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Vivre ensemble

Une voisine du web (en fait, une vraie amie!) m’a transféré ce court-métrage fort évocateur, à la fois beau et triste, qui extrapole à peine sur l’impact de nos dépendances compulsives aux écrans de toutes sortes, comme je l’évoquais ici.

Le film réussit sans mot à montrer la déshumanisation de nos vies lorsque l’on est relié aux autres que par l’écran… Celui-ci nous fait croire que l’on existe pour le monde et dans le monde, mais en fait, on devine la grande solitude de chacun et l’incapacité de plusieurs d’entrer en réel contact avec ses proches, là. Ici. Maintenant. Sans possibilité de «poster» le moment sur le web pour montrer qu’on existe.

De ces gestes en apparence anodins, on peut tirer de multiples traits: que deviendront la civilité et la courtoisie, si tout le monde privilégie ses relations devant écran plutôt que le vrai contact, nécessairement plus engageant? Et la démocratie?

Ne riez pas, celle-ci implique une capacité à débattre ensemble, à écouter l’autre partie et à accepter les décisions prises collectivement. Celle-ci nécessite donc des pratiques communes, un langage commun, une culture commune, pour qu’au moins dans la sphère publique, chacun puisse converger et contribuer à définir les orientations politiques. On en parlait ici.

Vous croyez que j’exagère en reliant les images fortes du court-métrage et mes inquiétudes sur le déclin de la démocratie? Je vous rappelle plutôt que lors du printemps québécois de 2012, la classe politique au pouvoir, avalisée de façon expéditive par le Juge en chef de la Cour Supérieure de l’époque, ont réussi à instrumentaliser la requête en injonction de plusieurs étudiants qui refusaient de respecter les décisions collectives prises par leurs assemblées générales. C’était la première fois que l’on judiciarisait ainsi un mouvement de grève étudiante. Le but clair était d’y installer l’idée que le droit individuel d’assister à son cours (perçu ici comme un service, la grève y étant baptisée «boycott» pour faire de l’éducation un simple bien de consommation) est supérieur au principe démocratique du respect des décisions majoritaires. Dernièrement, un étudiant de l’Université Laval a triomphé devant la Cour des petites créances et son association étudiante (en grève à l’époque) a dû lui rembourser ses frais de scolarité, transport en commun compris, parce qu’elle l’avait privé de son droit d’assister à son cours…

À l’image de la culture chartiste imposée au Québec par Pierre Elliott Trudeau, on a géré la crise étudiante de 2012 en privilégiant la logique individualiste au détriment de la décision de majorités cohérentes qui décident démocratiquement. Et rappelez-vous, le plus souvent, les «carrés verts» (les pauvres ont tout perdus dans cette crise: frais d’avocat compris) étaient absents des assemblées générales décisionnelles. Dans le court-métrage ci-haut, ceux qui sont accros à leur écran sont des sortes de carrés verts, incapables d’entrer en contact avec le groupe, d’y prendre part vraiment, de contribuer à ce qu’ensemble, nous orientions nos vies. Ce sont sans doute les mêmes qui considèrent que la démocratie se résume à un vote secret tenu à partir de son écran… mais seulement si «Mes DROITS» sont respectés!

Je sais, j’exagère. Mais c’est pour en appeler à un effort, un devoir de déférence minimal envers autrui: côtoyez-le sans l’intermédiaire d’un écran pour voir. Peut-être prendriez-vous davantage le goût de «vivre ensemble». C’est ce que ça prend au minimum pour vivre en démocratie.