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Reconquérir l’espace public

Le journaliste Étienne Leblanc a fait un très bon reportage l’autre jour sur l’«effet Bloomberg» ressenti à New York, à partir du moment où les autorités municipales ont favorisé l’appropriation par les citoyens des espaces autrefois laissés à l’abandon ou dominés par l’automobile. Bloomberg semblait dire à ses fonctionnaires, si on peut piétonniser Time square, rien n’est impossible!

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, partout à New York, des quais, des espaces délaissés, des coins de rues et anciennes voies dédiées aux autos sont investis par les piétons et transformés en espaces publics de toutes sortes. Et pour la première fois depuis très longtemps, New York a connu un solde migratoire positif… Les quartiers sont revitalisés et les commerçants sont si heureux qu’ils prennent en charge l’entretien de ces nouveaux espaces!

Que se passe-t-il chez nous? Une des emblèmes du «nouveau Montréal» qui se dessine, notre place des festivals (ou Quartier des spectacles) n’a même pas osé bloquer sa rue principale! Ni Ste-Catherine ni Jeanne-Mance ne sont en effet des rues entièrement piétonnes. Ce qui fait de cet endroit une place mal assumée. Nos élus sont de véritables dinosaures en matière d’urbanisme et de développement du territoire. Même les premières versions des plans de réfection de la rue Ste-Catherine sont prisonnières d’un a priori hérité des années 1950 où l’automobile était reine.

Dans la même optique, Denis Coderre accueille favorablement le projet d’un méga-centre commercial de type 10-30 (le 15-40), alors que tout dans ce projet concourt à détruire le tissu urbain montréalais. Or, la ville de Montréal comme le gouvernement du Québec ont la capacité de bloquer ce projet ou de lui imposer de sévères orientations puisque ce méga-centre d’achat de Ville Mt-Royal n’est rien s’il n’est pas raccordé aux aqueducs et aux routes… Mais le ministre des transports du Québec, Robert Poëti, traite tous ceux qui favorisent un simple principe de réduction de l’espace dévolu aux automobiles de «Verts foncés» déconnectés de sa vision du droit de conduire en auto ! M. Poëti semble même considérer que les autres moyens de transports sont des nuisances à l’automobile…

On part de loin, si on veut simplement reconquérir l’espace public et faire en sorte que les plus vulnérables – les piétons, les cyclistes – puissent éviter de se faire écraser par les automobilistes et se réapproprier leur ville comme l’ont fait les New-yorkais en redynamisant l’économie de leurs quartiers.

Reconquérir l’espace public, cela veut aussi dire nous sortir de la pauvreté du débat politique en cours.

Or, après une campagne électorale où la principale promesse de Philippe Couillard était de ne pas tenir de référendum (!), son gouvernement opère actuellement une attaque frontale envers le «modèle québécois», caractérisé par une économie mixte. Regardez chacune des actions posées par ce gouvernement et vous constaterez que celles-ci risquent de favoriser une plus grande introduction du secteur privé dans les services publics. C’est le cas pour les garderies (les nouveaux tarifs favorisent le développement de places en garderies privées), les écoles privées (toujours fortement subventionnées et bénéficiant de meilleures ressources pour les enfants en difficulté pendant que l’on coupe dans les écoles publiques), l’accès aux médecins (plusieurs médecins pensent se désaffilier du régime public avec les nouvelles contraintes de performance imposées). Et que dire du développement économique régional, qui sera amputé par l’abolition des CRÉ (Conférences régionales des élus, lieu de coordination et de mises en commun des régions) et par les compressions de moitié des budgets des CLD (Centres locaux de développement, qui renforçaient le tissu social et diversifiaient l’économie régionale)? C’est comme si le gouvernement Couillard cherchait à fragiliser les régions de façon à ce qu’elles ne soient plus en mesure de refuser l’exploitation des gaz de schiste et du pétrole!

Mais même si on faisait abstraction du bien-fondé des propositions du gouvernement libéral, on devrait s’inquiéter du fait que cette déstructuration de notre modèle de développement se fasse sans grand débat, puisque l’élection générale qui a porté les libéraux au pouvoir n’a pas porté là-dessus et puisque les grands projets de loi du gouvernement Couillard sont adoptés avec la procédure du bâillon…

On vient d’apprendre que ce même gouvernement prépare un projet de loi pour soustraire le projet de cimenterie de Port-Daniel en Gaspésie de toute forme de poursuite judiciaire, de consultations publiques et d’évaluation environnementale… La même peur du débat et de la société civile comme rempart à l’autoritarisme sévit dans le dossier de l’exploitation du pétrole et le passage de nouveaux oléoducs au Québec. Chaque fois, le gouvernement Couillard refuse de se poser en arbitre des différents enjeux et prend le parti de la grande industrie contre la mobilisation citoyenne.

Pour vous convaincre de cette mauvaise foi gouvernementale, pire encore que celle de l’industrie pétrolière, visionnez ce court documentaire d’Alexandra Nadeau sur l’exploitation pétrolière à Anticosti. Vous verrez que le gouvernement fait tout pour tuer le débat, contourner la résistance citoyenne et faire en sorte que l’option de l’exploitation pétrolière devienne inévitable.

De son côté, le gouvernement Harper qui a peur de la démocratie et des médias libres est sur le point de faire adopter un projet de loi anti-terroriste qui pourrait déclarer criminelles des manifestations cherchant à obstruer des infrastructures jugées stratégiques ou vitales à l’économie du pays… Comme quoi au nom de la sécurité, ce gouvernement (et l’opposition libérale dans son sillage) est prêt à tuer les libertés civiles fondamentales.

Un débat public appauvri. Des espaces publics dominés par l’automobile au détriment des citoyens. Un processus décisionnel souvent tronqué qui ampute le droit de contester ou même de participer. Des campagnes électorales superficielles donnant des mandats de tout faire ou de tout défaire sans possibles contrepoids… Des libertés qui reculent au nom d’impératifs sécuritaires souvent exagérés et sans contrôles réels sur les nouveaux pouvoirs octroyés aux «forces de l’ordre».  Voilà l’état de notre «démocratie».

Il devient urgent pour nous de reconquérir l’espace public. En ville, cela implique pour les citoyens de gagner du territoire (comme ce fut le cas pour New-York). Et de façon plus générale, cela implique une capacité plus grande pour les diverses organisations de la société de prendre leur place, malgré la résistance et les diverses manœuvres de l’État québécois et canadien qui tous deux, considèrent que la démocratie, c’est voter une fois aux 4 ans et mesurer l’opinion publique par des sondages non-probabilistes!