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Prévert et Normand Baillargeon: ma quête vers 500

Dans ma quête vers les 500 livres lus, Normand Baillargeon m’a dirigé vers une poésie lucide et militante, amoureuse et charnelle, et surtout, tendre: Paroles, de Prévert.

Baillargeon montage

À ce stade-ci je constate des bienfaits prévisibles mais étonnement imprévus à ce petit projet personnel: mon cerveau ne dicte pas nécessairement la prochaine lecture. Les conseils des personnes qui veulent bien y participer sont motivés par différents intérêts, différentes sensibilités. Donc j’ai commencé avec un roman historique rigoureux et méticuleusement récité. Je suis ensuite tombé sur une fable intemporelle. Pour plonger dans le journal intime d’un misérable bourgeois. Et dans ma quête vers les 500 livres lus, Normand Baillargeon m’a dirigé vers une poésie lucide et militante, amoureuse et charnelle, et surtout, tendre: Paroles, de Prévert.

J’étais déjà marqué par une des phrases de Prévert, sans le savoir. Ça m’a pris un certain temps avant de comprendre l’écart culturel entre personnes ayant été élevées dans différentes religions. J’avais des acquis culturels que j’imaginais universels, mais ils ne l’étaient évidemment pas. Et certaines traditions chrétiennes m’étaient inconnues. En ce sens, j’avais entendu l’adaptation de Pater Noster de Prévert par Serge Reggiani avant de connaître les paroles originales de la prière. Dans ma tête, « Notre père qui êtes aux cieux », c’est toujours suivi de « restez-y », qui restera à tout jamais la prière la plus sage que je puisse imaginer.

Mais donc, les mots de ce poète. J’ai tendance à vouloir garder mes livres intacts, en mint condition, mais dans les cas de poésie, je me permets de faire des petits plis triangulaires aux pages, comme pour y revenir plus tard, sans contexte. Paroles, de Prévert, en est truffé. Des dizaines et des dizaines de petits passages sublimes, d’une maîtrise de la langue, d’une méfiance rigoureuse envers les figures autoritaires, d’un enthousiasme pour les plaisirs amoureux, pour la sensualité.

Devant la porte de l’usine / le travailleur soudain s’arrête / le beau temps l’a tiré par la veste

et comme il se retourne / et regarde le soleil / tout rouge tout rond

souriant dans son ciel de plomb

il cligne de l’oeil / familièrement

Dis donc camarade soleil

tu ne trouves pas / que c’est plutôt con / de donner une pareille journée

à un patron?

Je ne suis pas grand lecteur de poésie, mais j’ignore pourquoi mes préjugés pour cette forme d’art survivent: j’ai toujours peur d’être jeté vers un monde abstrait et hautain, stylisé mais n’ayant aucun référent au réel, à mon réel. Et pourtant, après Bukowski et Cohen, voilà une autre preuve d’une poésie accessible, franche, humaine. La prouesse technique illustre merveilleusement bien ces faiblesses et ces besoins qui nous rendent humains. Et en plus, l’aventure sensorielle est parsemée d’un regard critique sur le monde qui nous entoure.

J’étais régulièrement frappé par Prévert. Il m’a amené à des endroits tendres, des espaces intimes qui me fournissaient autant en nostalgie qu’en anticipation fébrile. Un goût de vivre contagieux, quoi, que j’ai découvert avec le plus grand plaisir.

Ça m’a cependant marqué: comme dans Mars, malgré les allégeances progressistes de l’auteur, on y décèle parfois un certain sexisme, mais surtout l’utilisation d’un vocabulaire répugnant aujourd’hui: la facilité avec laquelle Fritz Zorn et Jacques Prévert peuvent utiliser les mots nègres ou pédérastes, par exemple, les fige définitivement dans une époque révolue, une sorte de rappel soudain de leur contexte. Pow wow.

Première déception

Dans ma quête vers le 500, Claudia Larochelle m’a recommandé Esprit d’hiver, de Laura Kasischke: des capacités techniques indéniables pour illustrer une relation aliénante entre une mère et sa fille, mais j’ai été déçu par un procédé littéraire spécifique et irritant, que je ne dévoilerai pas ici. Ça s’appelle Esprit d’hiver, et après la saison difficile qu’on a eu (aujourd’hui, j’ai bouquiné sur Mont-Royal et c’était sublime), je ne vais pas m’y attarder. J’apprécie toutefois le conseil. L’art c’est souvent une question d’harmonie entre le récepteur et l’émetteur. L’harmonie n’était pas au rendez-vous pour celui-là.

 

 

La quête

Mémoires d’Hadrien

L’accordeur de silences

Mars

Paroles et Esprit d’hiver

The Picture of Dorian Gray et Le Grand Partout

On Writing

Cahier d’un retour au pays natal et Soumission