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Obama et le sens civique

Le discours sur l’état de l’union d’hier soir aux États-Unis comportait tout ce qu’on aime de la démocratie américaine. Le sens du cérémonial, les bons sentiments, l’éloquence d’un président sachant présenter avec cohérence et un réel senti un programme politique ambitieux.

Le véritable envol du discours d’Obama commence à environ 51:00 minutes, là où il aborde la nécessité de réformer l’administration des élections au pays, puisque dans plusieurs États (il n’y a pas de Direction générale des élections aux USA) l’exercice du droit de vote est compromis par des «défaillances» dans les listes électorales ou des mesures dissuasives mises en place par des administrations malveillantes… Et le grand moment d’émotion survient à 54:40, lorsqu’Obama parle de cette majorette de 15 ans tuée par balle: «She was so good to her friends, they all thought they were her best friend!». Parlant des victimes d’armes à feu, il insiste sur la nécessité d’au moins débattre d’un projet de loi sur la question du port d’arme: «These people deserve a vote. They deserve a vote. They deserve a simple vote!»

Mais là où le Président Obama me rejoint encore plus, c’est lorsqu’il insiste sur le fait que la démocratie repose sur des «citoyens» sensibles à ce qui se passe autour d’eux. Il parle alors de ce que certains penseurs ont qualifié d’esprit public ou d’esprit républicain: lorsque la vie associative et le sens du devoir – ce que j’ai déjà appelé le sens de l’État – sont les véritables piliers de la démocratie. From bottom up disait le candidat Obama en 2008!

Hier dans son discours, le Président Obama a insisté sur le rôle du citoyen. Il a honoré cette simple infirmière qui a mis en place un plan d’urgence pour sauver les bébés de son unité de néonatalogie lorsque l’ouragan Sandy a entraîné une panne générale d’électricité. Dans un moment pittoresque et touchant comme seule la télé américaine sait le faire, le Président des États-Unis a rendu hommage à Dezeline Victor, cette vieille dame de 102 ans qui a manifesté et attendu 6 heures avant de pouvoir voter dans son État de la Floride aux dernières élections présidentielles… Puis à 59:50, Obama revient sur le fait que lorsqu’on est «citoyen», il faut comprendre que nous avons aussi certaines obligations envers les autres… Que nos libertés individuelles ne s’exercent pas dans un vacuum sur le plan culturel et politique…

Il ne faut absolument pas mettre de côté l’importance de ce rappel fait par le Président. La démocratie ne peut fonctionner que lorsqu’une éthique de la délibération existe et perdure. Cela implique la capacité à écouter l’Autre, à accepter certaines dissensions, mais à se rallier aussi aux décisions collectives…

Or, la démocratie états-unienne comme celle pratiquée par les conservateurs de Stephen Harper chez nous, a été largement dominée ces derniers mois par une absence de débats, par la vindicte permanente sinon la répétition bête d’arguments vides ou d’insultes. Ce qu’Obama rappelait dans son discours, c’est que nous sommes là pour débattre dans le respect.

Alexis de Tocqueville écrivait dans son célèbre essai sur la démocratie en Amérique que «le déclin pour les formes» menacerait le bon fonctionnement de la démocratie… Il entendait par là tout ce qui relève de la politesse, du respect des autres, de la bienséance, de ce qui se fait en «bonne et due forme»… Nous ne pouvons légiférer sur tout, mais lorsque ces petites règles qui font que la vie en société est possible et agréable, lorsque ces petites règles et conventions prennent le bord au profit d’un narcissisme qui ne promeut que «le bon droit de chacun», eh bien c’est la démocratie qui est alors fragilisée…

En revenant du travail l’autre jour, ma blonde (la voisine) me disait comment elle était indignée de voir l’indifférence et l’impolitesse des gens dans le métro et l’autobus. Aucune courtoisie, un je m’enfoutisme bien assumé qui complique le bon fonctionnement des transports en commun et rend l’expérience pour le moins désagréable… Or, la démocratie commence d’abord par cette capacité à vivre ensemble, dans le respect, avec un certain altruisme sinon une considération pour autrui qui devrait émerger comme une seconde nature pour chacun. Ce déclin du civisme que ma blonde remarquait l’autre jour, nous le remarquons partout. Et une frange de plus en plus nombreuse du conservatisme d’ici, des États-Unis, de la Tunisie ou d’ailleurs, semble étrangère à cette nécessité du sens civique pour que la démocratie puisse exister.

En effet, plusieurs élus du parti républicain aux USA et du gouvernement conservateur à Ottawa ont déjà basculé dans cette politique de l’invective où les adversaires sont méprisés ou alors littéralement ignorés… En Tunisie, c’est pire… On comprend donc que par cette attitude guerrière, ces gens menacent le sain débat démocratique. Chez nous, j’en rajouterais en mentionnant que Stephen Harper comme premier ministre est sans doute l’homme qui a le plus contribué à fragiliser l’autorité du Parlement – supposément notre lieu de délibération collective par excellence – sur le gouvernement. Dans un contexte où la plupart de nos règles constitutionnelles relèvent de conventions, c’est-à-dire de règles non-écrites, on peut dire qu’elles nécessitent des acteurs respectueux de la pratique politique héritée de l’histoire… Or, sur le plan de la gouverne démocratique, Harper est un homme de rupture. Il rompt avec «les formes». Il fragilise les balises non-écrites de notre système politique.

À l’opposé, le discours sur l’état de l’union de Barack Obama portait une conception plus noble de la démocratie: celle-ci se construit d’abord par une juste compréhension du fait que l’individu libre est aussi un citoyen responsable du bon devenir de sa cité.

That’s the work of self-government!