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L’inquiétude de Jean Charest

La chose était incontournable. J'ai donc opéré un retour hâtif de mes vacances pour couvrir la Commission Bastarache et le témoignage de Me Marc Bellemare, ministre de la Justice sous Jean Charest d'avril 2003 à avril 2004.

Vous avez sûrement aussi suivi cette journée avec passion. Sinon, en voici un bon résumé: http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/08/24/001-bastarache_mardi.shtml

Laquelle journée s'est d'ailleurs terminée sur une demande spéciale d'Amir Khadir, soit que le PM démissionne….

Pour ma chronique de la semaine dans la version papier de VOIR, laquelle, exceptionnellement, sera mise en ligne tôt en matinée de ce mercredi, j'avancerai et expliquerai pourquoi pour Jean Charest, le témoignage de Marc Bellemare est un problème politique majeur. Vraiment majeur.

Majeur parce que les allégations de Me Bellemare vise la personne même du premier ministre et pose une question aussi troublante que fondamentale: a-t-il ou non avalisé l'influence exercée par des collecteurs de fonds libéraux dans la nomination de trois juges en 2003 et 2004? (Me Bellemare parle ici de Franco Fava, un entrepreneur en construction, et de Charles Rondeau, un comptable et tous deux des organisateurs importants au PLQ.)

Bref, nous voilà de retour à la question existentielle du printemps dernier: de Jean Charest et de Marc Bellemare, QUI DIT VRAI?

Dans ma chronique, je soulèverai aussi toute la question d'une nécessaire réforme de notre mode de financement des partis politiques.

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Dans le thème dominant:

Cette crise politique – car cela en est une -, participe aussi des thèmes politiques dominants au Québec depuis un an. Soit l'éthique, l'intégrité et le lien entre le financement des partis, les collecteurs de fonds non élus et l'octroi de contrats gouvernementaux de même que, maintenant, possiblement de nominations à des postes influents. Me Bellemare avance aussi avoir vu circuler des sommes considérables en argent liquide…

Voici d'ailleurs comment Me Bellemare raconte ce que lui aurait dit M. Charest lors d'une rencontre privée tenue le 2 septembre 2003: «Franco Fava est un ami personnel. C'est un collecteur influent du parti. On a besoin de ces gars-là. Il faut les écouter. C'est un professionnel du financement. S'il te dit de nommer Bisson et Simard, nomme-les.» (Marc Bisson & Michel Simard sont deux des juges que Me Bellemare aurait nommés «sous influence».)

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Et ses motivations?

Les allégations de Me Bellemare contre le premier ministre sont graves au point où d'aucuns s'interrogeront sur ses «motivations». Pourquoi avoir attendu six ans?

Pourquoi ne pas avoir démissionné immédiatement si, comme Me Bellemare le dit maintenant, l'attitude alléguée du PM allait à ce point à l'encontre de ses propres «valeurs»? Pourquoi avoir obéi alors au PM? Du moins, selon ses allégations.

Et pourtant, dans cette crise, les «motivations» n'ont aucune importance objective. Dans le merveilleux monde de la politique, de toute façon, ce ne sont pas celles-ci qui manquent…

Ce qui compte est de savoir un jour, peut-être, qui dit vrai? Point à la ligne.

Et donc, de savoir si l'argent – celui amassé par des bailleurs de fonds – peut acheter ou non des contrats et des nominations majeures et influentes. Et donc, si cela est approuvé ou non par le premier ministre lui-même.

Voilà LA question et LE mystère à élucider.

Lorsque Marc Bellemare allègue des «influences colossales» d'un Franco Fava, qu'il qualifie de «roi» au sein du PLQ, il importe de savoir la vérité.

Si ce qu'avance Me Bellemare s'avérait fondé, il n'y aurait d'ailleurs rien d'étonnant à ce qu'un ministre ait suivi les directives de son premier ministre, même s'il doit se boucher le nez pour le faire. Dans notre système parlementaire de solidarité ministérielle et où le PM est tout-puissant, il n'aurait pas été le premier à faire ce choix plutôt que de démissionner sur le champ. (Il allait le faire à peine un an après sa propre nomination comme ministre de la Justice.) Résister à répétition à un premier ministre est un sport extrême…

Qu'il ait été également candide et peu connaissant des «coulisses» du pouvoir, cela aussi ne serait pas unique à Marc Bellemare… Si, évidemment, cela était bel et bien le cas. Dans les faits, aucun cours n'est donné sur le sujet (!) aux nouveaux arrivants et cette candeur est plus répandue qu'on ne le pense, autant chez des députés, que des ministres ou dans le personnel politique haut placé. Certains appelleraient même cette «candeur» des «principes». Tout simplement.

Lorsque Me Bellemare avance que «la partisannerie et la politique ont joué un rôle déterminant dans trois nominations», sans compter «les influences indues de collecteurs de fonds», le tout, selon lui, avec l'aval du PM, les citoyens ont le droit absolu de savoir ce qui s'est vraiment passé.

Dans un sens ou dans l'autre. Et si cela s'est aussi passé pour des nominations autres que celles de juges.

C'est pourquoi, il la faut cette fameuse commission d'enquête élargie et indépendante sur l'industrie de la construction, les processus d'octroi de contrats gouvernementaux et de nominations partisanes, de même que sur le financement des partis.

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Une réplique étonnante:

À la fin de la première journée de témoignage de Marc Bellemare, Jean Charest a étonné tout le monde en convoquant un point de presse pour nier le tout en bloc.

Geste inutile puisqu'il poursuit déjà son ancien ministre pour 700 000$ pour cause de diffamation et qu'il témoignera lui-même devant la Commission Bastarache (qu'il a aussi créée lui-même)…. Occuper les bulletins de nouvelles est une chose, mais encore faut-il le faire de manière utile.

Car ce geste semble surtout trahir une très grande inquiétude dans l'entourage du premier ministre quant au coût politique potentiel du témoignage de Me Bellemare.

Un geste qui créé aussi l'impression de chercher à influer sur les travaux de la Commission. Un geste qui manque de sagesse et de patience. Surtout, dans la mesure où le premier ministre affirme lui-même que TOUT ce qu'allègue Me Bellemare est rigoureusement faux.

Vous ai-je dit que pour M. Charest et le gouvernement, tout cela est un problème politique majeur?

Et ce, même en considérant que d'autres rebondissements auront sûrement lieu au cours des audiences de la Commission et que Me Bellemare reste à être contre-interrogé.

Car de fait, on ne sait toujours pas QUI DIT VRAI…