BloguesHannibal Lecteur

Les défenseurs de la Charte

Voici ce que la Charte fait: elle règle le problème qu’elle crée.

Les défenseurs intellectuels de la Charte se rangeront assurément vers des nobles notions Républicaines, forçant tous les individus employés du gouvernement à être égaux, c’est à dire neutres et invisibles, devant le symbole de l’État.

La défense intellectuelle de la Charte se base sur quelques présupposés. Le premier, plus grotesque, semble être une foi aveugle en les agents de l’État, en les instigateurs de la Charte: ceux-ci seraient mus, comme eux, comme les multiples xenéphobes appelant à l’extradition des étrangers, par un désir de cohérence envers des principes établis après la Révolution Tranquille. Le Parti Québécéois, selon les défenseurs intellectuels de la Charte, n’est pas ahistorique, il faut respecter la complexité de cette Histoire. Mais, pourtant, il serait en dehors de l’actualité et du calcul politique. S’il s’agit d’un simple calcul électoral pour mousser une base d’électeurs nationalistes déçus par le bilan du Parti, ce n’est pas si grave, car la fin justifie les moyens, apparemment. Évidemment, le calcul politique n’est jamais mentionné, la mauvaise foi non plus, la possibilité d’intolérance est inacceptable: la seule motivation derrière ce projet serait la fondation d’une république cohérente avec des principes laïques établis au Québec dans les années 60, mal nécessaire dont les premières victimes ont été les catholiques et dont les dernières victimes doivent donc être les musulmanes.

L’effet pervers de la charte est la création d’une prophétie auto-réalisatrice. Jusqu’ici les employés de l’État, profondément ou moyennement religieux, vivaient en quasi-partfaite harmonie avec les lois locales, provinciales et nationales. Les quelques dérapages excessivement médiatisés relevaient souvent du privé, non du public. Voici ce que la Charte fait: elle règle le problème qu’elle crée. Des tensions inter-religieuses à Montréal? Des tentatives de conversion? Des manquements ethiques ou professionels graves causés par le port de symboles religieux? Aucun. Mais voilà qu’on dévoile un degré de fanatisme: enlevez donc ces signes qu’on ne saurait voir. Vous ne voulez pas? Alors vous n’êtes pas bien intégrés. Vous êtes une menace à l’identité nationale. C’est un rapport de force complètement injuste dans lequel on met au défi le plus petit de réagir. Il n’y a que trois solutions: le rejet justificateur de la Charte, la soumission bienveillante, ou le départ.

La Charte n’est pas un projet de loi. C’est un projet de société mis en branle par un gouvernement carrément irresponsable. Comme on sait qu’au Ministère de l’Amour on torture, on sait bien ce que veut dire Bernard Drainville lorsqu’il dit que ce projet “rassemble les québécois”. Ce qu’il veut dire, c’est qu’il rassemble suffisamment de québécois pour potentiellement gagner les prochaines élections. Principalement ceux en dehors de la métropole. Nous sommes tous manipulables à certains degrés. En général, plus nous sommes loin d’un phénomène, plus il est facile de nous tromper et de nous manipuler. J’ai entendu nombre d’amis raconter que cousins, parents et amis en régions croyaient que Montréal était une zone de guerre pendant le Printemps Érable. Ça l’était, parfois. Pas partout. Là on semble croire que la fibre blanche et francophone du Québec est en train de mourir, Montréal étant la première victime de ce virus étranger qui infecterait nos rues, nos écoles, nos hopitaux et nos ministères. Nous ne nous reconnaissons plus dans cette chose qu’on ne connait pas vraiment, nous disent-ils. Venez voir. Cherchez l’invasion islamiste. Bonne chance.

Je dis que la charte est un projet irresponsable parce qu’il fait la même chose que la Grève: il divise carrément. Il créé des camps, quasiment étanches, dans lesquels les insultes fusent de toute part bien plus rapidement que les arguments. Mais dans ce petit chaos social créé par le PQ (au grand plaisir de certains chroniqueurs qui n’attendaient que ça), il y a la possibilité d’un revirement de situation. Je suis pessimiste, donc je n’y crois pas vraiment. Mais il est possible que des citoyens se parlent. Et qu’ils réalisent qu’il y a une vie, complexe, riche, belle, en dehors de l’État. Qu’ils constatent qu’illustrer la différence, c’est l’aggraver, et que la célébrer, c’est la diminuer. Si le multiculturalisme échoue, ce ne sera pas une mort naturelle: ce sera un étouffement intentionnel de la part de ceux qui le redoutaient en premier.

Mépriser, c’est se méprendre.