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Ma déception politique

Au lieu de m’enliser dans une optique argumentative basée sur le cynisme, l’humour ou l’agressivité, j’ai plutôt opté d’y aller vers un premier degré honnête : dans la certitude de la défaite, à quoi sert un bouclier?

Ceci n’est pas une menace de quitter le Québec. Ceci n’est pas un règlement de compte public par rapport à un parti ou des opposants idéologiques sur des réseaux sociaux. Ceci est un billet trop long que personne ne lira au complet mais que je devais écrire. Au lieu de m’enliser dans une optique argumentative basée sur le cynisme, l’humour ou l’agressivité, j’ai plutôt opté d’y aller vers un premier degré honnête : dans la certitude de la défaite, à quoi sert un bouclier?

Tout d’abord, je dois avouer que, tout jeune, devenir majeur signifiait pour moi non pas la possibilité de boire (déjà possible depuis longtemps), ni de conduire (je n’ai toujours pas de permis), mais de pouvoir voter. Je vote depuis que j’ai dix-huit ans, ayant manqué mon tour seulement aux dernières élections municipales, suite à une certaine confusion administrative reliée à mon retour montréalais. Mais bref, je vote depuis que j’ai dix-huit ans. En plein hiver, j’implorai ma famille à venir voter avec moi, et je finissais par braver la tempête tout seul pour me rendre dans ces gymnases scolaires, affirmant mes plaisirs électoraux sur les réseaux sociaux. J’ai même tenté de culpabiliser mes amis, il y a de cela près d’une décennie, lorsqu’ils m’ont avoué n’avoir pas voté dans une élection provinciale quelconque.

J’explique tout ceci pour démontrer qu’en termes de démocrate, j’étais parfaitement endoctriné : les rendez-vous aux urnes étaient toujours respectés, et j’ai à peu près toujours perdu mes élections. J’ai longtemps habité dans des châteaux forts libéraux, donc mes votes du NPD, du PQ ou d’indépendants ont toujours été perdus aux mains des rouges, jusqu’à la défaite insensée de Marlene Jennings, une libérale fédérale au parcours brillant pour qui mon vote n’a rien changé pendant cette brève vague de popularité envers le parti du défunt Jack Layton.

Bref, je suis un enfant heureux du système, et après avoir vécu à Ville Saint-Laurent pendant une partie de ma jeunesse, mon déménagement à Rouyn-Noranda m’a ouvert à une culture et des idées différentes, et à l’adhésion au constat à peu près impossible à contredire de la singularité québécoise dans la réalité canadienne. Bref, le Québec est évidemment une société distincte, le nier tient d’un dogme fédéral auquel de moins en moins de gens semblent adhérer, et la célébration de cette différence peut se faire valoir via sa culture riche, forte et de grande qualité.

Et qui dit société distincte dit ouverture à la notion d’un Québec indépendant. Mais je suis passé de « Votons PQ pour un référendum » à « Si le PQ fait un référendum je vote OUI » à « Si le Québec est indépendant ça fait mon affaire » au stade auquel je suis aujourd’hui, soit « J’ai rien contre l’indépendance mais je ne suis pas trop fan de la route qu’on semble vouloir emprunter ces jours-ci pour arriver à cette fabuleuse et nébuleuse destination. »

Étant un enfant du système, je me tourne souvent vers les institutions officielles pour offrir des réponses politiques à nos problématiques sociales. J’ai encore l’impression que ça peut améliorer notre vivre-ensemble, la politique, mais en écrivant ça je réalise que c’est beaucoup plus le restant d’un idéalisme naïf d’étudiant en journalisme qui se fait dire que les médias sont le quatrième pouvoir, plutôt que le constat d’un citoyen relativement informé qui regarde autour de lui sur une base régulière.

Avant même de rentrer dans les malaises que me causent les principaux partis politiques de la province (qui est le but initial de ce texte trop long) , je dois affirmer que j’ai déjà deux énormes malaises systémiques. Un de mes espoirs démocratiques est l’idée de l’élection d’un député à l’intérieur d’un parti. Bref, l’idée est que ce député pourra bien représenter son comté en Assemblée, et défendre les intérêts de ceux qui ont voté pour lui directement. Or, la ligne de parti rend cette option quasi-caduque : à quoi ça sert de voter pour un individu dans un parti si ce parti va juste l’exclure au moment où cet individu exprime une idée contraire à la ligne officielle ou vote à l’encontre de la ligne du parti? Pour moi, ce principe politique de la ligne du parti me déplait fondamentalement. Et bien que les États-Unis ne soient pas un exemple démocratique à suivre absolument, l’idée qu’un démocrate puisse s’opposer à Barack Obama, ou bien qu’un républicain puisse supporter publiquement Hilary Clinton (je parle ici de deux situations hypothétiques possibles, pas de faits réels), ça me plait énormément. À mon avis ça stimule la notion d’une démocratie basée sur l’expression saine de nos différends. Et que s’opposer à une idée spécifique d’un parti n’équivaut pas au rejet en bloc de ce rassemblement politique.

Ensuite, c’est l’idée que l’expérience passée est souvent le meilleur indicateur pour des attitudes futures. Et ce que je vois, c’est le transfert récurrent du pouvoir entre deux partis habitués à changer de camp à chaque quatre ou huit ans, ou, plus précisément, quand celui-ci sent selon les sondages que c’est le meilleur moment de partir en élection parce qu’il risque de se faire réélire. Comme les démocrates et les républicains, ici, on a un système principalement bipartite où un parti doit abandonner le pouvoir en sachant très bien qu’il ne devra attendre qu’une ou deux élections avant de pouvoir faire des coupures dans le budget ou annoncer un nouveau projet d’hôpital ou d’autoroute. Certes, les deux partis ont dû avoir peur avec la quasi-victoire de l’ADQ, mais bon, le succès faramineux du parti ne faisait que précéder sa mort et sa réincarnation encore plus beige dans l’étrange entité qu’est la CAQ. Bref, il existe un niveau de confort qui me laisse mal à l’aise, à savoir que le siège sera occupé par un cul rouge aujourd’hui et un cul bleu demain.

Je n’affirmerai pas que c’est le racisme évident du PQ qui a stimulé la création de la charte. À mon avis, c’est surtout une façon de s’attirer une base électorale élargie qui inclut à la fois des républicains laïcs aux points de vue tout à fait respectables et des imbéciles racistes qui se sentent légitimés par les initiatives identitaires récurrentes du parti. En fait, je vois les mécanismes du pouvoir du PQ et ça m’attriste, parce qu’ils vont évidemment rapporter une importante victoire électorale (fortement majoritaire, à mon avis) et que celle-ci aura été stimulée par une ligne de partie qui brouille un peu la différence entre nationalisme affirmé et intolérance à peine voilée (ce n’était pas pour le jeu de mot). Le constat que je fais, c’est que le PQ est en train de réussir un projet de société dans lequel je ne me retrouve tout simplement pas. Et je suis athée. Je ne serai jamais apporté à porter la kippa dans le cadre d’un emploi de l’État. Mais pourtant, j’ai l’impression que via le placement stratégique de pions importants, de PKP et Jean-François Lisée et Bernard Drainville et Mathieu Bock-Coté, on arrive vers une société qui me fait peur. Pas genre une peur de l’étoile jaune, mais plutôt une peur du genre « et pourtant on avait commencé à se reparler tous ensemble et ça me semblait plutôt nice mais maintenant Sugar Sammy semble être le symbole de quelque chose de plus grand et c’est un peu déstabilisant, ça. » Ce genre de craintes.

J’ai l’impression que ça essaie de régler un problème inexistant. Enfin, on ne peut pas régler un problème inexistant, donc il faut le créer avant. Et qu’on érige donc des boucs émissaires inoffensifs qu’on doit faire tomber pour ériger une maison aux fondations de moins en moins attirantes.

Ceci dit, je ne peux pas non plus me tourner vers le PLQ. L’absence totale de courage de la part de Philippe Couillard, dont le silence traduit une caution électorale qui est en réalité une inutilité politique réelle, me déplait fondamentalement. Et je ne peux pas oublier le ton paternaliste et les réflexes naturellement mensongers du Parti Libéral durant le Printemps Étudiant. Tandis qu’on marchait de manière tout à fait pacifique et qu’on se faisait encercler injustement par une police politisée et organisée, on dénonçait notre violence fictive dans tous les réseaux sans aucune forme de gêne. Certes, on ne peut pas baser son support d’un parti politique via son traitement d’un seul dossier, mais l’expérience fut démocratiquement déprimante, et s’inclut dans une liste de méfaits systémiques de l’ancien parti de Jean Charest, auquel je ne saurai trop m’identifier.

Au-delà des deux partis, peu d’espoir. J’ai certes voté pour Amir Khadir aux dernières élections, principalement pour son implication dans le dossier étudiant, mais l’anticapitalisme systémique du parti me laisse parfois indifférent. En tant que parti à l’opposition je les trouve brillants, mais je ne suis pas certain de vouloir me réveiller sous le règne politique de Khadir et Françoise David (bien que sa position sur la Charte de la laïcité me plaise énormément et qu’en écrivant ces lignes je réalise que c’est surtout le réflexe d’un chroniqueur qui ne veut pas se faire qualifier de radical par une majorité plutôt que l’opinion d’un citoyen qui respecte la plupart des sorties publiques d’un parti politique mineur mais tout de même important).

Ensuite, la CAQ, bien qu’elle ait initialement soulevé en moi une curiosité inévitable (ah bin kin, un nouveau parti), ses nombreuses maladresses, lui donnant l’impression d’être un parti tout droit sorti des années 60, m’a vite laissé indifférent. À aucun moment je n’ai été inspiré par la logique comptable prédominante du discours de François Legault, qui imagine qu’un budget équilibré se traduira en société saine et heureuse. La présence initiale de Dominique Anglade comme présidente du parti, et les rumeurs de l’inclusion de Marlene Jennings (encore elle!) m’avaient initialement plu, mais la CAQ est rapidement devenue le parti beige du Québec, enlevant suffisamment de votes au parti libéral aux dernières élections pour permettre à Pauline Marois de gagner celles-ci, à peine. La CAQ devrait plutôt être la frange économique d’un parti qui existe déjà : l’économie faisant partie d’un tout, sans être ce tout, genre.

Finalement, Option Nationale aurait été un parti intéressant, sans certains de ses militants zélés et de leurs communications maladroites dans le passé. Et le vire-capot officiel de Jean-Martin Aussant, qui quitte un parti souverainiste au Québec pour travailler dans les hautes finances de Londres, a présenté une incohérence qui, certes, ne fait pas partie du programme du parti ni de ses principes généraux, mais présente tout de même les failles majeures de son plus talentueux ambassadeur. Bref, si le meilleur de ce que ce parti souverainiste avait à nous offrir, c’était un chef prêt à servir les élites financières britanniques, qui sont ceux qui n’ont pas passé le première audition politique? Il s’agit peut-être d’une analyse injuste d’ON, mais bon, j’ai apprécié l’idée que son site web inclut des messages en anglais, présentant l’idée d’une indépendance comme une nécessité politique et territoriale qui ne se basait pas seulement sur l’héritage linguistique ou identitaire, mais ces quelques bons coups ne suffisent pas à me donner envie de donner mon vote à ce jeune parti maladroit.

Bref, j’ai expliqué ici en gros mon malaise. Je prédis une forte victoire électorale au PQ, et bien qu’au final, la seule chose qui semble compter, c’est notre vote, je me dis  que participer à une démocratie, c’est aussi exprimer ses idées sur la place publique. Voilà qui est fait. Pardonnez mon défaitisme mais bon, je ne suis pas politicien, je n’ai pas besoin d’afficher une fierté et une certitude de victoire devant une réalité observable qui indique clairement le contraire. J’ai le droit d’exprimer mon malaise, ma peine, ma déception face à un corps politique qui n’a cessé de me décevoir depuis des années. Et le pire, c’est que j’avais un biais favorable majeur par rapport à la démocratie. C’est comme Die Hard 4, après les trois premiers : je voulais l’aimer, parce que la trilogie originale est absolument géniale, mais le quatrième opus était nul, et son cinquième, encore plus. Cette analogie est absolument nulle. Pardonnez-la. Si vous vous êtes rendus jusqu’ici, vous la tolérerez probablement.