BloguesHannibal Lecteur

Le vrai et le vieux

Le vrai interlocuteur, semble-t-il, doit être celui qui regarde docilement LCN en se fâchant sur commande lors de la messe de Martineau. Ça, c’est une vraie personne, à qui on peut parler des vraies affaires, sans jamais effleurer la vérité, ceci dit.

La rhétorique du “vrai” est particulièrement méprisante. Calqué sur le modèle TVA, le Parti Libéral du Québec a comme slogan « Ensemble, on s’occupe des vraies affaires », et on y entend, de manière implicite, qu’on parle avec « des vrais gens », comme s’il existait quelque part des gens pas vrais, des gens artificiels, des robots redondants sans idée propre qui ne manifestent jamais une initiative originale et qui mentent sur une base régulière devant camérs et audiences…en tous cas.

Ce que je trouve méprisant, c’est qu’on ne me considère pas comme un vrai interlocuteur. Le vrai interlocuteur, semble-t-il, doit être celui qui regarde docilement LCN en se fâchant sur commande lors de la messe de Martineau. Ça, c’est une vraie personne, à qui on peut parler des vraies affaires, sans jamais effleurer la vérité, ceci dit.

Mais moi par exemple, et mes amis, et la plupart de mes connaissances, et mon réseau, cette communauté de gens désillusionnés par une politique partisane, opportuniste et méprisante, nous ne sommes pas vrais. Nos aspirations, nos impôts, nos achats, nos besoins, nos problèmes, nos manques, ils ne sont pas vrais. Ils n’ont jamais besoin d’être adressés.

Ne nous reconnaissant pas dans le « vrai » monde représenté par les caricaturistes professionnels de la politique, nous sommes relégués aux oubliettes; une minorité électorale qui pourra pêcher dans QS, ON ou l’abstention et dont les aspirations politiques, professionnelles et vitales ne font même pas l’objet d’un intérêt fictif mis en scène par les élites politiques. Car il s’agit évidemment de faux intérêt envers ce « vrai » monde. Le nommer, de la manière la plus abstraite, se révèle tragiquement comme le geste le plus concret qui sera posé à leur égard.

Un vieux regard sur le monde

Le plus pathétique dans cette campagne électorale, et dans la politique québécoise des dernières années, est le fait qu’on traîne de la patte dans plusieurs dossiers à cause d’un boulet historique tout à fait pertinent dans d’autres dossiers. La lecture purement nationaliste versus fédéraliste de l’actualité montréalaise est lassante, m’inspirant généralement le soupir inspiré par la complainte bruyante d’un individu qui est tout à fait à côté de la plaque.

Ce n’est pas une question de « vieilles chicanes ». La question référendaire est tout à fait légitime et d’actualité. Or, l’évidence même, c’est que le monde dans lequel on vit, surtout en métropole j’imagine, a changé rapidement au cours des dernières années, tandis que la lecture de l’actualité et de l’histoire n’a jamais eu de mise à jour, même chez nos plus éminents « penseurs ». Je mets « penseurs » entre guillemets parce que je crois qu’il est nécessaire de se pencher collectivement sur la question « Est-il possible d’être qualifié de « penseur » après avoir écrit un texte partisan en utilisant « Dring Dring » comme approche non-ironique? ». Je crois que ça ferait un fabuleux colloque.

Quand ça vient à la Charte, à l’Islam, aux femmes voilées, à notre rapport aux anglophones montréalais, aux frais de scolarité, j’ai l’impression que les Martineau, Dutrizac, Foglia et Michaud de ce monde regardent le monde avec les mêmes lunettes bleues, divisant tout selon une allégeance souverainistes ou fédéraliste. C’est une impression. Mais j’ai l’impression qu’ils sont aussi équipés pour me parler de jeunes québécoises voilées qu’ils le seraient que pour faire une analyse poussée des sketchs de Key and Peele, de la présence russe en Ukraine ou des deux dernières années professionnelles de Kobe Bryant. Pour en parler, il faut faire un saut de paradigme. Aimer Kobe Bryant ou non ne nous transforme pas en fédéraliste ou nationaliste. Notre rapport au voile ne doit pas nécessairement s’inclure dans une référence au trudeau-isme ou dans une trahison d’un républicanisme laïc obligatoire.

Politiquement et médiatiquement, nous sommes arrivées au stade des États-Unis en 2002, après le 11 septembre 2001. Vous étiez soit pour ou contre l’avortement, pour ou contre la peine de mort, pour ou contre l’invasion militaire en Irak, pour ou contre la légalisation du mariage homosexuel, pour ou contre l’Amérique. Sur les réseaux sociaux, ce vieux débat nous hante toujours, il faut absolument avouer ses allégeances nationales, sinon, apparemment, notre interlocuteur sera incapable de décoder nos intentions réelles derrière notre discours, peu importe son contexte ou la clarté de nos idées. D’accord, d’accord, t’aimes Arcade Fire. Mais es-tu fédéraliste? 

Le monde a changé. Et j’ai bien peur que pour nombre d’analystes autrefois pertinents, même la force des lunettes ne peut rien contre leur aveuglement intentionnel qui fait en sorte que la dernière chose qu’ils sont capables de voir, c’est une réalité de plus en plus dépassée calquée sur leur vieille rétine. Il serait peut-être temps de leur faire comprendre l’étendue de leur totale impertinence sur certains sujets.