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Stephen Harper me déteste, Justin Trudeau me méprise

Vous avez sans doute déjà vu ce macaron porté par certains et qui proclame «Stephen Harper me déteste». J’aime bien ce slogan qui propose une image inversée. Ce n’est pas tant moi qui est hostile à Stephen Harper (quoique…) que lui et ses politiques qui posent une attaque frontale au Québec et à son modèle de développement.

Que l’on parle de ses positions morales sur l’avortement; de sa volonté d’abolir le registre des armes à feu et de son refus de transférer les données au gouvernement du Québec malgré l’unanimité de la demande de l’Assemblée nationale sur cette question; qu’il s’agisse de sa volonté de durcir la loi sur les jeunes contrevenants malgré un autre consensus québécois, on serait tenté de croire que M. Harper et son gouvernement cherchent en quelque sorte à faire campagne sur le dos du Québec aux prochaines élections… Autres exemples, la réforme de l’assurance-emploi proposée par le gouvernement Harper touche effectivement davantage les régions du Québec et des maritimes que le reste du pays. La rhétorique conservatrice telle que promulguée au Canada anglais glisse quelquefois vers une logique de détestation du Québec, ces gens qui vivent au crochet du reste du pays pour se payer des programmes sociaux généreux… Rajoutez à cela son déni de la science et des changements climatiques, l’indifférence des ministères fédéraux à l’égard du bilinguisme officiel et l’entêtement de M. Harper à nommer des juges et un Vérificateur général unilingue et vous aurez d’autres illustrations de cette indifférence hostile au Québec. Enfin, le dernier budget Flaherty s’attaque aux fonds syndicaux comme le Fonds de solidarité de la FTQ et Fondaction de la CSN qui sont des modèles uniques au Québec et qui sont au cœur de ce qu’on appelle souvent le «modèle québécois». Toutes ces politiques ont des impacts sur les finances publiques du Québec, dans un contexte où les transferts fédéraux vers les provinces sont eux aussi appelés à être diminués.

M. Harper a non seulement fait une croix sur le Québec sur le plan électoral, mais il semble en plus vouloir utiliser une forme de Quebec bashing pour gagner de nouveaux sièges au Canada anglais… Stephen Harper me déteste.

Et Justin Trudeau, lui? Justin Trudeau, consciemment ou non, me méprise comme Québécois. Dans le contexte des révélations importantes faites par le politologue Frédéric Bastien dans son livre La bataille de Londres, non seulement Justin Trudeau manifeste une ignorance et un détachement pour le moins inquiétant, mais il en rajoute en affirmant «que la raison pour laquelle Québec n’avait pas signé la Constitution de 1982 était que son premier ministre de l’époque – René Lévesque – était souverainiste». Voilà une affirmation non seulement fausse, mais problématique pour tout fédéraliste québécois qui se respecte (Y a en a-t-il encore?). Le chef libéral québécois de l’époque et leader du camp du NON lors du référendum de 1980, Claude Ryan, qualifiait le rapatriement de la constitution de 1982 de «coup» fait contre le Québec et son Assemblée nationale. Les revendications au cœur des fédéralistes québécois ont été bafouées par la refonte constitutionnelle de Pierre Elliott Trudeau et aucun premier ministre québécois depuis 1982 n’a osé accepter les changements majeurs apportés par le Canada et les provinces à majorité anglophone depuis ce temps. Pire encore, tout le paysage politique canadien a été transformé par ce «coup» que Brian Mulroney promettait de corriger «dans l’honneur et l’enthousiasme», réparation qui n’a pas été accomplie puisque les Accords de Meech et Charlottetown ont échoué. Lorsque Justin Trudeau parle de «vieilles chicanes», il méprise le fait que les fondements de l’État canadien ont été négocié sur le dos du Québec, sans son accord et dans des circonstances – le livre de Frédéric Bastien nous le rappelle – pour le moins troublantes sur le plan des principes fondamentaux de la démocratie libérale…

Justin Trudeau méprise donc le Québec. Son phrasé bilingue qui fait de la culture canadienne une mosaïque au sein de laquelle le Québec n’est qu’une communauté culturelle vouée par définition à l’assimilation ne font que renforcer et institutionnaliser ce mépris. Qu’est-ce que la culture québécoise aux yeux de M. Trudeau? Je ne crois pas qu’il se soit déjà posé la question. Chose certaine, sa vision du pays, sorte de version figée de celle de papa, refuse systématiquement de considérer que le Québec puisse être compris comme l’une des deux sociétés d’accueil pour les immigrants canadiens. C’est tout le projet politique du Québec moderne qui est ainsi nié: souverainistes comme fédéralistes québécois ont en effet comme objectif depuis 1960 de faire du Québec une société d’accueil capable d’intégrer ses immigrants en français. Le Québec comme culture d’accueil et d’intégration. Mais non, M. Trudeau préfère voir le Canada comme une seule nation bilingue. Or, on le sait, le bilinguisme coast to coast est essentiellement porté par les francophones au Canada: où le Canada est-il effectivement bilingue? Au Québec et en Acadie. Ailleurs, disons simplement que c’est un bilinguisme de façade. Tous les rapports du Commissaire aux langues officielles depuis 1969 disent la même chose: ce sont les francophones qui portent le bilinguisme au Canada.

Dans la vision trudeauiste, la culture québécoise est mise sur le même pied que celle des Canadiens d’origines chinoise ou grecque ou ukrainienne… Or, ces minorités culturelles n’ont pas comme objectif d’intégrer d’autres canadiens à leur culture… Même les nations autochtones n’ont pas cette ambition. Elles en sont encore à poursuivre un projet de survivance culturelle.

Dernière illustration du mépris que Justin Trudeau entretient à l’égard du Québec. Son empressement à s’excuser des politiques impopulaires de son père à l’égard de l’Ouest canadien pose problème devant son refus obstiné à faire de même lorsqu’il est question du Québec. Surtout que les politiques impopulaires de PET dans l’ouest ne touchaient pas aux fondements de l’État!

Alors, selon vous, quel sentiment est le plus problématique? La détestation ou le mépris? Le sentiment et les politiques de Stephen Harper m’apparaissent moins hypocrites et plus clairement affirmées. De son côté, Justin Trudeau lançait sa campagne à la chefferie en disant qu’il «aime le Québec» et qu’il est «en amour avec le Canada

On peut donc se demander si Justin Trudeau est vraiment conscient du mépris qu’il a à l’égard du Québec? Son père l’était et l’assumait. Lui? Je répondrais en citant Félix Leclerc, qui chantait que «l’ignorance a le mépris facile»…