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L’industrie du gaz répond

 

Se livrant à nouveau à un léger mea culpa pour les «maladresses» de l'industrie, Lucien Bouchard, le président de l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), réagissait enfin cet après-midi au rapport du BAPE sur le gaz de schiste rendu public la semaine dernière.

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/environnement/2011/03/14/001-gaz-schiste-bape-apgq.shtml

L'ex-premier ministre du Québec était d'ailleurs accompagné de Jim Fraser, de Talisman Energy – la compagnie albertaine qui l'a recruté et paye pour sa rémunération – de même que Jean-Yves Lavoie, président-cofondateur et chef de la direction de Junex.

Disant accueillir le rapport favorablement et se disant prêt à collaborer avec le BAPE pour la suite des choses, sa présentation se déclinait sur un certain nombre de messages et de mots-clés taillés sur mesure pour tenter de convaincre la population de ne plus se méfier de l'industrie controversée du gaz de schiste.

Des mots tels que «intérêt public», «démarche de réflexion et de prudence», «rassurer la collectivité québécoise», «développement responsable», donner du temps «à la tenue d'une étude rigoureuse et d'un débat éclairé sur les décisions collectives à prendre», «ouverture d'esprit», procéder à «un nombre limité d'activités de fractionnement, en conformité avec les encadrements dressés à cet égard par le rapport de la commission», «opérations-pilotes de fractionnement accomplies dans de strictes conditions de transparence, de monitoring scientifique et technique, d'inspection et de surveillance, et après consultation auprès des milieux concernés», etc…

Vos paupières sont lourdes… très lourdes…

Un «boulet» politique 

Bref, dans ses grandes lignes, le «communicateur» a communiqué des «messages» passablement similaires à ceux, plus récents, du gouvernement Charest pour qui tout ce dossier est devenu un véritable boulet politique.

Et, de toute évidence, il compte beaucoup sur l'ancien premier ministre pour l'aider à s'en défaire…

Par ailleurs, pour ceux qui douteraient du prix politique payé par le gouvernement dans ce dossier controversé, notons que dans les deux derniers jours seulement, deux ministres, et non les moindres, ont signé des lettres ouvertes dans les grands journaux pour répoondre à ceux et celles, nombreux, persuadés que le gouvernement Charest «brade» les ressources naturelles du Québec.

Un signe d'inquiétude qui ne ment pas…

Ce samedi, c'était au ministre des Finances lui-même de répondre, Raymond Bachand: http://www.cyberpresse.ca/opinions/201103/11/01-4378395-mines-un-milliard-de-redevances.php

Puis, ce matin, c'était au tour de la vice-première ministre, Nathalie Normandeau, de le faire: http://www.ledevoir.com/politique/quebec/318677/replique-a-la-declaration-du-groupe-maitres-chez-nous-21e-siecle-nous-sommes-maitres-chez-nous

Combien ça vaut? 

Lucien Bouchard a aussi souligné que «les travaux d'exploration (…), selon le rapport, pourraient continuer» dans le but d'apporter «une indispensable contribution à la connaissance économique de la ressource».

Notons le mot «économique»…

Traduction: le temps que nous donne le BAPE permettra de mieux savoir ce que ça vaudra cette ressource pour l'industrie et ce qu'elle pourrait représenter, ensuite, pour le gouvernement. Et ce, aux frais de la princesse…

Et pour quelqu'un qui avance ne rien savoir de cette valeur, il a pourtant parlé de la nécessité de «se pencher» sur la «création d'une industrie de services et même manufacturière, sans oublier le potentiel qu'ouvriraient la formation de personnels spécialisés et l'acquisition d'une expertise qui nous fait gravement défaut pour le moment»…

Appelant à autant d'initiatives, on comprend alors mieux pourquoi, contrairement à certains observateurs, Bouchard répondait ensuite à un journaliste que, dans les faits, le rapport ne dicte aucun moratoire. Même pas de facto

Pour une industrie qui, présumément, ne saurait pas s'il y a, oui ou non, une fortune au fond de leurs puits, elle semble pas mal ambitieuse côté construction d'une industrie de services et même manufacturière…

C'est quoi ça, une «juste» part?

Sur la question cruciale des droits d'exploration et d'éventuelles redevances payées par l'industrie aux coffres publics, il reprenait aussi la même expression utilisée de manière répétée par Jean Charest et Pierre Arcand, son ministre de l'Environnement – soit que le gouvernement devrait recevoir sa «juste» part.

Un concept qui, on en conviendra, demeure pour le moment irrémédiablement flou et fort subjectif.

À la recherche des 5 milliards perdus?

Par contre, Lucien Bouchard s'est dit en parfait désaccord avec ce passage fracassant du rapport du BAPE selon lequel le gouvernement du Québec se serait privé d'au moins 5 milliards de dollars en laissant aller les permis d'exploitation au prix dérisoire de 10 cents l'hectare, Lucien Bouchard. (En passant, en milieu «marin», c'est même aussi bas que 5 cents l'hectare…).

Puis, un journaliste de TVA faisait état du rapport d'une firme australienne spécialisée dans le gaz et le pétrole selon qui, si elle décidait de revendre son permis au Québec à une autre compagnie, elle pourrait obtenir jusqu'à 575$ l'hectare (et non les 10 cents que ça coûte actuellement). (Le journaliste parlait de Molopo, une filiale canadienne de la firme australienne.)

À cela, Lucien Bouchard a répondu ceci: «vous avez, ces choses-là, c'est le marché qui décide!». Ajoutant que, selon lui, «personne» ne pouvait vendre ici à ce prix-là.

Pourtant, en Alberta et en Colombie-Britannique, entre autres, ce n'est pas le «marché» qui décide de cette chose-là, c'est le gouvernement. Et en Alberta, c'est à plus de 500$ l'hectare que les permis d'exploration sont vendus à l'enchère aux firmes les plus offrantes.

Alors, sur cette question à 5 milliards de dollars, qui dit vrai? Le BAPE ou le premier ministre Charest et le lobby de l'industrie?

Voici ce que Le Devoir rapportait ce samedi à l'effet que les calculs du BAPE seraient plutôt crédibles: http://www.ledevoir.com/politique/quebec/318613/la-question-a-5-milliards-de-dollars

Et sur ce fameux passage du rapport du BAPE sur les «5 milliards de dollars» perdus, voici ce que j'écrivais la semaine dernière sur mon blogue : http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2011/03/10/pour-un-plat-de-lentilles.aspx

À noter aussi: lorsqu'un journaliste lui a demandé si une évaluation stratégique environnementale devrait également être faite sur les ressources pétrolières, M. Bouchard a coupé court avec un «c'est déjà assez large comme ça!».

Son ancien parti lui répond

Tout juste après le point de presse de M. Bouchard, l'opposition officielle péquiste «saluait» la collaboration nouvelle de l'industrie, mais, en même temps, elle émettait aussi un communiqué de presse qui semblait répondre directement à son ancien chef.

Je vous laisse le lire:

«France et Québec : mêmes inquiétudes!

Montréal, le lundi 14 mars 2011 – La députée de Vachon et porte-parole du Parti Québécois en matière d'environnement, de développement durable, de parcs et d'eau, Martine Ouellet, et la députée de Rosemont et porte-parole en matière de relations internationales et de Francophonie, Louise Beaudoin, appuient la proposition de jumelage des villages québécois et français de l'eurodéputé José Bové.

« L'exploitation des gaz de schiste comporte les mêmes risques que l'on habite en France ou au Québec. La population a le droit de connaître les enjeux associés à cette industrie, d'où l'intérêt de créer des alliances pour échanger un maximum d'informations », a souligné Martine Ouellet.

Pour José Bové, l'expérience du Québec et des États-Unis est très révélatrice du peu de respect de l'industrie du gaz de schiste pour les populations. «L'industrie répète en France les mêmes discours de propagande, explore sans le consentement des citoyens, joue avec notre santé et notre environnement sans aucune gêne. Le jumelage de municipalités québécoises avec des communes françaises permettra de renforcer l'action citoyenne», a indiqué José Bové.

«La mondialisation, ce devrait être avant tout un outil pour l'amélioration des conditions de vie des citoyens et des peuples. Nous devons aussi occuper le terrain en tant que citoyens dans les relations internationales. Mieux nous serons informés collectivement, mieux nous saurons démasquer les beaux discours des multinationales », a affirmé de son côté Louise Beaudoin.

« Dans ce dossier, nous avons plusieurs points en commun avec la France. Comme au Québec, l'industrie française procède en catimini et place la population devant le fait accompli. Pis encore, elle tente de convaincre avec l'argument que cette exploitation est sécuritaire. Or, l'expérience nous démontre que, tant au Québec qu'aux États-Unis, l'industrie des gaz de schiste n'a jamais eu le contrôle de la situation et que la qualité de l'eau est particulièrement à risque », a fait savoir la députée de Vachon.

« Cette proposition de jumelage de M. Bové est une initiative que nous souhaitons encourager et qui permettra, je l'espère, de mieux s'organiser devant un gouvernement complice de l'industrie », a conclu Martine Ouellet.»

Et, en conclusion, le communiqué invite également les «municipalités intéressées par un jumelage» à contacter directement le bureau de la députée Martine Ouellet, laquelle fera même «le lien avec le bureau de M. Bové»…

Les mots, on en conviendra aussi, dégagent un certain parfum de désaveu face au nouveau «rôle» joué par M. Bouchard à la tête de l'APGQ…

La question qui n'a pas de prix…

Et, pendant ce temps, ni le gouvernement, ni l'industrie, bien évidemment, ne pose une question pourtant fondamentale: a-t-on, oui ou non, vraiment besoin de cette ressource? 

 Le Far West du «free mining»

En complément: cette entrevue accordée ce samedi par le sociologue Jacques B. Gélinas à l'émission «La semaine verte» de la Première chaîne explique les origines du régime proprement colonial dans lequel fonctionne le Québec quant à plusieurs de ses propres ressources naturelles.

http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2011/CBF/LaSemaineVerte201103120607_1.asx

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