BloguesHannibal Lecteur

Ce billet de blogue ne parle pas du nouveau visage de Renée Zellweger

Vous ne lirez rien ici à propos du nouveau visage de la comédienne. Enfin, presque. 

Cet après-midi, tandis que se déferlait le torrent de commentaires à l’égard du nouveau visage méconnaissable de Renée Zellweger, j’ai senti un besoin de riposter à certaines blogueuses féministes qui affirmaient qu’on n’avait pas le droit de commenter sur sa nouvelle apparence (je simplifie à outrance). Le problème n’est pas son visage, c’est nous, disait-on dans un article.

J’ai voulu écrire un article, expliquant pourquoi je pensais que le visage de Zellweger faisait partie du domaine public. Qu’on avait, somme toute, un droit de regard.

Mais je suis tombé sur un obstacle bien particulier au troisième ou quatrième paragraphe: ma propre pensée.

En développant mon idée, j’ai réalisé que le Joseph qui était en train d’écrire le quatrième paragraphe n’était pas en accord avec le Joseph qui avait écrit le premier. J’ai bien des défauts que je ne nommerai pas ici par pudeur, mais je maintiens une certaine fierté quant à une potentielle rigueur intellectuelle. J’ai envie d’avoir de la suite dans mes idées. Et la suite de mes idées, si on suivait disons certains principes de logique, d’éthique et de compassion qui me sont chers, faisait en sorte que ma conclusion différait drastiquement de ma thèse. Elle rejoignait, somme toute, la chorale virtuelle qui pointait du doigt ceux qui osaient se moquer de ce nouveau visage.

Ça m’a fait réaliser la force de l’écriture. La force de la longue haleine, surtout. Bien que sur Facebook, on ne soit pas limité à 140 caractères, la tendance à penser en statuts (dont je suis coupable) nous mène à réfléchir en slogans, en idées fortes, en phrases percutantes dont l’impact est plus émotionnel qu’intellectuel. On se fait et on se fie à une première idée, au sentiment qu’elle procure, à l’impression immédiate et personnelle qu’elle produit, à l’aspect rassurant du confort d’un premier jet intellectuel, déferlant sur le monde comme un crachat stylisé.

J’y ai retrouvé les mérites parfois perdus de la réflexion longue. Du temps qu’on peut prendre pour réfléchir. J’ai constaté, une millième fois, que l’écriture est un dialogue multiple: un dialogue potentiel avec l’autre, un dialogue inévitable avec soi. Mais quand on s’arrête aux premières pensées, comme certains chroniqueurs le font dans des billets de blogue indignés de plus en plus courts et de plus en plus partagés, on n’a pas le temps de se rendre à un dialogue avec nous-même. On finit en monologue interne, sans droit de réplique, ignorant la petite voix qui apporte le bémol si nécessaire à la compassion et à l’harmonie humaine.

J’aime interrompre mes propres textes. Réaliser que je suis en train de propager inutilement un lieu commun, et d’arrêter, parce qu’il ne manquera jamais d’opportunités de se conformer aux autres au profit potentiel de quelques clics réconfortants. Parfois, je réalise que j’ai tort, que mon titre et mon accroche étaient, certes, bien formulés, mais qu’ils n’étaient pas le résultat d’une réflexion personnelle, honnête. Honnête avec soi, dans le sens que si on prend le temps avant de cliquer sur publier, si on regarde ce qu’on écrit, on peut réaliser qu’on erre.

Parfois, on erre en voulant parler d’une actrice dont les transformations esthétiques ont bien peu d’impacts sur notre bien-être collectif. Parfois, notre témérité virtuelle nous pousse à parler en slogans à propos de sujets bien plus sensibles, complexes, potentiellement dangereux même.

Je me demande si, à l’heure de la démocratisation de la plume, certains sous-estimaient la force de son canon.

Je vous l’avais dit: je n’ai pas vraiment parlé de Renée Zellweger.