BloguesHannibal Lecteur

La cassette de Couillard et l’étroitesse des médias

Je revenais du spectacle épique qui clouait supposément l’existence médiatique de Gab Roy. Décidant de me protéger de la pluie qui s’abattait sur une Saint-Laurent martelée par les talons de propriétaires de jupes écourtées, j’ai pris un taxi. Expérience banale s’il en est, le radio présentait des nouvelles politiques, et un extrait de Philippe Couillard nous rappelait, une millième fois, que sa priorité était l’économie et la création d’emplois.

En soi ce sont des priorités nobles, avec lesquelles personne ne peut exprimer un désaccord de principe. Ce qui me frappe, c’est le mépris pour le journalisme et l’abus explicite de pouvoir qui vient de cette utilisation éhontée de la cassette. En gros, cela veut dire qu’en général, si vous parlez à Philippe Couillard, il vous expliquera l’importance des emplois (et le danger potentiel d’un référundum), même si vous lui avez posé une question sur l’environnement, la culture, nos rapports avec la superpuissance américaine ou le partenaire canadien. Philippe Couillard ne vous parlera que d’économie, en sachant très bien que si vous lui parlez, par souci d’équité et de prétendue neutralité journalistique, vous allez être obligés de le citer. Et si vous devez le citer, vous allez devoir puiser dans ce qu’il vous a donné, et il ne vous aura donné que ça.

Vous êtes techniquement obligés de répéter les propos des chefs de partis, peu importe leur niveau de ridicule, leur distance avec la réalité, ou leur impertinence totale par rapport à votre question. Parce qu’on n’entendra pas vos questions. On vous ne verra pas. Votre rencontre finira par fournir la citation propagandiste et répétée d’un individu qui veut réduire toute la campagne électorale à une seule question, peu importe la richesse et la complexité de la situation québécoise actuelle. Et plus on formate le discours, plus celui-ci a de l’impact. Dans le taxi, je n’aurai jamais l’avis de Philippe Couillard sur les éoliennes, sur la prostitution, les salons de massage, le départ des jeunes des régions: il vous parlera de votre certitude d’être employé demain. Tout le temps. Partout. Voici le message monolithique de la campagne politique du PLQ: « Vous travaillerez demain, après-demain, toujours. De rien. »

C’est une exploitation éhontée du système médiatique et politique qui étouffe absolument la notion du débat, de l’échange ou des idées alternatives. À mon avis, c’est profondément triste.

En parlant de ce temps d’antenne.

En tant que jeune commentateur des médias, je commence à me faire entendre, tranquillement. Et en observant le monde médiatique dans lequel j’essaie de plonger, je réalise à quel point il existe une étroitesse du discours dans l’explication de la réalité de la part des médias. Ce que je suis en train de constater, c’est que nous sommes des milliers de jeunes ambitieux, tous capables de nous exprimer avec une certaine cohérence et une certaine élocution, tous capables de comprendre les codes de la montée professionnelle, et que la plupart d’entre nous avons fini par développer des expertises qui dépendent entièrement de la demande médiatique. Nous ajustons notre offre en fonction de cette demande. Nous grandissons tous aussi dans un contexte de précarité médiatique et la plupart d’entre nous sommes prêts à offrir nos expertises ajustées totalement gratuitement.

Imaginez être absolument passionnés et stimulés par l’amélioration des conditions de vie des itinérants et par la disparition graduelle de l’itinérance involontaire. Imaginez le temps d’antenne qui vous serait réservé en opposition au temps d’antenne réservé à une personnalité médiatique qui prône la supériorité idéologique d’une hégémonie de la culture québécoise. Imaginez le temps d’antenne réservé à une personnalité médiatique dont la priorité de vie est de vous permettre de mieux vous vêtir pour des cinq à sept et des mariages branchés. Vous serez invités, ponctuellement, dans une émission d’intérêt publique qui vous considérera « fascinant » avant de conclure qu’il est important de vous suivre, sans réellement faire un suivi avant un creux, quand une personnalité médiatique supposée rire des maladresses politiques de nos élites sera malade et ne pourra pas se présenter en ondes. Considérant que vous voulez réellement être à l’avant-plan, est-il possible que vous ajustiez votre discours, que vous ajustiez vos passions et vos intérêts, en fonction d’une potentielle visibilité, considérant que plusieurs sujets sont, sans être tabous, sans intérêt concret pour les producteurs et diffuseurs principaux?

Si, comme moi, vous êtes en partie excessivement motivés par l’égo, que vous avez l’impression qu’il est important que ce soit vous qui transmettiez un message, peu importe son message, est-il possible que vous ajustiez votre discours en fonction des messages transmis quotidiennement par les médias de masse, qui façonnent le discours et imposent une certaine vision, excessivement étroite, de la réalité? Il existe une réelle effervescence issue du web ou de centaines d’autres contre-cultures, des habitudes de vie considérées comme « marginales » mais généralement saines, qui sont généralement complètement oubliés par nos médias, habitués à raconter les mêmes histoires des hauts et des bas de nos politiciens, de nos célébrités et de nos athlètes.

On vous offre le micro. Que dites-vous, pour qu’on vous l’offre encore?