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La grossièreté

Denis Coderre vient d’être élu maire de Montréal. De son côté, Régis Labeaume a été réélu fortement à Québec. Qu’ont en commun les deux personnages? Peu de choses je dirais, sinon qu’un certain attrait pour la grossièreté. Je soupçonne que ces personnalités ont largement profité d’un engouement de la classe médiatique à leur endroit parce que leur côté pittoresque et «vendeurs de copies» plaît aux entreprises de presse. Ils sont, comme Éric Salvail, divertissants!

Avez-vous vu la conférence de presse du roi Régis dans laquelle il mangeait de la pizza? Ne lui a-t-on pas inculquer qu’on ne parlait pas la bouche pleine? Disons que le ton, l’attitude générale de désinvolture à l’endroit des questions posées et le côté grossier de ses réponses inintelligibles font partie du personnage. C’est comme si le minimum des règles du savoir-vivre en société pouvait foutre le camp sans conséquence, ou pire, c’est comme si cette absence de politesse minimale et de respect élémentaire pouvait même être payant sur le plan politique! On peut au moins se consoler en se disant que Régis Labeaume offre au minimum un projet et une vision pour sa ville. On peut aussi penser qu’il n’est pas corrompu.

De son côté, Denis Coderre a un parcours plus que douteux en matière de probité. De plus, lui et sa principale concurrente, Mélanie Joly, offraient essentiellement «un programme» construit autour de slogans creux et de formules toutes faites pré-mâchées pour des clips de 10 secondes à la télé. Cette élection montréalaise signale le triomphe des firmes de communication sur le véritable contenu. Lorsque j’étais à l’université, nous lisions L’ère du vide de Gilles Lipovetsky. Il faut croire que nous n’en sommes pas sortis…

Mais pire encore que le vide, c’est le manque de classe de nos représentants qui m’afflige. Mélanie Joly offrait au moins une image digne du métier de représentant politique. Qu’en est-il de Denis Coderre, de Régis Labeaume ou de Rob Ford, ce maire incivil, indécent par ses comportements, ses déclarations et son entêtement à s’accrocher au pouvoir? Or, la grossièreté (et l’indécence dans son cas) serait rentable puisque le maire Ford aurait augmenté son taux d’approbation après avoir avoué consommer du crack…

Chez nous, l’engouement (modeste mais réel) pour Denis Coderre s’expliquerait en partie par la volonté des Montréalais d’avoir eux aussi un maire coloré, une forte personnalité, comme les gens de Québec! Et les médias de se réjouir du retour de la rivalité Montréal-Québec par l’entremise de ces deux coqs qui franchissent allégrement les frontières du savoir-vivre minimal pour contenter la galerie. À défaut du retour des Nordiques… On alimente le divertissement que l’on peut…

Notre politique est un vaudeville. Les débats en chambre à Ottawa (et à Québec dans une moindre mesure) en sont une illustration supplémentaire. Il devient payant et normal d’invectiver ses adversaires, de ne pas répondre aux questions sinon que par des boutades ou des insultes. Les conservateurs de Stephen Harper excellent en ce domaine. Les libéraux de Jean Charest étaient aussi pas pire pour rivaliser de grossièretés et de mauvaise foi.

Et jusqu’ici, ces incivilités (sans parler de la corruption endémique d’une large portion de la classe politique) n’ont pas été sanctionnées outre-mesure par l’électorat. Celui-ci semble de plus en plus démissionner. Et plusieurs de ceux qui restent à l’écoute aiment ce style mal dégrossi, souvent déplacé. Il incarne selon eux le «parler vrai», la proximité avec le peuple ou un je ne sais quoi d’authenticité. Je dirais plutôt que cette grossièreté érigée en stratégie politique reflète une forme de mépris pour le peuple, un populisme bas qui appauvrit la qualité de la vie démocratique. Ce style, si on peut l’appeler ainsi, alimente le cynisme par un anti-élitisme faux puisque sous le couvert du «parler vrai» et de la simplicité, ces politiciens de bas étage sont souvent imprégnés d’un autoritarisme hostile aux contradicteurs et de cachotteries face aux médias, en plus d’entretenir une image d’eux-mêmes qui est très loin de la modestie…

La grossièreté fait son œuvre, elle gagne du terrain au détriment de ce que devraient être les pratiques normales (et normées) du vivre ensemble. L’impolitesse devient vertu. Le respect prend le bord et la langue soignée devient suspecte: elle serait le signe d’un intellectualisme hautain.

Or, si on y réfléchit quelques secondes, le représentant politique devrait au minimum s’efforcer de renvoyer une image respectable au peuple qu’il représente justement. Ne pas s’efforcer d’être à la hauteur de cette exigence ou pire, chercher à incarner une forme d’accessibilité grossière comme le font les maires Coderre, Labeaume et Ford est loin d’incarner le respect du peuple, cela incarne au contraire assez bien selon moi le genre de mépris qu’ils entretiennent secrètement envers celui-ci.