  • Se débarrasser de Silverlight (le logiciel utilisé pour accéder au contenu multimédia) : pour l’amour de tout ce qui est bon, dirigeants de Radio-Canada, brûlez cette horreur aussi vite qu’il vous sera possible de le faire ! Non seulement la plateforme est horriblement lente et mal conçue, mais il aura fallu beaucoup de temps pour l’adapter à tous les systèmes d’exploitation. Je peux comprendre que Flash soit lui aussi lourd et encombrant, mais pourquoi ne pas migrer vers le HTML 5 ? Les possibilités du nouveau langage sont particulièrement intéressantes, vidéoclips fantastiques d’Arcade Fire à l’appui, et seul Internet Explorer résiste encore et toujours à l’envahisseur. Ce serait l’occasion, pour les internautes, de s’éduquer un peu sur le plan informatique et apprendre que Firefox et Chrome sont de loin supérieurs à la « patente à gosse » de Microsoft dans le domaine.
  • Déconstruire le Téléjournal : qui dit abandon de la télévision traditionnelle dit abandon, également, des formats qui l’ont structurée pendant des décennies. Je ne suggère pas de sacrifier entièrement les bulletins de nouvelles, mais plutôt de permettre plusieurs choses : tout d’abord, de pouvoir réécouter plus facilement les bulletins, et ce à toute heure du jour ou de la nuit. Je ne sais pas pour vous, mais je ne suis pratiquement jamais devant un écran de télévision à midi, 18 ou 22 heures, à l’exception des moments où je suis au bureau. J’aimerais bien, cependant, pouvoir disposer d’une méthode facile pour réécouter le TJ, un peu comme Tou.Tv permet déjà d’écouter une émission n’importe quand.

En poursuivant dans la même veine, pourquoi ne pas offrir un mode de sélection des reportages à la pièce ? À la manière d’une liste de diffusion, il serait alors envisageable de construire son bulletin avec les segments qui nous intéressent. Pourquoi ne pas y ajouter un accès rapide vers les archives, ou les contenus radio ? Sans oublier, peut-être, l’intégration avec Tou.Tv sur ordinateur, tablette ou télévision connectée ? De cette façon, je pourrais me programmer de la radio l’après-midi, par exemple, le bulletin de nouvelle (en entier ou en partie) en début de soirée, pour ensuite clore le tout avec quelques épisodes d’une télésérie.

  • Revoir les codes publicitaires : il s’agit là forcément d’une étape essentielle. Au lieu de rejoindre 700 000 téléspectateurs potentiels à l’heure du bulletin de 22 heures, par exemple, les compagnies pourraient en rejoindre un million, mais sur une période de 18 ou 24 heures. Une déconstruction des bulletins permettrait également d’insérer des séquences publicitaires de 15 ou 30 secondes en début ou fin de séquence. Pourquoi ne pas non plus tirer profit des techniques de publicité ciblée ? Si Google et Facebook en tirent des milliards de dollars, Radio-Canada doit bien être en mesure d’en tirer quelques huards. L’autre solution, advenant une soudaine illumination du gouvernement conservateur, ou l’élection du NPD ou des libéraux au pouvoir, consisterait à obtenir suffisamment de subventions fédérales pour se débarrasser entièrement des publicités.
  • Que faire avec les autres émissions ? Il ne faut pas oublier, en effet, que Radio-Canada est bien plus qu’un service de l’information, même si celui-ci occupe un espace très important autant sur le plan physique qu’en ondes. Hé bien, la réponse est simple : rien, ou à peu près rien, si ce n’est de rendre tous ces jeux questionnaires, ces émissions d’intérêt public, humoristiques ou culturelles entièrement accessibles en ligne, encore une fois via Tou.Tv. Puisque la plupart d’entre elles sont enregistrées plutôt que diffusées en direct, le changement ne devrait pas être trop compliqué.

L’audimat se fragmente, Kai Nagata l’a compris, et le diffuseur public doit impérativement s’adapter, sinon il risque de se transformer en une énorme machine coincée dans un cadre datant de plusieurs décennies, et sans aucun doute extrêmement mal adapté aux réalités du web, surtout en ce qui concerne l’information. Radio-Canada doit se libérer des contraintes actuelles et redevenir le joueur audacieux qu’il a déjà été. Ce serait logique, non ?