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L’indélogeable Jean Charest

 

Lundi, 4 juin 2012, le Québec entre dans a 17e semaine de grève étudiante.

Cette grève n’étant toujours pas résolue dans la conciliation et ayant de surcroît muté en une crise sociale majeure, les manifs nocturnes se poursuivent, les casseroles aussi.

Et les événements prennent un tournant de plus en plus surréaliste.

Par exemple, on apprend que le lendemain où le ministre de la Sécurité publique avait associé ouvertement à la violence le co-porte-parole de la CLASSE, Gabriel-Nadeau Dubois, ce dernier fut convoqué par rien de moins que des enquêteurs de la «division sur la menace extrémiste» de la Sûreté du Québec pour un long interrogatoire.

Une bien jolie coïncidence, tout de même.

Niant qu’il y ait eu «commande politique» de passée, on pousse l’enveloppe jusqu’à rapporter qu’une enquêteuse qui, avec d’autres, a rencontré GND ce jour-là, ne se souviendrait même pas de ce dernier – pourtant une des personnalités les plus visibles et les plus médiatisées de ce conflit.

À la «une» du Devoir de ce matin, on rapporte aussi la grande inquiétude de Paul St-Pierre Plamondon de Générations Idées.

Opposé néanmoins à la hausse et habituellement mesuré, ce dernier y parle pourtant de «révolution bolchévique à la Che Guevara» et dit craindre que le mouvement étudiant ne cède au «culte de la désobéissance civile», tout en y ajoutant, dans la même phrase, une référence à la violence.

Pourtant, puisqu’il faut, semble-t-il au Québec, en répéter ad nauseam la définition – qu’on appuie ou non son recours, il reste que la désobéissance civile est en soi un acte politique et pacifique.

Autre exemple: c’était écrit dans le ciel, le Grand Prix approchant et la saison des festivals également, l‘impatience gagne ces milieux où, à l’instar du premier ministre, on parle en termes de «menace» posée par des manifs.

Et ce, même si les manifs casserollées sont pacifiques, voire familiales. Et même si les associations étudiantes, incluant la CLASSE, ont beau répéter qu’elles n’appellent à aucune perturbation majeure des festivals, ou encore moins violente. Dixit clairement, ici, Gabriel Nadeau-Dubois: «il y a eu au courant des derniers jours, une avalanche de faussetés. La CLASSE ne perturbera pas les grands événements qui vont avoir lieu cet été».

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La seule constante: un premier ministre qui s’accroche…

 

 

La seule constante dans cette crise qui perdure est l’entêtement du gouvernement à ne pas la régler pour des raisons aussi partisanes qu’idéologiques.

La seule constante, sa politique délibérée de division – que j’analyse ici – méthodiquement appliquée à cette grève en vue d’en récolter les fruits d’ici peu, lors d’une prochaine élection générale très possiblement automnale.  Du moins, c’est l’espoir du premier ministre Charest et du PLQ.

Fait à noter: la crise que vit le Québec en crescendo depuis quatre mois participe en grande partie d’un phénomène politique tout à fait unique dans l’histoire moderne du Québec ( et j’ajouterais du Canada).

Ce phénomène étant, comme je l’expliquais ce samedi à la Bourse de l’actualité, un premier ministre qui, malgré ses neuf ans au pouvoir, s’y accroche néanmoins encore et toujours.

Et ce, malgré un taux d’impopularité et d’insatisfaction particulièrement élevé, en fait,  presque depuis sa dernière réélection en décembre 2008.

Bref, lorsqu’il laisse de plus en plus planer la possibilité de rester encore 18 mois au pouvoir avant de déclencher des élections – même si ces dernières viendront bien avant, c’est certain –, ce qu’il dit, dans les faits, est qu’il n’entend pas quitter avant le prochain scrutin.

Pourtant, depuis Maurice Duplessis, la plupart des premiers ministres ont su quitter dès que l’atmosphère politique tournait irrévocablement à celle de «fin de régime». Question, certes, de ne pas se soumettre au risque d’une défaite humiliante, mais surtout, de donner à son parti une chance, aussi petite soit-elle, d’enclencher un minimum de renouvellement.

Comme dit la chanson, «il faut savoir quitter la table lorsque l’amour est desservi»…

Et pour ces premiers ministres – pas tous, mais la plupart -, lorsque l’amour fut desservi, soit par l’électorat, leur propre parti ou les deux, ce moment arriva, bien entendu, en fin de deuxième mandat. Il en fut même un qui, pour cause de référendum perdu, a tiré sa révérence en début de deuxième année de son premier mandat.

Dans le cas de M. Charest, non seulement est-il maintenant dans sa dixième année au pouvoir, il en est aussi à la fin non pas de deux, mais de trois mandats consécutifs – pourtant déjà un record en soi depuis Duplessis. Sans compter que le premier ministre est également à la barre du PLQ depuis déjà plus de 14 ans.

Or, son gouvernement faisant l’objet d’allégations de corruption, de collusion et de favoritisme depuis plus de trois ans – d’où la création in extremis de la commission Charbonneau -, il est on ne peut plus clair que la politique de division dont le premier ministre use dans ce conflit, de même que l’adoption d’une loi 78 qui restreint les libertés fondamentales – sont surtout la marque d’un homme déterminé à tout faire pour tenter de remporter un quatrième mandat. Quitte à laisser pourrir une crise sociale, s’il croit pouvoir au moins en tirer un quelconque avantage électoral.

(Rappelons, en passant, qu’avec les commissions Bastarache et Charbonneau, ce gouvernement en est déjà à deux commissions d’enquête mises sur pied suite à des allégations de favoritisme.)

C’est précisément ici que la politique de division dont le premier ministre use dans le cadre de la grève étudiante révèle son autre dimension: celle de créer en même temps une immense diversion au moment où la commission Charbonneau ouvre, quoique très lentement, ses audiences publiques. Et au moment où même son Plan Nord n’a plus la confiance de la population.

Cet avantage, il cherche même à se le créer en s’érigeant en gardien ultime de «la loi et de l’ordre» dans une société pourtant fondamentalement pacifique. Tenez, un autre beau rappel de la période pré-Révolution tranquille…

Bref, les Québécois ont devant eux un premier ministre qui, non seulement, s’accroche encore au pouvoir après neuf ans et trois mandats, mais qui le fait en instrumentalisant une grève étudiante à ses propres fins électoralistes et idéologiques.

C’est pourquoi cette saga sans fin qui échappe à l’entendement prend de plus en plus les allures d’un mauvais western spaghetti politique entre un premier ministre et sa vision des choses d’un côté. Et de l’autre, tous ceux qui, dans la population, le conspuent pour l’ensemble de son oeuvre.

Mais comme dans notre système, un parti peut gagner une élection avec une minorité d’électeurs, le premier ministre s’entête à espérer que ce  sera encore le cas pour le PLQ. Et ce,  pour rien de moins qu’un quatrième mandat consécutif. Pourtant, dans les circonstances, une très grosse commande…

Alors, «indélogeable», monsieur Charest?

Seule la prochaine élection saura répondre à cette question…