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Figures de l’orientalisme

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J-J Benjamin-Constant (vers 1879)

Je vous incite fortement à aller voir l’exposition «Merveilles et mirages de l’orientalisme» au Musée des beaux arts de Montréal (MBAM). L’expo insiste surtout sur l’œuvre de Jean-Joseph Benjamin-Constant (1845-1902), disciple du peintre Eugène Delacroix, qu’il ne faut pas confondre avec le penseur politique Benjamin Constant (1767-1830) qui lui est connu entre autres pour avoir disserté de manière brillante sur la distinction entre la liberté des Anciens et celle des modernes.

L’orientalisme est un courant des arts visuels mais aussi des sciences sociales. Les orientalistes sont des occidentaux qui ont parcouru un orient proche (le Maghreb) ou plus éloigné (la péninsule arabique, les confins de l’Afghanistan, etc.) et qui ont jeté sur cet «Orient» plus ou moins bien défini un regard empreint de fascination et de représentations fantasmées, donc quelquefois un peu distordu par rapport aux réalités tangibles de ces lieux complexes et fort diversifiés. L’orientalisme témoigne donc d’un véritable intérêt pour ces cultures «étrangères», mais ce regard est aussi souvent fortement caricatural… Il correspond à ce qu’on aime voir chez cette figure de l’altérité que constitue l’orient face à l’occident. Ce regard en dit alors aussi beaucoup sur ce que nous sommes.

Si vous allez voir l’expo, vous remarquerez que les hommes peints par les orientalistes sont souvent des guerriers qui semblent impitoyables, quelquefois mêmes brutaux et un peu décadents. Alors que les portraits de femmes faits par les orientalistes dépeignent souvent des femmes dans des poses lascives, en attente et disponibles pour satisfaire l’envie ou les besoins sexuels d’un homme qui serait hors-cadre, mais qui est appelé à se servir ou asservir la femme.

Si vous réfléchissez quelques secondes à cette typologie, vous remarquerez que notre regard contemporain sur cet Orient compliqué est encore largement imprégné de ces figures de l’orientalisme: des hommes violents et barbares et des femmes soumises n’ayant aucune autonomie… Or, comme toujours, ces regards de l’Occident sur l’Orient comportent une part de vérité, mais ils manquent aussi cruellement de nuances.

Encore une fois, c’est le piège de l’amalgame ou de la généralisation qui nous empêchent de penser l’Orient comme des sociétés qui sont très différentes les unes des autres. La réalité du Maroc est très différente de celle de son voisin algérien qui elle-même diffère beaucoup de l’expérience historique tunisienne… Etc. Comme toujours, il faut réaffirmer que la première réalité de l’Islam comme religion et comme substrat culturel, c’est sa pluralité. Ce qui me permet de dire que les mouvances intégristes, salafistes ou tout ce qui fait partie de l’islamisme comme idéologie politique en 2015 a quelque chose d’anti-islamique, puisque ces courants de pensée cherchent à homogénéiser l’Islam et donc à dénaturer l’extraordinaire diversité qui est au cœur de la pratique de cette religion…

Revenons à l’orientalisme pour dire que ce regard porté par des occidentaux sur un Orient fantasmé n’avait rien de malveillant, bien au contraire, mais il nous permet tout-de-même de problématiser en partie notre rapport aux sociétés musulmanes d’Orient comme celui que nous entretenons avec les citoyens et citoyennes de religion musulmane chez nous. Nous pouvons passer par l’orientalisme pour découvrir qu’au-delà de cette fantasmagorie sur l’arabe violent et la femme musulmane comme objet de désir et de sexualité, il y a toujours eu au sein de l’Orient réel et multiple des femmes intelligentes, savantes, proches de l’exercice direct du pouvoir politique. Bref, la sensualité et l’érotisme ne sont pas les seules qualités qui permettaient aux femmes de gravir les échelons de la société. Et c’est sans doute encore le cas aujourd’hui! De même, il y a toujours eu et il y a encore des musulmans érudits, qui pratiquent leur religion sans dogmatisme, avec toute la piété qui nous fascine et nous effraie, mais aussi avec beaucoup d’ouverture.  Le grave problème des sociétés dites musulmanes, c’est que les islamistes continuent de promouvoir l’infériorisation des femmes et cherchent à faire taire par la violence ceux et celles qui pensent en dehors de leur orthodoxie.

C’est comme si cette terreur de l’idéologie islamiste confortait le regard biaisé que nous avons toujours entretenu avec l’orient imaginé.

D’ailleurs, l’exposition du MBAM se clôt sur des artistes contemporaines qui posent un regard amusé mais critique sur l’orientalisme. Et les œuvres choisies démontrent justement toute l’intelligence et la profondeur d’analyse de ces femmes d’aujourd’hui et leur capacité à jouer tant avec notre regard occidental qu’avec leurs aspirations personnelles et artistiques de façon à transfigurer ces figures de l’orientalisme.