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Pour un nouveau contrat social entre les générations

Mon billet précédent a allumé quelques feux puisque je blâmais en quelque sorte les générations plus âgées de ne pas être assez solidaires du combat des jeunes pour une plus grande accessibilité aux études supérieures.

Maintenant, ce pont entre les générations que je souhaite établir est à double sens. Si les plus vieux devraient effectivement se solidariser avec les étudiants pour que l’ensemble de la société puisse être tirée vers le haut, les plus jeunes doivent aujourd’hui prendre conscience que les générations vieillissantes ont quelque chose à nous apporter et qu’elles doivent être épaulées pour éviter deux écueils:

i) Celui qui ferait que les nouveaux retraités pratiquent un certain «décrochage» de la société, en se retirant de la vie publique, en ne jouant qu’au golf et en se réfugiant dans leurs seuls intérêts, c’est-à-dire les loisirs, les soins de santé et les fonds de retraite;

ii) L’autre écueil est pire sur le plan humain, il s’agirait de laisser vieillir dans l’indifférence cette génération, en les parquant dans des CHSLD où la qualité des soins est de plus en plus déficiente et déshumanisée.

Ces deux écueils ne sont pas mutuellement exclusifs. Les deux sont possibles: après avoir vieilli désintéressés du sort des plus jeunes, nos vieux pourraient dépérir en marge de la société pendant que les plus jeunes se ferment les yeux. Quelle tristesse!

Il me semble que nous devons à tout prix éviter ces deux écueils.

En bref, comment remplacer un conflit intergénérationnel appréhendé en occasion d’agir pour renforcer nos liens intergénérationnels? Et comment inclure toutes les générations dans ce projet de société à refaire? Ou comment créer une société pour tous les âges?

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, quatre, peut-être même cinq générations se côtoieront et devront apprendre à vivre ensemble. Il nous faut tenir compte de cette nouvelle donne démographique et adopter une nouvelle éthique intergénérationnelle.

Cette éthique intergénérationnelle implique que nous pensions davantage en fonction du moyen et du long terme. Que sommes-nous en train de léguer aux prochaines générations? Un territoire vidé de ses régions et de ses ressources? Un environnement dégradé? Des finances publiques en crise perpétuelle? Un tissu social en voie d’effilochement? Une culture marginalisée qui a perdu son pouvoir d’attraction et d’intégration? Des institutions discréditées? Une démocratie fragilisée?

La perspective intergénérationnelle offre une réponse porteuse d’espoir à toutes ces inquiétudes.

Ceci nous incite à repenser le monde du travail; à revoir le financement des diverses missions de l’État, à innover dans notre façon de dispenser nos différents services; à réfléchir à ce que nous léguons aux prochaines générations ainsi qu’à nos responsabilités à l’égard de nos aînés.

Voilà une part des exigences de ce que j’appelle une éthique intergénérationnelle. Une telle éthique doit dorénavant traverser tous nos processus décisionnels : les choix que nous faisons individuellement; les choix opérés par nos entreprises et en milieu de travail; les politiques publiques. C’est un nouveau contrat social entre les générations que nous sommes appelés à définir.

L’intergénérationnel appelle à une responsabilité de soi devant l’autre et de l’autre devant soi. C’est un défi : rester fidèles à ce que nous ont légué les générations précédentes tout en offrant aux futures générations la possibilité de choisir leur devenir parmi toutes les options possibles (et des frais de scolarité bas élargissent ces options possibles…).

L’éthique intergénérationnelle nécessite une «pensée durable», elle implique la mise en place d’un dialogue permanent entre générations pour éviter les procès et les corporatismes de groupes d’âges les uns contre les autres. Une éthique intergénérationnelle comporte donc un fin dosage de recherche d’équité et de solidarité entre générations. Plutôt que de voir le vieillissement de notre population comme un fardeau, il nous faudrait l’entrevoir comme une occasion d’agir, un nouveau levier dont il nous faut tirer profit et souligner les nombreuses complémentarités.

Voici quelques exemples de décisions individuelles et collectives qui sont reliées à cette nouvelle éthique que j’appelle:

– Au niveau individuel, il faut que les jeunes générations acceptent de prendre en charge leurs parents vieillissants (et qu’on les aide à le faire);

– Dans le monde du travail, il faut mieux partager le temps de travail, inciter (fiscalement) les vieux qui le veulent à repousser leur retraite pour permettre un meilleur transfert des connaissances tout en favorisant une meilleure conciliation travail-famille pour les jeunes parents;

– En ce qui concerne l’État, toutes ses politiques publiques devraient être traversées par cette «pensée durable» qui cherche à relier les générations entre elles. Ceci implique une vision du développement qui s’arrime avec les exigences du XXIe siècle, c’est-à-dire une exploitation des ressources et une politique énergétique qui créent de la richesse pour tous et non des emplois pour l’équivalent d’un gros restaurant-motel qui sera désaffecté après le passage et le saccage de l’industrie…

À ce sujet, l’étalement urbain qui est au cœur de nos décisions – bien que le nouveau Plan d’aménagement métropolitain cherche à corriger cette tendance – est à l’opposé de ce que devrait être une politique respectueuse de cette nouvelle éthique intergénérationnelle… L’étalement urbain coûte cher à notre société sur tous les plans : il gruge nos dernières terres agricoles (dangereux dans un contexte de crise alimentaire mondiale), il favorise l’augmentation des gaz à effets de serre, il affaiblit le lien social et éloigne l’individu des différents réseaux et services (pas fort dans un contexte de vieillissement!), il multiplie la nécessité de construire des infrastructures lourdes et dispendieuses que nous «léguons» aux autres générations et que nous faisons financer par ceux qui n’en profitent pas directement. Qui en effet défraie les coûts des aqueducs, de l’électricité et des routes que l’on construit pour les nouvelles banlieues? Certainement pas les acheteurs de ces nouvelles maisons ! Il y a là un enjeu qui touche autant la justice sociale que la justice intergénérationnelle.

(Contre l’étalement urbain, il nous faut développer des milieux de vie où jeunes et vieux se côtoient davantage  – ex: des garderies dans des «maisons de vieux», des espaces d’aide aux devoirs, des cours sur les nouvelles technologies donnés par les jeunes, etc.).

L’Institut du Nouveau Monde a organisé l’année dernière le Rendez-vous des générations qui, à la suite d’une démarche citoyenne de délibération collective, s’est soldé par une déclaration des générations, dans laquelle ces exigences de responsabilité, de dialogue, d’équité et de solidarités intergénérationnelles se retrouvent.

Il importe maintenant de la faire vivre et d’interpeller tous les acteurs de notre société pour que cette éthique intergénérationnelle traverse nos décisions individuelles, privées, collectives et publiques.