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Islamophobie au Québec: contexte et dangers

Réflexion personnelle autour de la montée de l’islamophobie au Québec, sa forme actuelle et ses conséquences potentielles. 

L’ironie des traités pacifiques et des constats d’égalités universelles célébrés en grande pompe par les puissances occidentales ou autres empires dans le passé, c’est qu’elles ont toujours été hypocrites et unilatérales. Hypocrites en ce sens que les valeurs promues par les instigateurs de la paix, de la justice et des droits de l’hommes, étaient plus souvent qu’autrement des voeux pieux, ou des regards déformés et valorisants de soi. Ces sociétés décrites dans les déclarations universelles et dans les constitutions n’ont jamais vraiment existé, elles étaient plutôt les promesses vides d’élites puissantes qui se tapaient sur le dos en se félicitant pour leurs valeurs affichées.

Droits de l'homme

Valeurs universelles?

Et c’était évidemment unilatéral. Tandis qu’on prône ici l’égalité des sexes, ou des genres, ou des confessions religieuses, ou des affiliations politiques, en pretextant des valeurs universelles, on exclut systématiquement et consciemment toutes ces sociétés, nombreuses, fortes, puissantes, vieilles, pour qui ces principes d’égalité ou de respect ou de tolérance ne sont clairement pas inscrits dans la fibre morale de la conscience collective ou dans les priorités nationales des élites politiques.

Et il n’est pas si important, pour ces sociétés prêchant des valeurs d’égalité et de respect, de faire renforcer ces principes fondateurs en leur sein. Plutôt nous sommes prompts à pointer du doigt ces sociétés et ces groupes externes qui n’y ont jamais vraiment adhéré et qui n’étaient pas nécessairement consultés non plus. Et ça, ce n’est pas anodin.

Il est impossible de nier que nous faisons partie d’un empire dans un monde dont les cartes changent continuellement, tracées par le sang, généralement autour de l’eau, convoîtées autant par les grandes puissances militaires que les petits groupes locaux et ambitieux. Bref, nous faisons partie d’un empire auto-proclamé du Bien, qui ose parler d’universalité avec des organisations militaires et financières comme l’OTAN et le FMI, qui ne sont en fait que les forces coercitives institutionnelles d’un bloc politique dominant. Mais puisque nous nous présentons toujours comme des forces punitives bienveillantes, il est inévitable, n’est-ce pas, que les ennemis croisés sur notre route soient motivés par le mal ou habités par une faille morale profonde qui peut se guérir soit par la moralisation, soit par les armes.

NATO otan

Donc, d’abord, nous établissons que nous sommes les protecteurs et les garants de principes politiques et philosophiques universels et importants. Universels malgré le fait qu’ils ne le sont visiblement pas et qu’ils ne l’ont jamais été (disons qu’ils sont souhaitables) et importants malgré le fait que nous n’y accordons pas réellement d’urgences ou de priorités décisionnelles. Cela tient désormais à la fois du mauvais goût et du lieu commun, mais juste en notre sein, tandis que nous prêchons l’égalité hommes femmes, tandis que nous pointons du doigt ces sociétés musulmanes pour leur mysoginie intrinsèque, nous nous soucions bien peu du sort de ces milliers de femmes autochtones disparues à travers les années.

C’est évidemment un exemple spectaculaire, sensationnel, tellement utilisé qu’il représente davantage de la mauvaise foi argumentative plutôt que de la compassion réelle pour ces femmes disparues, mais c’est surtout pour illustrer que ces principes d’égalité, nous ne les avons pas atteint complètement, nous nous comparons, donc nous nous consolons, mais en termes d’égalités des chances, en termes d’ouverture et d’opportunités, nous sommes effectivement mal placés pour juger les travers moraux des autres.

Dangers

Le danger provient également du fait qu’on demande à peu près l’impossible. Impossible dans le sens que dans un climat de rapidité et d’immédiateté dans lequel nous vivons, nous demandons à une communauté comprenant des milliards d’individus d’abandonner des modes de vies adoptés pour la plupart depuis des milliers d’années. J’ignore à quel point on est conscient de ce chauvinisme, mais on doit au moins se rendre compte qu’on tend un énorme piège à cons dans lequel nous allons également inévitablement tomber. Il est impossible, connaissant moindrement la force d’une culture sur une population, et encore plus la force d’une religion sur un peuple ou sur un individu, d’exiger un changement immédiat et rapide de mentalités millénaires et de s’attendre à ce que ce changement s’effectue en temps réel devant nos yeux.

On cherche constamment des solutions rapides. Les médias, depuis l’avènement du direct et du continu, nous présentent constamment des histoires standardisées, des montées et descentes rapides de politiciens, de vedettes, de crises: l’Histoire se résume constamment en clips de trente secondes, en cycles de nouvelles hebdomadaires (ou mensuels pour les dossiers complexes) qu’on abandonne après s’en être abreuvés à satiété, imaginant que la crise est réglée parce que nous n’en entendons plus parler.

À part pour l’Islam.

Ce qui est magnifique, redoutable et dangereux, c’est l’hyper-simplification de tous ces dossiers épineux qu’on lie et qui forment, apparemment, un dangereux croissant. Mais la vérité est que ce que nous appelons terrorisme peut probablement se définir en mille sous-catégories de luttes locales, de révolutions et contre-révolutions, d’insurgence et de résistance: sont-elles toutes morales, sont-elles toutes habitées ou motivées ou justifiées au nom de l’Islam? Peut-être pas, peut-être: la seule certitude, c’est que nous faisons de mille situations complexes (auxquelles nous avons parfois participé activement et pas nécessairement pour le mieux), une question simpliste et fondamentale.

Je dis ceci avec une certaine absence de conviction, mais comme une concession envers la culture dominante dans laquelle je vis: effectivement, on peut avancer que, considérant que nous acceptons une forte quantité d’immigrants en notre sein, on peut exiger de leur part une certaine adhésion à des principes importants de notre société.

Et encore là, j’ai un arrière-goût désagréable de chauvinisme. Au nom de quoi une société doit-elle être homogène, au nom de quoi des nouveaux arrivants doivent-ils prêter serments à des principes et des valeurs quelconques? Je comprends que nous y sommes attachés parce qu’elles sont communes, et que dans l’établissement de nos identités individuelles nous avons souvent recours au récit officiel de la nation que nous habitons. Mais pourquoi? Pourquoi exiger des autres qu’ils fassent comme nous, culturellement, simplement parce qu’ils habitent sur notre territoire? L’applicaiton de la loi ne suffit-elle pas? L’adhésion à nos règlements officiels n’est-elle pas une soumission suffisante des forces extérieures? Il faut obéir aux lois, payer des impôts, et également renoncer à ses principes en affirmant, fièrement, publiquement, que nous abandonnons les pratiques barbares du passé pour faire partie de la marche glorieuse du progrès en Occident?

Je ris presque face au dialogue complètement absurde qui a été entamé, en France comme ici, avec les femmes portant le niqab. En fait, ça ne se voulait pas initialement comme un dialogue, mais plutôt comme un ordre libérateur: vous, femmes opprimées de vos maris et d’une religion mysogine, vous n’aurez plus le droit de l’être dans des endroits publics. Sauf que, comme on le voit dans le documentaire Niqab hors-la loi, ces femmes ne veulent pas être “libérées”, elles ne se sentent pas nécessairement brimées parce qu’elles sont cachées. Selon elles, c’est leur façon de suivre la voix de Dieu.

Bref, initialement, c’était une lutte prétendument féministe, mais comment faire pour libérer des femmes qui sont bien capables de se défendre et qui voient leurs libérateurs comme des oppresseurs?  Ensuite, au lieu d’accepter le niqab, on suggère deux choses: tout d’abord, celles-ci sont complètement obnibulées par un endoctrinement qu’elles sont incapables de voir, et qu’elles rationnalisent via des arguments logiques et des batailles juridiques. Cet argument est excessivement raciste, fermé d’esprit et mysogine, et il ramène inévitablement à la question de “qui n’est pas endoctriné?” Qui n’est pas fortement attaché à des principes ou des convictions dont ils sont incapables de se détacher? Qui n’est que le fruit d’une rationalité universelle pure? Vous? Moi?

Ensuite, le deuxième argument, c’est que c’est moche, ça nous choque, ça nous dérange dans le décor. À ceci, on pourrait dire, bien dommage, vous n’avez qu’à ne pas les inviter chez vous. Mais on a le droit d’être vêtu de manière à ce que ça déplaise certains concitoyens, non?

Dialogue de sourds

ADIL-CHARKAOUI-facebook

L’entrevue d’Anne-Marie Dusseault avec Adil Charkaoui, devenue virale, était représentative de ce colonialisme occidental. Si Charkaoui semble jouer parfaitement le rôle du manipulateur médiatique prétendant être une vierge effarouchée évitant savamment les questions de la journaliste, la journaliste a semblé se transformer en porte-parole volontaire des forces occidentales. Dénoncez la violence, monsieur Charkaoui! Êtes-vous pour ou contre les décapitations? Êtes-vous pour ou contre le froid? Dénoncez l’État Islamique.

On demande souvent à des gens de condamner la violence, mais rarement quand ce sont eux qui la commettent ou qui en sont directement responsables.

Bref, l’escalade du ton dans cette entrevue à Radio-Canada représente quasiment à elle seule le dialogue de sourds entre l’Occident et le Moyen-Orient depuis des décennies. L’une demande de condamner la violence, l’autre essaie de nous rappeler les injustices commises par un Occident triomphaliste et pompeux.

Évidemment, cela ne revient pas à défendre l’Islam radical et ses dévots violents. Dans la même semaine, nous avons appris qu’un squelette était logé au sein d’une statue bouddhiste, d’un coté, et nous avons vus des religieux fanatiques détruire des vieilles statues sacrées dans des temples que ceux-ci considéraient comme étant blasphématoires. Comme quoi il est possible qu’une statue soit habitée par davantage d’humanité que des hommes. Mince réconfort, peut-être: ces statues seraient des répliques, les originales seraient saines et sauves à Baghdad. 

Chaque jour amène son lot de décapitations filmées (certaines viennent des cartels méxicains de la drogue mais ça semble moins nous perturber). Le progrès faramineux de l’État Islamique, qui re-dessine la carte du Moyen-Orient suite à l’invasion meurtrière et futile de l’Irak par les États-Unis, a de quoi inquiéter, en ce sens qu’ils avancent avec une verve fanatique qui écrase tout sur son passage, particulièrement les femmes, les homosexuels et les libres penseurs.

Je suis un agnostique qui penche doucement vers l’athéisme, seulement l’absence de réponse claire concernant une force surnaturelle plus grande que nous m’empêche d’affirmer avec certitude la non-existence de forces divines. Je vois en les religions des grandes organisations rentables de contrôle de l’autre, responsables autant pour des morts physiques que pour des repressions systématiques de désirs parfaitement humains qui sont traités comme des vices honteux.

J’ai bien peu de sympathie pour ceux qu’on qualifie de chefs spirituels, comme les prêtres, les imams et les rabbins, aussi sympathique puisse-t-être notre Pape actuel, qui a le mérite de ne pas être un obscurantiste absolu. J’essaie de m’éloigner le plus possible des centres moraux qui, en plus de présenter l’idée farfelue et improbable d’une vérité absolue et universelle, accompagnent cette vérité d’une récompense paradisiaque sous conditions de restrictions terrestres. Bref, ce n’est pas par une quelconque sympathie à la religion musulmane que je pense qu’il faut qu’on se calme à propos des dangers de l’Islam dans notre société.

Tout d’abord, nous avons tendance à hyper-simplifier. Ce n’est pas parce que quelqu’un se proclame du Coran que sa réalité n’est pas complexe et riche, contradictoire, vivante, pleine de compromis. Il est illusoire, dangereux et de mauvaise foi de pointer ce vieux livre, d’en sortir les nombreux passages inquiétants et problématiques, et de conclure, rapidement, que tous ceux qui y adhèrent ou qui s’en proclament en deviendront les ambassadeurs actifs. On dépasse le milliard de religionnaires. Cela devrait empêcher le stéréotype au lieu de l’inviter autant.

Ensuite, dans la stigmatisation continue, et parfois partiellement justifiée, de l’autre, on court le danger de reproduire les erreurs du passé, à savoir la marginalisation d’une communauté religieuse, et les potentielles conséquences néfastes qui peuvent venir avec.

La violence ne s’annonce pas, elle s’invite. Et elle s’invite tranquillement et irremédiablement lorsque le terrain a été préparé par des discours haineux qui, initialement marginaux et minoritaires, deviennent communs et universels, autant proférés par des citoyens racistes que des politiciens opportunistes. Il faut faire attention. Dans notre dénonciation justifiée des injustices commis par l’Autre, il faut qu’on continue de se surveiller, qu’on fasse attention à qui nous sommes en train de devenir. Il faudra qu’on se demande ce qu’on est prêt à faire au nom de l’égalité et de la paix. Il faudra également réaliser qu’on a un peu signé un package deal avec les droits et les libertés. Oui, on a adhéré à la liberté d’expression. Mais on a également accepté la liberté de confession, la liberté de conscience, le droit à la diversité politique. Au nom de l’un, peut-on répudier les autres?

Une chasse aux sorcières

Et nous en sommes rendus là. De la présence du voile ou non en fonction publique, nous en sommes rendus à décortiquer les liens sur les sites webs, les ouvrages de références disponibles dans les bibliothèques…sommes-nous devenus les délateurs complices d’un état paranoïaque? Existe-t-il une police de la pensée?

Je crains que ce mépris assumé de l’autre, qu’il soit musulman ou islamiste ou terroriste, ne continue de s’assumer avec davantage d’arrogance et de violence, avec une complicité médiatique et politique. Je crains la pente glissante sur laquelle nous sommes en train d’accumuler de la vitesse. Les dérives potentielles de cette chasse aux sorcières me semblent évidentes, frappantes. Je trouve cela regrettable que nos politiciens et nos chroniqueurs confirment et alimentent cette crainte de l’autre, ce mépris fondé sur un racisme inévitable à toute société, mais rendu dangereux lorsque le corps politique et médiatique le favorisent plutôt que ne tentent de le calmer ou le condamner.

On me traitera d’idiot utile, de naïf entourloupé par des communicateurs experts aux intérêts malveillants. Tout ce que je sais, c’est que cette faim de justice et de rectitude, de bon goût et de moral, d’adhésion aux principes officiels d’une nation, et bien c’est un appétit qui se développe en mangeant. Nous avons—ici au Québec, en ce moment—bien peu de contrôle sur la montée du terrorisme ou des luttes intégristes qui se déroulent ailleurs dans le monde. Mais nous avons individuellement le pouvoir de limiter l’étendue de la haine qui sévit ici, nous avons cette responsabilité collective de ne pas sombrer dans l’oppresion de l’autre parce qu’on l’associe souvent injustement à des maux que d’autres commettent.

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Je ne nie pas l’existence d’un danger pouvant troubler le statut quo en Occident. En fait il en existe plusieurs. Je dis juste que la stigmatisation des musulmans ne contribuera pas à l’amélioration de la situation. Et je ne veux pas avancer que nous les poussons à commettre des atrocités. Je suis en train de dire que les atrocités commises par certains groupes ne doivent pas être une justification malhonnête pour l’expression enthousiaste de notre haine, notre ignorance et nos préjugés.

À ce sujet, je vous suggère trois documentaires qui participent à une réflexion sur l’Islam et l’Occident:

 C’est dur d’être aimé par des cons, un documentaire sur les aventures juridiques des bédéistes de Charlie Hebdo.

Beur FM présente Les dessous de l’Islam, une vidéo explicative des changements géographiques de l’Islam à travers les époques.

The Islamic State: un documentaire percutant de VICE sur la montée de l’État Islamique en Syrie et en Irak.