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Les vaches à lait

 

Mardi, le ministre des Finances Raymond Bachand, sortant à nouveau le vieux cliché, lançait ceci: « les vaches sacrées, c'est en Inde!».

Des vaches sacrées? Vraiment?

Après ce budget, hautement prévisible après tout le conditionnement de l'opinion auquel se sont livrés pour lui les Bouchard, Facal, Jérôme-Forget, Montmarquette & autres «Lucides», une chose est claire: les vaches à lait, quant elles, sont au Québec!

Et elles ruminent surtout dans les pâturages de plus en plus clairsemés de la classe moyenne, des travailleurs à petits salaires et des plus démunis.

Les vaches à lait entrent donc maintenant dans leur phase de vaches maigres.

Enfin…«Vaches à lait» ou «dindons de la farce» – prenez l'analogie fermière de votre choix.

Le jupon conservateur du gouvernement Charest ne dépasse plus. Il traîne littéralement par terre.

Et pour la classe moyenne et les travailleurs à petits salaires, ce budget dégage quelque chose comme une vague odeur de terre brûlée…

Pour les détails de ce détroussage en règle de la classe moyenne, voir: http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/dossiers/budget-quebec-2010/201003/30/01-4265840-quebec-met-la-main-dans-les-poches-des-contribuables.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_vous_suggere_4265880_article_POS1

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On ira donc chercher les milliards «manquants» dans les poches habituelles par une brochette impressionnante de hausses de tarifs, de taxes et par la création de nouvelles ponctions.

«Pis» encore – si vous me passez le jeu de mots dans les circonstances -, les particuliers vont casquer quatre fois plus que les entreprises… La belle affaire.

L'insulte suprême pour les contribuables est de se faire dire par le ministre des Finances que l'«effort» demandé viendrait du gouvernement lui-même à hauteur de 62%, des particuliers pour 31% et des entreprises, pour un tout petit 7%. Ce qui, considérant que le gouvernement offre des «services» aux citoyens, veut dire en termes plus clairs que ce sont les citoyens – taxes, tarifs et services coupés combinés – qui couvriront en fait 93% de l'effort!

Bref, si ça continue comme ça, il y a bien des citoyens qui vont se retrouver, eux aussi, obligés d'aller quêter un salaire supplémentaire au PLQ pour couvrir leurs hausses de tarifs et de taxes, immédiates et à venir…

Incluant cette ponction proprement scandaleuse pour la «franchise» santé.

Scandaleuse parce qu'elle se fera indépendamment des revenus des citoyens. Un gros 200$ pour le préposé, la travailleuse autonome ou la mère monoparentale. Mais un très petit 200$ pour les gros salariés et les entrepreneurs. 

Sans compter ce ticket modérateur qui modérera surtout ceux qui n'auront pas les moyens de l'être. Et que feront les mères monoparentales, les patients qui ont des maladies chroniques, les personnes atteintes du cancer, lesquelles, par définition, ont de multiples rendez-vous chez le médecin?

Paradoxe ultime: seul Ottawa pourrait sauver les Québécois de cette «franchise» santé pensée de manière particulièrement régressive. Si, bien sûr, le gouvernement fédéral venait à refuser de modifier la Loi canadienne sur la santé pour «accommoder» le budget Charest…

«Finie la culture de la gratuité des soins de santé et des services gouvernementaux!», qu'on nous dit…

Et les impôts, c'est quoi ça? Une coquetterie de la gauche?

La «révolution culturelle» du gouvernement, ce n'est rien d'autre qu'un retour aux vieilles recettes conservatrices.

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RÉTABLIR L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE:

Et tout ça pour faire quoi?

Bien voyons. Pour «rétablir l'équilibre budgétaire»

Et qui l'a déséquilibré, le budget? La récession? Un peu, mais pas autant qu'on le croit au Québec.

Alors, quoi?

Eh bien. Ici comme dans nombre d'autres États occidentaux, c'est principalement le gouvernement lui-même qui l'a déséquilibré, ce budget.

Pourquoi et comment a-t-il fait cela?

Réponse: pour des raisons essentiellement idéologiques. Il a vidé lui-même une partie de l'assiette fiscale de l'État en accordant une brochette de baisses d'impôts dont les gens, sauf les plus nantis, ne voulaient même pas.

Et bien sûr, en refusant pendant des années d'occuper le champ fiscal laissé vacant par l'«autre» gouvernement conservateur, celui d'Ottawa, lorsqu'il a abandonné 2 points de TPS.

Cela ne tient pas d'un «complot», mais simplement d'une vision conservatrice des choses. Une vision amplement documentée et dont les effets dévastateurs sur plusieurs États providence se font encore sentir aujourd'hui.

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LA «PIRE» DES MESURES:

Une preuve supplémentaire?

Cette déclaration plus que révélatrice sortie de la bouche de M. Bachand ce soir en entrevue: «La pire des mesures, ce sont les impôts!». C'est d'une candeur à tirer les larmes… Quoiqu'il vaut mieux être sourd que d'entendre des choses comme celles-là.

La «pire» des mesures, selon ce gouvernement, serait donc celle qui, dans les faits, est la moins «régressive» et la plus équitable…

Cette manière de réduire l'assiette fiscale de l'État n'est d'ailleurs pas unique à ce gouvernement. Loin de là.

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«AFFAMER LA BÊTE»:

Le 24 février, je rapportais comment l'économiste américain renommé, chroniqueur au New York Times et Prix Nobel, Paul Krugman, décrivait cette stratégie des gouvernements de droite occidentaux – une stratégie baptisée avec raison «affamer la bête». Voir: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/02/24/un-march-233-de-dupes.aspx

Dont voici le passage-clé:

 

 

«Dans une de ses chroniques au New York Times – lequel n'est pourtant pas un repaire de dangereux socialistes -, le réputé économiste Paul Krugman expliquait comment depuis les années Reagan, le discours des Républicains et de l'intelligentsia conservatrice s'est propagé aux États-Unis. Ce qui allait déborder sur l'Occident. L'objectif: affaiblir les États providence.

Leur stratégie fut baptisée "affamer la bête". Elle commence par une réduction d'impôts – un geste toujours populaire. Puis, les revenus de l'État étant diminués, à la moindre crisette, le déficit augmente ou réapparaît. Les gouvernements se disent alors "forcés" de couper les services publics. Et une fois qu'on a bien "affamé la bête" étatique en baissant les impôts souvent au bénéfice des entreprises et des mieux nantis, ils coupent dans les services publics pour retrouver un équilibre budgétaire qu'ils ont détruit eux-mêmes. C'est précisément ce qui s'est passé à Québec et à Ottawa.

Maintenant, avec le discours catastrophiste ambiant du genre "on fonce sur un mur!" ou "le Québec dans le rouge!" -, on s'apprête aussi à demander au bon peuple de payer plus en tarifs plutôt que de revenir à une fiscalité plus équitable.

Et pourquoi tout cela? Principalement parce que moins de services publics permet d'élargir en contrepartie la place du privé. Regardez bien ce qui se passe en santé et en éducation depuis le déficit zéro du même Lucien Bouchard. Le privé ne cesse de prendre de l'expansion. (…) Bien sûr, on peut être pour ou on peut être contre cette vision. Mais, au moins, n'insultons pas l'intelligence des gens en prétendant qu'elle n'existe pas. Ou qu'elle ne serait que l'ultime incarnation du "gros bon sens", de la "vérité" ou même, de la "lucidité"…»

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Evidemment, le gouvernement Charest, après avoir bien affamé la bête, passe aujourd'hui à la phase détroussage de la classe moyenne et des petits travailleurs parce qu'il est redevenu majoritaire.

Parce qu'il lui reste un bon trois ans avant les élections.

Parce que, dans les faits, ce budget traduit sa véritable vision des choses.

Même en août 2009, j'avançais dans The Gazette la forte possibilité que de très mauvaises surprises attendent la classe moyenne dès le budget du printemps 2010:

 

 

«When it comes to public finances, it looks as if Quebec might be heading straight for a serious case of déjà vu all over again. During my vacation and while Quebecers' attention has been focused less on politics recently and more on the crazy weather, the planets were aligning for a return to the famed rhetoric of "sacrifice" that dominated the painful years of Lucien Bouchard's zero-deficit crusade launched in 1996. Bouchard chose to slash public services. But chances are this new "sacrifice" operation will start instead with an increase in a number of government rates and fees

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Mais «affamer la bête» de l'État en réduisant son assiette fiscale, pour se retourner ensuite vers la classe moyenne et les travailleurs à petits salaires, est aussi un parti risqué.  Même pour un gouvernement majoritaire. Du moins, à terme.

Les gens sont plus éduqués qu'auparavant. Les «manoeuvres» qui, autrefois, passaient comme une lettre à la poste, sont aujourd'hui mieux comprises par la population.

Au fond, cette arrogance conservatrice constitue peut-être l'erreur la plus grave de ce budget.

Souvenez-vous. Lorsque le gouvernement Charest a commencé à baisser les impôts – il l'a fait pour plus de 5 milliards seulement pour les particiliers -, dans les médias et la classe politique, on s'étonnait de voir les sondages montrer que la majorité des Québécois n'en voulaient pas. C'est que déjà les gens avaient saisi ce qui arriverait si on déshabillait trop l'État…

Bref, la partie ne sera peut-être pas aussi facile pour le PLQ qu'il ne le croit.

Surtout avec ces allégations au parfum trouble qui montent dans plusieurs autres dossiers.

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Avec ce budget, M. Charest aura «enfin» livré dans son entièreté sa véritable vision.

Pour les Libéraux, la question est toutefois de savoir jusqu'à quel point ce budget de la «révolution culturelle» à la sauce conservatrice s'avérera être un cadeau empoisonné pour son éventuel successeur…