BloguesJulien Day

Commission 19-2

Parmi les multiples séquelles qu’aura laissées le mouvement de contestation étudiant, on ne peut passer sous silence la perte de confiance d’une partie non négligeable de la population envers les policiers, particulièrement envers le SPVM. Bien sûr, la méfiance (euphémisme assumé) d’une frange plus radicale ne date pas d’hier, mais il serait absurde de nier l’évidente radicalisation de gens plus modérés qui, il y a à peine un an, auraient limité leur critique du travail des policiers aux quotas de tickets et aux ingénieuses planques qu’ils se dégotent pour mieux nous prendre en flagrant délit de stop à l’américaine.

Évidemment, reste toujours ces gens pour qui une bonne mornifle à coups de matraque reste une conséquence tout à fait justifiée pour avoir pris part à une manifestation déclarée illégale, gens qu’on soupçonne plus prompts à l’indignation en cas de halte au Tim Hortons de policiers payés avec leurs taxes.

Ce n’est par contre pas de ces gens écoeurés de payer que je veux vous parler, mais bien de ceux qui, troublés par les débordements et la violence des policiers over-documentés par les centaines de photographes amateurs qui ont arpenté les manifestations étudiantes depuis un an, réclament haut et fort la tenue d’une enquête publique. Parmi eux, le sympathique docteur et sauveur des opprimés, Amir Khadir, qui ne manque pas une occasion de nous rappeler que les policiers sont gentils, que le véritable problème se situe dans les ordres que ceux-ci reçoivent.

Bref, fini le temps où seule l’ultra-gauche avait une molaire contre les flics, après le printemps mouvementé, la gauche électorale s’y met, à des degrés différents, elle aussi.

Malheureusement, comme c’est souvent le cas lorsqu’un problème est soulevé par des adeptes de la démocratie libérale institutionnelle, les solutions proposées ont tendance à ne pas en être. Ce serait le cas d’une commission d’enquête sur la brutalité policière.

Un feuilleton de mauvais goût

Prenez, par exemple, la Commission Charbonneau, véritable feuilleton télévisé mettant en vedette fonctionnaires corrompus, entrepreneurs mafieux et avocats qui parlent fort. Depuis maintenant plusieurs semaines, ces acteurs défilent devant nos écrans et sur la une des journaux, pour nous « apprendre » comment le contribuable montréalais se fait arnaquer. Un long et complexe système de collusion que jamais nous n’aurions pu comprendre sans ce spectacle à quelques dizaines de millions : une poignée d’élus et de fonctionnaires chargés de gérer le trésor collectif des deux millions de Montréalais auraient été amadoués à coups de liasses de billets de banque par de richissimes entrepreneurs qui, surprise, ont des liens avec la mafia.

Êtes-vous tombés en bas de votre chaise? Si oui, ne mettez pas votre main sur un rond de poêle allumé, vous risquez de vous brûler.

Les moins jeunes se souviendront d’un cirque semblable, celui mené par le juge Gomery il y a une dizaine d’années, dans le cadre du scandale des commandites. Grossièrement, les libéraux (au fédéral) de Paul Martin et, précédemment, de Jean Chrétien, étaient tombés en disgrâce après avoir accordé des sommes d’argent phénoménales à, surprise, des amis du parti, pour des insignifiances et des rapports bidons.

En gros, une poignée d’élus chargés de gérer le trésor collectif des 30 millions de Canadiens auraient dilapidé l’argent d’un programme déjà douteux. Êtes-vous tombés en bas de votre chaise?

On veut des coupables

Pour le scandale des commandites, on avait Jean Lafleur et Jean Brault. Pour la collusion dans le monde de la construction, nous avons Zambito et Surprenant. Bref, des visages qu’on pourra détester pour les prochaines années, des visages parfaits pour les unes de journaux titrant « Trous de mémoire » et parfaits pour meubler les conversations des gens écoeurés de payer qui déchireront leurs chemises à la lecture du résumé des audiences pendant l’heure de lunch au resto du coin.

Des têtes de turc et des boutades sur la mémoire sélective, voilà l’héritage prévisible de ces deux commissions d’enquête, vulgairement semblables.

De larges comités citoyens pour se pencher sur les appels d’offres et trancher? J’veux bien, sauf que non seulement ça n’arrivera pas, mais au final, le problème est beaucoup plus grand et insidieux, et ce ne serait pas long avant que les puissants entrepreneurs trouvent un autre moyen d’écarter la concurrence comme ils le font déjà, ou trouvent les bonnes personnes à qui remettre l’argent.

On pourra s’indigner tant qu’on voudra, détester Zambito et faire des blagues d’Alzheimer à propos des témoignages des appelés, la réalité se chargera assez rapidement de nous rappeler que sans changement radical des structures gouvernementales et administratives, la corruption et la dilapidation du trésor public ne sont pas qu’inévitables, elles sont une banalité.

Brutalité policière

Vous comprendrez que lorsque j’entends la gauche réclamer une enquête publique sur la brutalité policière, je ne peux m’empêcher de rire. N’oublions pas qu’en plus d’être bien peu utiles, ces commissions d’enquête coûtent une fortune. Un peu comme les contrats accordés aux amis des politiciens, ironiquement.

Permettez-moi donc de nous économiser temps et argent en vous dressant les conclusions d’une éventuelle commission d’enquête sur la brutalité policière.

  • Les cas de brutalité policière, bien que plus souvent documentés dans des manifestations, ne se limitent pas à ceux-ci. Ils sont quotidiens.
  • Un policier armé des meilleures intentions et d’un sens critique se retrouvera à plusieurs occasions dans sa carrière dans une situation où il devra patrouiller avec un collègue qui n’en a pas. Bonnes intentions ou pas, ces policiers se verront forcés de camoufler les agissements débiles de leurs collègues. C’est ce qu’on appelle la fraternité policière.
  • Après une intervention suspecte, les policiers ont toute l’aisance du monde à se consulter pour romancer un rapport à leur façon et ainsi protéger les policiers fautifs. La victime, elle, doit donc se battre contre la parole judiciairement puissante de plus d’un policier et voit donc ses chances de victoire réduites à à peu près rien.
  • Lorsque les policiers abusent d’une force injustifiée, en plus de sévices corporels, ils déposeront souvent de fausses accusations envers la victime pour justifier leur intervention, ajoutant ainsi au malheur de celle-ci.
  • Une plainte en déontologie policière est aussi utile qu’une plainte pour homophobie au Vatican.
  • Les connaissances générales et le sens critique de plusieurs policiers oscillent entre « nuls » et « faibles ».

À défaut d’avoir 19-2

Je pourrais évidemment continuer, mais je vais laisser le soin à Amir Khadir et aux autres de nous dégoter cette tant attendue commission d’enquête. Après tout, il nous faudra bien un spectacle policier pour remplacer 19-2 qui se termine d’ici peu. J’ai déjà hâte aux témoignages remplis d’éloquence des policiers qui y défileront. Et j’ai surtout hâte de trouver une autre tête de turc pour nous faire oublier un problème infiniment plus large, comme 728 ou les joueurs de soccer de la SQ à Trois-Rivières.

À ce moment, comme pour les autres commissions d’enquête, on pourra enfin retourner à nos habitudes en se disant que les coupables ont été identifiés, sans même qu’on ait effleuré les mécanismes qui rendent tout ça possible.